1969, Jean Luc Thérier « le sixième sens »



En cette période de “pause”, le Monte-Carlo reste mon sujet préféré et l’aborder une nouvelle fois est encore une fois passionnant. La classique Monégasque est la manche la plus attendue du calendrier, la plus incertaine, la plus compliquée. Les difficultés y sont multiples, le parcours truffé de pièges met en exergue le talent brut et le sens de l’improvisation des plus grands pilotes.

Rendre une copie parfaite sur ce genre de terrain est mission quasi – impossible, sauf pour quelques acrobates d’exception ! C’est un « rallye de bonhommes » et pour nombres de pilotes, à l’image de Walter Rohrl, remporter le Monté Carl’ revêt une valeur particulière, son prestige est sans égal, pas même celui d’un titre de champion du monde !

En rallye, la fiabilité et la régularité dans la haute performance sont des qualités rares mais sur les routes du Monté Carlo, où le terrain et le grip changent sans cesse au gré des versants, de l’altitude, de l’heure de passage…seul une sorte de sixième sens permet de « rester vivant ». Un instinct, un don inné, une pré – disposition à l’équilibrisme qu’on retrouve, de Thérier à Ogier, chez tous les acrobates qui ont marqué cette épreuve. Des équilibristes qui savent lire et deviner le terrain, improviser, anticiper sans cesse et entrer dans un état extrême de concentration pour apprivoiser les changements de grip, la neige, la glace, la pluie, le verglas, la nuit, le brouillard, le froid…la peur parfois.

Pour gagner le Monté Carlo, il faut être rapide bien sûr mais il faut surtout réunir toutes les qualités requises au plus haut niveau et surtout : n’avoir aucun point faible ! Il faut être plus qu’un grand pilote, un champion complet ! C’est le juge de paix, la quintessence du rallyman, le Graal de la discipline!

Sur ces routes légendaires, chaque mois de janvier, des hommes écrivent l’histoire et deviennent des héros. Ceux qui furent les plus forts ici peuvent gagner partout : Auriol, Loeb et Ogier n’ont-ils pas gagné des épreuves aussi différentes que la Corse ou les Mille Lacs ?

Pour moi, en 88 éditions, le Monté Carlo a révélé nombre de pilotes talentueux, de Waldegard à Bouffier en passant par Munari, Vatanen, Biasion, Delecour et d’autres mais surtout – de mon point de vue – 7 rallymen hors – normes, 7 merveilleux champions, 7 orfèvres du pilotage. Ils ont tous en commun d’y avoir fait des débuts extraordinaires en étant immédiatement très rapides, maitrisant parfaitement les spécificités du parcours tout en étant – quasiment- exempts d’erreurs ! Ils ont réussis l’Exploit Majuscule. L’histoire aurait forcément été différente et surtout moins belle si ces destins incroyables n’avaient pas croisés les routes du Monté Carlo.

Alors que Bjorn Waldegard effectue un véritable récital et impose sa Porsche 911, une petite R8 Gordini Gr.1 dessine de magnifiques arabesques sur l’asphalte, la glace et la neige de cette impitoyable édition 1969. Le virtuose qui est au volant réalise un grand numéro de voltige et le ballet ininterrompu de survirage et de glisse réchauffe l’atmosphère hivernale et les milliers de spectateurs postés au bord des routes d’Ardèche et du Vercors. Le spectacle est magnifique, le chrono n’en revient pas. La petite R8 va rallier l’arrivée à une incroyable 5ème place scratch ! « Jean Luc est le meilleur d’entres nous… » dira Rorhl plus tard… « Jean Luc fut le plus doué de tous… » diront aussi Todt, Fréquelin et Ragnotti… Jean Luc c’est bien sûr Jean Luc Thèrier. A 23 ans, le jeune Normand découvre l’épreuve au volant d’une petite R8 Gordini Gr.1 et les conditions extrêmement changeantes permettent au funambule d’entrer par la grande porte dans la légende de l’épreuve. Après des débuts fracassants en rallye en 1968, les observateurs attendaient avec impatiente ce Monté Carl’ pour y voir Jean Luc confirmer son potentiel hors norme. Il faut dire que plus les conditions sont difficiles et plus la nouvelle pépite du rallye français arrive surclasser tout le monde. Certains avaient en mémoire le Lyon Charbo 68 où le p’tit débutant Thérier avait signé, au volant de sa R8 Gord’ Gr.1, le scratch sur la neige de « Riotord – St Bonnet le Froid » devant toutes les grosses autos…Un signe !

Ce surdoué de l’improvisation, ce génie du pilotage ne connaitra jamais le sacre suprême sur ces routes mais il y a écrit quelques pages mémorables de son parcours. Il finira 2ème de l’édition 1971 au volant d’une A110 1600…Effectua des chronos stratosphériques au volant d’une Golf Gr.2 de 162cv préparée par Cresson en 1979, année où Jean Luc domina la classe et Guy Fréquelin tout en intégrant le top 10… avant d’abandonner ! Surtout, il aurait DU gagner en 1981 au volant de la Porsche Alméras sans la glace déposée par des c… ! Sur la neige il tenait régulièrement le rythme de l’Audi Quattro de Mikkola…C’est un autre immense Monsieur et grand négociant en virages de génie, Jean Ragnotti, qui remportera l’épreuve.

Jean Luc montera sur le podium en 82, il fut le premier leader en 83 au volant d’une R5 Turbo avant d’abandonner alors qu’il livrait un combat mémorable avec Walter Rohrl. Et que dire de la prestation du Normand en 1984 ? Sur la neige, Thérier est au final devancé par les 3 Audi Quattro mais il réussi l’exploit de dominer parfois leurs pilotes Blomquist et Mikkola. Seule la Quattro de Rohrl le devance alors. Les autres propulsions de Bettega, Biasion, Alen, Saby sont loin !…

En 1985, la carrière du virtuose Normand est stoppée nette sur le Paris Dakar. Cet accident, ses circonstances, ses conséquences furent dramatiques pour Jean Luc. Pour tous ses fans, il y a eu avant et après janvier 85. Jean Luc Thérier reste pour moi la référence absolue, c’est le Rallye avec un grand R, celui que j’aime. Mais l’histoire de Jean Luc Thérier ça reste aussi une symphonie inachevée. Pour moi, il demeure inégalable.

Il faudra attendre 1989 pour voir débarquer à Monté Carlo celui qu’on peut désigner comme son héritier…

A l’heure où les jeunes espoirs qui débarquent en mondial passent des heures à visionner les caméras embarquées d’Ogier en espérant devenir champion du monde, il est bon de rappeler qu’en rallye, dieu merci, rien ne remplace l’instinct, le feeling. Jean Luc Thérier avouait ne passer qu’une seule fois en reconnaissance…pour vérifier les notes prêtées par ses équipiers !… Autre époque ? Surement mais pas seulement ! Le génie de Jean Luc Thérier résidait dans cette aptitude à l’anticipation, ce « sixième sens » qu’on possède…ou pas ! Un don précieux et rare. Irremplaçable !
Thérier c’était et c’est toujours ce sens inné de l’improvisation, le Talent brut absolu. C’est le modèle, le précurseur, la référence!





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Louis xiv
Louis xiv
3 années il y a

Jean-Luc… un modèle ayant les qualités humaines n’ayant d’égales que son pilotage…. j’ai eu la chance de le rencontrer en 2003 à Dieppe… un modèle pour moi…

tom
tom
4 années il y a

l’édition 84 du monte carlo, j’y étais et je me souviens encore de jean-luc dans la montée du turini enneigée et la descente de pera cava inoubliable à la chasse au quattro , du grand art, repose en paix jean luc au paradis des funambules.