Anne-Chantal Pauwels : “Le ciel pour objectif” (1/2)



Après l’interview grand-angle consacré à Denis Giraudet, il était temps pour nous de laisser la parole à une des très rares femmes à avoir accédé au plus haut niveau, Anne Chantal Pauwels.

Dans un équipage, la star c’est le pilote… quoique ! Pour tous ceux qui ont assisté aux débuts de François Delecour, la célèbre copilote du bouillant nordiste reste indissociable de l’aventure. Sans elle, l’histoire aurait forcément été différente et surtout moins belle. Un jour, proche du Mont Cassel et de ses 176 mètres (!) d’altitude, les regards d’Anne Chantal et François se croisent…C’est un clin d’œil du destin, une rencontre entre deux volcans. Ensemble, ils vont viser toujours plus haut et un jour, tutoyer les étoiles…

Bonjour Anne Chantal, nous sommes très heureux qui tu aies accepté d’accorder un peu de temps à Rallye Sport. Un beau jour, du côté de Cassel dans le nord de la France, débarque dans ta vie un certain François Delecour. Vos vies basculent. Avant cette rencontre, la vie d’Anne Chantal Pauwels ressemblait à quoi ?

“Clairement, déjà gamine je représentais un peu le « vilain petit canard » de la famille. Je suis issue d’une fratrie de 4 enfants, ma famille était un peu snob alors que moi, dès mon plus jeune âge, j’ai surtout été attirée par tout ce qui est mécanique…A 11 ans, avec des cousins, je faisais déjà mes premières armes en voiture dans les chemins de terre… J’adorais aussi les animaux, les chevaux en particulier mais c’est mon côté casse-cou et garçon-manqué qui ont toujours prédominé… Ensuite, j’ai passé mon permis moto. J’ai rencontré François et dès mon baptême d’Autobianchi A112 Abarth dans les descentes pavées du Mont Cassel, à bloc, je me suis rendu compte de son incroyable talent. C’était fou…je ne disposais alors pas de comparaison possible mais je savais d’instinct qu’il était hors-normes…A Cassel, nous sommes rapidement devenus célèbres pour nos « exploits »… à défaut d’êtres populaires !”

Au départ du rallye de Picardie 1981, deux gamins de Cassel débutent avec cette illustre A112 Abarth quasiment d’origine…et dominent leur classe. Tu as tout de suite compris que ton destin venait de basculer ?

“Non, pas vraiment, c’était une aventure, nous n’y connaissions rien et cela se passait d’ailleurs assez mal au niveau de nos relations avec les autres concurrents: deux débutants qui viennent de rien et qui ont le culot et l’insolence de réussir des exploits… Le talent de François a rapidement fait naître quelques jalousies…Et comme nous n’étions pas du genre à nous laisser faire, on a vite compris qu’il fallait aller voir ailleurs ! Viser plus haut…”

D’ailleurs, en 82/83, vous roulez très peu mais vous disputez quelques grandes épreuves en Belgique avec une 104 ZS puis une Samba… Lors des Boucles de Spa 83, Delecour claque un 5ème temps scratch sur la neige ! Là, est ce que tu te dis que ton pilote n’a rien à envier à personne ?

“Oui, là on s’est rendu compte qu’on pouvait aller vite ailleurs qu’à la maison. A SPA, on a fait un rallye de dingue avec notre petite Samba et nous n’avions pas un sou en poche…On prenait le départ des courses grâce à des « bouts de ficelles » et quelques copains. En 1983, avec le N°72, on s’est retrouvé au milieu des Droogmans, Dumont, Snijers, Duez, Colsoul… on réussit un 5ème temps. C’est un souvenir fort. Avec cette Samba, François a attaqué très très fort…non, ce n’est pas tout à fait ça : nous abordions chaque virage comme si notre vie en dépendait …mais on restait sur la route !”

C’est durant cette période que tu décides de quitter le domicile familial, tes études…pour une vie de bohème au jour le jour avec François. Il fallait avoir une bonne paire de c……. ! A ce moment là, l’objectif final c’était quoi ? L’aventure ou le championnat du monde des rallyes ?

“Ben, les deux ! Nous voulions accéder au plus haut niveau, quel qu’en soit le prix. Nous étions animés d’une indescriptible motivation. De plus, nous étions tellement jalousés dans le Nord que nous voulions absolument conquérir « le monde » et exporter notre talent. Ce fut une période compliquée, tendue, au jour le jour, mais malgré tout, jamais il n’y a eu la moindre engueulade entre nous ! François était un écorché vif, un sanguin, et moi je disposais d’un peu plus de sang froid, ça se passait bien !”

Janvier 1984, Monte Carlo avec la Samba dans le Challenge Pirelli sans clous alors que certaines spéciales… sont annulées en raison de la taille des congères ! Röhrl remporte son 4ème Monte Carlo alors que vous terminez 67ème… Pour toi et François, ce rallye complètement fou marque le début d’une fabuleuse histoire d’amour avec cette épreuve et tous ses hauts – lieux qui vous ont marqué au fer rouge… Je me trompe ?

“Non, c’est clair que ce rallye là est unique! C’est une épreuve extraordinaire et 1984… un souvenir vraiment spécial. Ce fut vraiment hallucinant. Inoubliable. Les conditions, les annulations, la longueur des spéciales, des jours et des nuits passés dans notre petite Samba…Nous étions des gamins et nous débarquions dans le plus grand et plus difficile rallye du monde. Aujourd’hui, les jeunes qui débutent sur le Monte Carlo (qui est deux fois plus court) sont pris en charge, suivis, conseillés, coachés, il y a la vidéo… En 1984 : rien ! L’aventure totale ! C’est pour ça que l’histoire est belle et qu’on s’en souvient encore. Tu imagines ça aujourd’hui : moi de nuit dans le froid et la neige les pieds sur le capot de la voiture en me tenant aux essuie- glace… pour arriver à franchir un col en marche arrière !! Et nous avons réussi. Délirant ! En fait, le rallye, c’était ça…”

Oui mais c’était surtout une période de vaches-maigres… et vous étiez deux enragés que rien ne pouvait arrêter. Il n’y a que le ventre vide qu’on connait la faim…C’est cette rage qui a permis de renverser des montagnes non ?

“Ah oui, ça c’est clair ! Nous avions d’ailleurs souvent le ventre vide comme tu dis ( !) et cela a duré longtemps…On avait appris à ne compter que sur nous-mêmes, nous savions que la solution et le bout du tunnel ne pouvaient venir que grâce à cette énorme motivation, cette conviction d’y arriver… Nous ne représentions pas un « couple » dans le moule, François avait son côté impulsif et fort en gueule et moi je tempérais un peu…Nous n’étions pas toujours bien vus mais peu importe, cela nous transcendait encore plus. Nous sommes deux forts caractères, nous avons tout sacrifié pour y arriver et nous étions « 100% focus » sur notre objectif…Le reste n’existait pas ! Aujourd’hui encore, je suis à fond dans mes objectifs. Je place la barre haute, je reste « clean », je ne fais jamais d’excès… François est pareil. Si tu veux atteindre les sommets, il faut être concentré à 100% sur ton objectif, aucune concession ni faiblesse n’est permise, jamais…”

Toujours en 84 avec la Samba, il y a eu le Touquet et un top 10 puis une fabuleuse performance au Charlemagne devant Doenlen et Ivens, deux « vites »… Puis la Coupe Peugeot en 85 avec une 205 « 105cv ». Abandon au Monte Carlo mais prestation époustouflante dans le brouillard du Forez … Loin de vos terres et dans ces conditions terribles, ce Forez 85 fut – il un tournant ?

“Ah oui, t’as raison, je me rappelle bien, tous les journalistes venaient nous voir…Qui est ce Delecour ? Lors de ce Forez, dans une spéciale noyée dans le brouillard, on a doublé 7 bagnoles ( !) de la folie pure…On avait une auto quasiment de série mais quand les conditions étaient délicates, François sortait du lot. De 84 à 87, et surtout durant les années en Volant Peugeot, on faisait des miracles avec pas grand-chose, nous avions foi en nous, François attaquait comme un possédé et ne sortait presque jamais de la route. Moi, entre deux courses, je m’épuisais à chercher des budgets, encore et toujours …Une véritable épopée !”

Mais ça paye : 1986 débute par le Monte Carl’ avec la 205 « 105cv » et c’est peut être la course qui propulse François du rang d’espoir à celui de future star de la discipline. Scratch du GrN dans St Bonnet le Froid, 3ème à Burzet et 3ème du groupe avant d’abandonner. Cette performance donnait vraiment des raisons d’y croire non ?

“Encore une sacré aventure et une drôle d’histoire ! En 1986, le rallye comptait 880 bornes de spéciales et il y avait 156 partants. J’avais trouvé un peu de budget avec mes piges de mannequin et avec « Damart ». On a réalisé des temps incroyables, ça volait, nous étions 24ème au scratch… et de plus en plus de monde semblait s’intéresser à nos perf’ c’est vrai, mais malheureusement on casse le moteur (bielle !). Du coup, à Grenoble on met la 205 dans un train pour Lille…”

Fin 86, vous ne décrochez pas le convoité Volant 205 mais François devient Espoir de l’année Echappement. Tu te sens associée à cette reconnaissance ou un peu oubliée dans l’histoire ?

“Associée, à 100% ! Toujours ! Nous étions vraiment un équipage. Je ne pense pas qu’il y ait aujourd’hui un copilote en mondial qui aurait fait un dixième de ce que j’ai réalisé pour arriver à ce niveau là. Les temps ont changé ! Nous n’avons pas gagné le Volant Peugeot mais Espoir Echappement, ça cause quand même…Sauf que cette année là, le magazine a supprimé l’habituelle dotation (une voiture) au lauréat…Et ce fut quand même un peu compliqué à encaisser car pour nous, les temps étaient durs…”

En 1987, vous prenez quand même le départ du 55ème Monte Carlo avec la bonne vieille 205 1.6l…et ce fut une hallucinante démonstration ! Vous finissez 5ème du GrN derrière 4 transmissions intégrales … Vous rentrez 16ème scratch à Monaco. Est-ce que tu te dis alors qu’un jour, vous gagnerez à votre tour ce rallye mythique?

“Bon, déjà on se disait que le Monte Carlo était vraiment le plus beau rallye du monde ! 5 jours de course, 600 bornes, toutes les conditions imaginables…Pour nous, cela a été 10 ou 12 heures d’attaque de tous les instants dans tous ces hauts – lieux légendaires… Tu te rends compte ? C’était magnifique. On se disait alors qu’on reviendrait, ça c’est sûr…”

Vous devenez officiels Peugeot avec une 205 GTI 1.9 GrN du GCAP préparée par Bernard Bouhier sur le championnat de France 1987. Changement total et radical. La fin de la galère ?

“D’une certaine façon oui, c’est vrai. François commençait à percevoir un salaire mais moi non, toujours pas…Donc je me débrouillais pour survivre. Et cela commençait à être très pesant ! Au Mont Blanc, avec notre 205 face à la Sierra de Baroni, François attaque à mort et commet une de ses rares erreurs… Nous subissons ensuite une crevaison aux Cévennes…Face aux souflettes et aux Sierra, c’était mission impossible, pourtant François attaquait comme jamais !”

Je me rappelle aussi des Garrigues 87 où sur la R5GT officielle, Bugalski décroche un podium devant la soufflette de Gazaud qui lui, vous devance au final de 21sec. Bug, Gazaud et Delecour ont alors autour de 25 ans et ce sont trois stakhanovistes de l’attaque. On a rarement revu un tel niveau d’attaque… Quels souvenirs gardes-tu d’eux et de cette époque ?

“Déjà, pour nous, avec notre 205 atmo, c’était difficile de lutter avec eux. Bug était un bon vivant et un bon copain, et il a eu la chance d’être rapidement très bien entouré chez Renault. Pour nous, avec Peugeot, c’était plus délicat. Gazaud était également un type sympa, un peu « chien fou » et c’est certain qu’avec François, ces trois là plaçaient la barre vraiment très haute en spéciale… En 86 et 87, avec la 205, nous étions à bloc en permanence, l’attaque totale et absolue!”

Pourtant, fin 87, Peugeot n’a rien à vous proposer. Retour à la case départ ! Tu choisis de provoquer le destin et tu influences François pour tout miser sur 3 épreuves de CF avec une grosse auto, une M3 GrA…C’est quitte ou double ! La pression devait être énorme non ?

“Ouais, déjà en fin d’année, pas de nouvelles du GCAP, on patiente…en vain. On attend alors de plus en plus impatiemment que Peugeot se manifeste : rien ! En janvier 88, on apprend par voie de presse que le constructeur Sochalien recherche un pilote d’expérience et bon metteur au point pour développer la nouvelle 309. Ils annoncent que l’équipage officiel pour la saison 88 sera composé de… Fréquelin et Tilber ! Donc nous sommes à pied. Le choc ! Et c’est déjà bien trop tard pour envisager disputer le Monte Carlo…François veut absolument rouler, rouler encore et repartir en 205…J’essaye de le persuader que cela ne sert à rien, que nous avons déjà démontré notre potentiel et que désormais, nous sommes prêts pour passer à la catégorie supérieur… J’arrive néanmoins à le convaincre. Mais il n’est pas très chaud pour ce projet…Le président du club PTS de Béthune me fait rencontrer un chef d’entreprise (de la compagnie européenne du textile) passionné de voitures qui nous débloque une partie du budget pour rouler avec une M3…Ouf ! De mon côté, je trouve un complément d’argent pour trois rallyes. Avec l’aide de Bernard Bouhier et Cilti Sport, nous nous retrouvons donc au départ d’Antibes avec la M3…Et une certaine pression sur les épaules.”

Avec cette M3 Cilti Sport, vous débutez donc sagement à l’Antibes avant de signer votre premier scratch en championnat de France aux Cévennes. Lors du rallye du Var, François claque le 2ème temps dans Roquebrune, devant les BMW de Béguin et Chatriot. A Camp-Long, vous êtes 2ème ex-æquo avec la Sierra de Didier Auriol… Vous décrochez un magnifique podium et un ticket pour rentrer dans la cour des grands. L’avenir s’annonce comment ?

“Ce qui est sûr, c’est que nous ne pouvions pas nous permettre de casser l’auto…A Antibes, François a l’impression de se trainer … pourtant le résultat est déjà probant avec ce beau podium. Aux Cévennes, nous rivalisons rapidement avec les M3 usines, nous signons le scratch dans le Vigan-St Bresson devant les M3 Bastos de Béguin et Chatriot, on pouvait viser la 2ème place… avant d’abandonner. Nous étions déçus mais nous avions marqué les esprits. Au Var, nous relevons notre défi avec ce podium révélateur, nous voilà dans la cour des grands, enfin. Ce fut un soulagement, après tant d’efforts et de sacrifices. Le pari était osé mais nous avons réussi ! L’avenir s’annonçait avec Peugeot en championnat de France.”




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Pat
Pat
3 années il y a

Bel article, même si je n’apprécie pas du tout delecour (caracteriel)ça reste un tres bon pilote.par contre très sympat anne

Bitonio
Bitonio
3 années il y a

Top ….Rsport

Et j’ en revient à mon leitmotiv…Retour à des autos pour des coupes constructeurs à des tarifs décents…sans boîtes machins trucs , etc