Anne-Chantal Pauwels : “Le ciel pour objectif” (2/2)



Suite et fin de l’interview d’Anne-Chantal Pauwels avec un retour sur sa carrière.

Fin 88, Delecour est l’espoir « Number One » en France mais tu sembles épuisée par ces perpétuelles remises en question. Quand François décroche le volant de la 309 officielle pour 89 avec Tilber dans le baquet de droite, aucune frustration pour toi?

“Tilber a été imposé mais moi j’avais déjà anticipé et discuté de l’avenir avec François. J’étais épuisée par toutes ces années de galères et je souhaitais un peu me poser. J’avais passé mon temps à rechercher des budgets, des partenaires, de l’argent pour rouler mais moi je n’avais toujours pas de salaire…A cette époque, je vivais dans un HLM miteux, je ne mangeais pas tous les jours à ma faim, je souhaitais aussi faire autre chose…De l’hélicoptère notamment ! François était désormais sur orbite et du coup, nous avions déjà un peu prévu mon départ. Il voulait absolument que Daniel Grataloup me remplace dans le baquet de droite…mais Jean Todt a décidé que ce serait Tilber, point. On ne discute pas !…”

En 1990, tu profites donc de cette année sabbatique pour réaliser un autre rêve : devenir pilote professionnel d’hélicoptère ! Deux jours après avoir obtenu ton brevet, tu te retrouves à Boreham avec François … Après avoir touché le ciel, tu côtoie carrément les étoiles ! Le couple mythique est reformé… Souvenir impérissable j’imagine ?

“Oui, je me suis concentrée sur un nouvel objectif, un rêve de gamine en fait : passer mon brevet professionnel de pilote d’hélicoptère. Un sacré challenge, d’autant que j’étais au chômage. J’ai fait un prêt étudiant (!) sur 5 ans pour financer ça et pour tout dire je n’avais pas trop le droit à l’erreur. Pour réussir l’examen, il faut un excellent niveau pratique et théorique. Il y a de la pression. C’est chaud ! La date était fixée au 30 novembre…Le 20 novembre, François me téléphone en me disant que Ford revenait officiellement en mondial… et qu’il faisait partie de l’effectif, mais aussi qu’il voulait absolument que ce soit moi dans le baquet de droite ! Wouah !!! Le championnat du monde, pour François et son talent, c’est une suite logique et méritée et pour moi, la reconnaissance d’une décennie de labeur. Un retour d’ascenseur. Du coup, j’ai débarqué pour passer mon brevet de pilote hélico avec tout ça dans la tête, pas facile…Mais j’ai réussi et réalisé un de mes plus grands rêves. Deux jours après, nous voilà, François et moi, à Boreham en Angleterre, dans l’antre de Ford Motorsport…pour signer notre contrat. Un deuxième rêve exaucé ! Direction le Col de la Machine pour la première séance d’essai avec la Sierra, sur la neige et avec les pneus clous, le pied absolu…”

C’est une Anne Chantal quasiment inconnue au plus haut niveau qui débarque au Monte Carlo 91 à droite de Delecour dans l’habitacle de la Sierra officielle N°12. Dans Burzet (tout un symbole) vous signez votre premier scratch en mondial. Au point stop de Saint – Martial, ce premier scratch était-il pour toi synonyme de revanche ou de seconde vie ?

“En fait, je me suis dit : on y est ! C’était le retour de Ford en mondial, il fallait d’abord être à l’arrivée. Du coup, on part sur un mode mineur et cette édition là était très difficile, très compliquée. Puis, chez Ford, il y avait d’un côté les « British » avec Malcom Wilson et de l’autre les pro-Alex Fiorio…Nous on débarquait un peu là-dedans comme 3è pilote… A partir de Burzet, on a vu que François était réellement au dessus du lot, il n’y avait pas photo. A Saint Martial, nous étions heureux, vraiment…Sur un nuage. Il s’agissait du début de notre seconde vie…”

On se rappelle tous de cette folle édition 91 et de ce maudit Turini mais au final, après toutes ces années, ce Monte Carlo 1991 n’est-il pas pour toi à la fois le meilleur et le pire souvenir de ta carrière ?

“C’est un merveilleux souvenir ! La preuve : regarde, près de 30 ans plus tard tu m’appelles encore pour en parler ! C’est incroyable. Tu te rends compte : c’est notre premier rallye en officiel, notre première course avec une 4X4, c’est le retour de Ford en mondial et je reviens de 2 années sans rouler… et on tape Sainz, le champion du monde ! C’est inouï quand on y repense. Sur le coup de la défaite, François a été achevé, anéanti…il ne voulait même pas rentrer à Monaco ! Pour lui tout s’écroulait. Mais tout le monde était là, à nos côtés, tous en pleurs… Je l’ai persuadé de continuer, pour les points constructeurs. Le monde du rallye semblait consterné par ce qui nous arrivait mais à la régulière, nous avions été les meilleurs. C’est une édition et un exploit historiques.”

D’ailleurs, à l’image de ce Monté Carlo, cette saison là restera un peu comme une cicatrice non ? Vous auriez aussi du gagner en Corse…Après un triste San Remo 91, après une décennie de compétition et de fureur, tu décides de tout plaquer et de tourner la page rallye…un peu à la surprise générale ! Pourquoi ?

“Déjà, il y a eu le Portugal où les conditions furent apocalyptiques. Mais on apprend vite le terrain et nous sommes 3ème avant la spéciale de Freita sous la neige. De nuit, dans le brouillard, on était à fond, beaucoup trop vite avant une longue courbe droite. Et on se met une « grosse boite » à 140 km/h… Un choc énorme. En Corse, ça roule fort, on occupe la tête avant d’avoir un problème avec les pompes à essence à la sortie du réservoir dans le coffre. A l’Acropole, le terrain se montre terriblement cassant et notre Sierra…bien trop fragile : abandon (différentiel avant). On participe aussi aux 24H d’Ypres, un super rallye et nouvel abandon…Au San Remo, nous finissons 4ème mais en reco, un soir dans la montagne, nous percutons un cheval sauvage qui est tué dans le choc. Pour moi c’est trop, j’adore les animaux et je vois là un signe du destin qui me dit d’arrêter. François finira la saison avec Daniel Grataloup a qui j’ai refilé toutes mes notes pour qu’il puisse s’entraîner en vue d’être au point pour le Monte Carlo 92. Par la suite, François a fait quelques mauvais choix de carrière, s’il avait accepté l’offre de Subaru, il serait devenu champion du monde, j’en suis persuadée (ça n’engage que moi…) !”

Après autant d’engagement, de passion et d’adrénaline…la troisième vie d’Anne Chantal Pauwels ne fut-elle pas un peu ennuyeuse ?

“Non, pas du tout ! Je suis du genre battante et je me suis lancée dans le journalisme avec le Magazine « Compte – Tours », dans la création du circuit d’Abbeville et d’une école de pilotage, j’ai bossé pour M6, TF1…Je suis toujours instructrice de pilotage. En karting j’ai battu le record du monde de distance en solo en parcourant 1226km en 24H, c’est dans le Guiness book ! J’ai gagné le rallye des Gazelles au Maroc avec Emmanuelle Gouy… Je suis pilote professionnelle hélicoptère et présente sur 8 ou 10 manches annuelles en WRC… J’ai participé également à des rallyes en tant que pilote mais aussi à des courses sur circuit, sur l’Andros… J’ai copiloté Isolde Holderied dans une Corolla WRC en 98 (bon souvenir) et Yvan Muller, un super pilote et un chouette type, sur une Impreza STI…”

Aujourd’hui, le rallye et la société ont beaucoup changé, quelle est ta vision actuelle du WRC et du rallye en particulier ?

“J’adore le WRC actuel. Le spectacle est fou et les pilotes impressionnants. Les voitures sont hallucinantes et ça va très très vite…je pense même qu’on a peut être atteint les limites humaines avec ces nouvelles WRC 2017 ?! …En tout cas, le spectacle est grandiose. Avec le format actuel, le rallye a perdu un peu de son âme mais d’un autre côté, il semble plus accessible au public non-connaisseur, et sur le terrain les courses sont beaucoup plus faciles à suivre qu’avant. Par contre, l’image de la discipline n’est pas très bonne car la société actuelle diabolise beaucoup l’automobile. Moi, j’adore l’automobile. La bagnole me fait toujours rêver !”

Quand François a été élu Espoir de l’année Echappement 1986, il a battu de très peu Carole Vergnaud lors de l’élection. A 23 ans, Carole avait démontré un potentiel hors-normes, notamment en remportant le rallye des Mille Pistes sur sa Visa…Mille pistes, devant la 205 T16 de J.P. Ballet ! Mais elle n’est pas parvenue en mondial. A son image, quelles soient pilotes ou copilotes, peu de femmes sont arrivées au plus haut niveau… Pour quelles raisons d’après toi ?

“Oui, c’est très difficile pour les femmes. D’abord parce qu’elles n’osent pas ! Et puis aussi par ce que très peu de filles s’intéressent à la technique. Ce sont pour moi les deux raisons principales et c’est fort dommage.”

Si on te propose de faire une épreuve de championnat du monde en 2020 avec un « Top Gun » dans une WRC, tu choisis quel rallye, quelle auto et avec quel pilote ?

“Le Monte Carlo demeure une épreuve exceptionnelle, un monument… J’aime beaucoup Ypres aussi et j’aimerais que ce rallye intègre un jour le WRC… La Suède c’est fabuleux, la Finlande est un pays incroyable et les « 1000 Lacs » c’est vraiment dément mais j’ai un vrai coup de cœur pour l’Australie ! Disons l’Australie avec la Yaris, j’adore cette auto… et avec Sébastien Ogier !”

A présent, le mot de la fin Anne Chantal, je crois que tu as un projet de livre. Tu peux nous en parler un peu ?

“Comme pour beaucoup de monde, le confinement a mis un coup d’arrêt à mes activités. Cela a été néanmoins une bonne occasion de me poser un peu et de réfléchir à notre société et à nos priorités. Je suis toujours en contact avec François qui, depuis longtemps, me conseille de faire un bouquin sur notre aventure commune. J’ai tellement d’histoires et d’anecdotes à raconter… Du coup, le projet a pris forme. Et ce livre, 30 ans après le Monte Carlo 91, ça sera top non ?

Effectivement, il s’agirait là d’une belle façon de fêter l’anniversaire de cette inoubliable édition 91 ! En tout cas, nous avons hâte de découvrir la suite et les coulisses de l’histoire…Merci à toi, Anne Chantal, pour ta passion, ta sympathie, ta sincérité et ton énergie communicative…A l’heure où notre société est en manque de repères, de phares, ton parcours devrait être regardé comme un exemple d’engagement et de courage. Bon vent à toi…et à bientôt sur les routes !”




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martini29
martini29
3 années il y a

On compte sur RS pour nous informer de la sortie de son bouquin ?!
Comme pour “Berlinette” un peu plus bas je suis curieux d’en savoir plus sur cet épisode Subaru

Paddy06v
3 années il y a

Très bonne conteuse cette Anne Pauwell, très sympa à lire et revoir une partie de la carrière de François, car c’est vrai qui se souvenait de cette dame qui semble avoir été beaucoup pour que Delecour réalise carrière qui aurait pu être meilleure encore.