Grasse – Alpin 1993 : « César d’honneur »



Vendredi 2 avril 1993. C’est le très rapide départ en sous bois de Callian – St Cézaire qui sonne le départ du championnat de France. Le TTE a confié la Celica qui vient de remporter le Monté Carlo avec Didier Auriol à Yves Loubet, et en « Guest- Star » on retrouve même l’Escort Cosworth d’un certain Delecour sur la liste des engagés.

Ford vient faire une séance d’essai en vue du Tour de Corse mais ce sont les conditions d’un Monté Carlo qui s’installent. Sur les sommets, la neige tombe drue. Dans l’ES 1, pas de poudreuse mais des trombes d’eau ! Jean Ragnotti garde le sourire, on se rappelle qu’en 91, il avait remporté cette épreuve au volant de la toute nouvelle Clio 16 S… Cette fois – ci, cela risque d’être plus compliqué pour la muse de Jeannot l’acrobate, d’autant qu’il y a un sérieux postulant qui a quelques comptes à régler… Pierre César Baroni rêve de gagner sur ses terres depuis 20 ans, il attend avec impatience le décompte du chrono au volant de sa Delta HF. Bien parti pour s’imposer en 92 dans « son » Grasse – Alpin, ce célèbre ébéniste Vençois avait alors écopé d’une pénalité pour une sombre affaire de départ anticipé… Complot contre César ?

Quand on est natif de San Remo, quoi de plus normal que vouloir devenir rallyman ? Pourtant, Pierre César Baroni, né le 13 mars 1953, démontra très jeune de réelles aptitudes pour une toute autre spécialité italienne : le ballon rond…Ses parents immigrent dans le Sud de la France en 1961 et toute la famille s’installe à Vence où son père travaille le bois. A 14 ans, Pierre César quitte l’école pour suivre la même voie que son paternel. Deux années plus tard, c’est en assistant à une course de côte que son existence bascule ! Le jeune ébéniste contracte le virus de la vitesse ! Mobylette, moto, permis de conduire à 18 ans… Cursus habituel. Les magnifiques routes sinueuses au dessus de Vence deviennent alors son premier terrain d’entrainement et il va y faire une première expérience douloureuse en « sondant » la profondeur d’un ravin ! Une jambe bien abimée et près d’un an de fauteuil roulant vont lui donner matière à réfléchir à propos de sa nouvelle passion ! Quoique … Le foot c’est moins dangereux mais quand on a gouté à l’adrénaline ! En 1973, à 20 ans, César participe à son premier rallye, le Fleur et Parfum qui deviendra ensuite le Critérium Alpin… puis le Grasse – Alpin. Notre jeune débutant, au volant d’une petite R8 Gordini part fort, trop fort et… sort de la route !

Comprenant qu’il ne suffisait pas d’aller vite, le jeune Vençois écume ensuite les rallyes du Sud de la France, notamment au volant d’Alfa Roméo, et se fait une belle réputation. Le timide César quitte ensuite le bassin méditerranéen pour participer à la Coupe Autobianchi en 1978 dans laquelle il arrache une prometteuse 3ème place.

En 1979, Baroni passe de la minuscule A112 à la Porsche Gr3 et se présente au départ du Critérium Alpin. Il se permet de devancer Andruet, Darniche, Fréquelin… Seul Francis Vincent lui résiste, il finit 2ème ! C’est en 1981 que la carrière de P.C.B va prendre une tournure décisive. Le groupement des concessionnaires Ford de Nice lui offre en effet l’opportunité de rouler au volant d’une Escort 2000 RS. Il débute au Monté Carlo mais abandonne. Puis se classe 5ème du Critérium Alpin.

Toujours avec l’Escort, César finit 19ème du Monté Carlo 1982 avant de rouler sur différentes autos « made in Boreham » : RS 1800, RS 1600 I, RS Turbo…

En 1986, Pierre César effectue une prolifique saison en Championnat de France au volant de l’Escort RS Turbo GrN. Malgré son train avant baladeur, la Ford possède un autobloquant Ferguson et un très bon moteur préparé par Repetto. Baroni signe à son volant quelques perfs’ de choix dont la 5ème place scratch au Tour Auto ou la 6ème en Alsace … Il va aussi rencontrer des pilotes de la nouvelle vague, Philippe Bugalski notamment. Il décroche la 6ème place du championnat. Cette performance lui offre le volant de la Sierra Cosworth GrN pour 1987.

En début de saison, il réussi un podium scratch en Alsace, devançant le R11 GrA d’Oreille, la M3 d’Hazard et la R5 GT de Bugalski… Et sous la pluie ! Baroni survole sa catégorie toute l’année.

Bis- repetita en 1988 avec la Cosworth : 3ème scratch de l’Alpin – Behra devant la « soufflette » d’Oreille, 4ème scratch et 1er GrN en Alsace face à la R21 de p’tit Bug’, 9ème scratch et 1er GrN lors du Tour de Corse après une nouvelle joute face à la 5 GT d’Alain Oreille… L’ascension de César continue et se finalise en 3ème position d’un championnat remporté par la Sierra d’un artiste : Didier Auriol.

En 1989, Ford France a libéré Didier désormais pilote Lancia en mondial et Pierre César récupère le baquet du Millavois ! Lourd héritage, d’autant que chez Ford les budgets sont à la baisse et que la concurrence s’annonce très relevée : Saby et sa Delta HF, les deux M3 Bastos de Chatriot et Béguin…

Dans son arrière – pays, le moustachu Vençois va faire bon apprentissage de la GrA et se classe 2ème derrière un intouchable François Chatriot. Notons au passage la 10ème place scratch réalisée par la Manta GTE des frangins Panizzi dont le talent explose. Baroni remporte cette année là sa première victoire en championnat de France lors de l’Alsace – Vosges, devant la M3 de Chatriot, et va régulièrement jouer le podium pour conclure la saison à la 3ème place. Mais Ford décide de se retirer. Sale coup !

Au départ de l’Alpin 1990, Baroni se lance dans une petite saison au volant d’une Sierra Cosworth mais sans soutien officiel. Il sait qu’il joue gros ! Il livre un combat homérique contre la M3 de François Chatriot, réalise un record incroyable dans le Bleine, domine la Lancia de Bruno Saby mais échoue finalement… pour 18sec face à la BMW. César prend sa revanche à l’Antibes en battant le « toubib » et Saby.

Au volant d’une très fragile Alfa 75 Turbo, le Vençois abandonne avant la première spéciale de l’Alpin 1991. Le début d’un long chemin de croix … A oublier !

1992, le pilote des Alpes – Maritimes va revenir au volant d’une Lancia Delta du team italien Astra. César remporte l’Antibes, le Rouergue et se bat toute l’année pour le titre face à la Sierra de Bernard Béguin mais échoue une fois encore à la 3ème place. Il se fait aussi remarquer en finissant 3ème à Ypres et 8ème sur ses terres natales du San Remo, un rallye remporté par Andréa Aghini qui décroche là sa seule victoire mondiale. Mais avant ça, César était en position idéale pour gagner à domicile face à Béguin et Delecour lors du Grasse – Alpin 92… Avant cette fameuse pénalité !

Grasse – Alpin 1993. 20 ans après ses débuts ici même, Pierre César Baroni sait qu’il a rendez vous avec son histoire. L’ébéniste et Astra partent à la conquête du championnat d’Europe. Denis Giraudet est le nouveau copilote de P.C.B. Pour l’anecdote, l’équipe transalpine va aussi faire rouler un certain Tommi Makinen cette année là. Baroni décroche le titre Européen.

Dans cette quête européenne, la première manche cochée par le team de Mauro Pregliasco était le Grasse – Alpin. A l’aube de cette saison 93, César a un rêve qui dépasse de loin celui de récupérer quelques précieux points. Il a un territoire à conquérir, un royaume de 256km qui s’étend de Callian jusqu’aux Trois Ponts… François Delecour attaque le premier chrono sur un bon rythme et fait une petite touchette. Le récent vainqueur du Portugal devance l’Escort Best de Béguin de 3sec et la Celica de Loubet de 8sec. Mais « freine – tard » est battu de 3sec par le héros local! A un jour près, cela aurait pu être un poisson d’Avril : les trois mythiques chronos qui suivent, Aiglun, Col Saint Raphael et Entrevaux (un mini Monté – Carlo à eux seuls !) sont annulés à cause… de la neige ! Après l’ES 5, François reprend la tête du rallye pour 2sec avant que son Escort rencontre des soucis de pression d’essence. Dans les 16km du Corobin, César est second à 8sec du meilleur temps. Ragnotti claque un extraordinaire 3ème temps à 12sec du scratch signé Béguin! La ZX GrA du local Patrick Magaud abandonne son pilote alors que sur la 2ème Clio Diac, Alain Oreille subit une crevaison et abandonne plus de 2 min… Ce dernier se révolte dans les 10km d’Espinouse, le Martégal fait voler sa petite Clio 16S et réussi un chrono à moins d’une sec au kil du scratch, à nouveau signé Béguin. Ce dernier se montre impérial au volant de sa nouvelle monture. Sur une Delta du GSA, Philippe Bugalski connaît un baptême délicat et abandonne. Sur la même monture, Christine Driano prend ses marques. Après une petite saison au volant d’une modeste AX GrA, Christine effectue une bonne prise en main « du monstre » et hausse le rythme spéciale après spéciale. Au terme de cette terrible première journée, Baroni mène le rallye devant Béguin… pour une minuscule seconde !

En début de deuxième étape, dans Lambruisse – Tartonne, Béguin perd 24sec à cause d’un purgeur de frein alors que Baroni pose 13sec à Loubet en 14km. François Delecour a repris sa séance d’essai et dans le second passage du Corobin, c’est lui qui décroche le meilleur temps tandis que Béguin reprend 7sec à César. L’officiel Ford en mondial re-scratch dans Espinouse mais pour seulement 2sec face à un Bernard Béguin survolté. Dans les 4 Chemins – Aiglun, « BB » s’offre le meilleur chrono et grappille encore 3sec sur le moustachu du Team Astra. Oreille devance à nouveau Ragnotti.

ES 12, Pont des Miolans – Saint Auban, 22km. Tronçon légendaire. Sur le plateau, les vitesses atteintes sont vertigineuses, délirantes même…C’est ici je crois que César avait atteint 245km/h au volant de sa Sierra GrN quelques saisons plus tôt ! En 93, des coulées d’eau envahissent le bitume et dans ces conditions, c’est Delecour qui va se montrer le plus rapide. Béguin encaisse 5sec et Baroni 7. Présent en spectateur dans ce juge de paix, j’ai une belle perspective sur une enfilade très rapide se terminant par un gros freinage pour un gauche serré. Devant, la cadence est élevée mais tous « évoluent sur des œufs » et freinent avant l’enfilade, même Delecour. Tous… sauf un : Alain Oreille ! Quand la Clio Diac déboule, le régime moteur ne faiblit pas. Alain rentre dans l’enchainement rapide à fond absolu… ça passe ! Le train arrière de la petite Renault se fait léger, de plus en plus léger, si léger qu’il balaye violemment la route de gauche à droite, sur toute sa largeur, et même un peu plus… ça passe encore ! Au moment où le pilote de Martigues pose le pied sur le frein, la Clio N°8 se met instantanément à l’équerre, ce qui jette le train arrière dans le bas côté et le train avant… en bonne position, bien à la corde du gauche ! Alain soude, ça hurle, ça patine, ça fume… mais ça passe ! Un peu de chance surement… mais pas que ! L’équipage Oreille – Andrié pose ici plus d’une sec au kil à Ragnotti – Thimonier! Cette année encore, les spectateurs assistent au grand show des Clio boys…Inoubliables acrobates !

Notons qu’à Saint-Auban, Alain Oreille est tout de même devancé de 4sec par miss Driano. La « Reine Christine » aussi est inoubliable ! Fin stratège et bon tacticien, Pierre César limite bien la casse et possède encore 11sec d’avance sur la Ford Best… Il reste 37 km ! Dans Chateauvieux, le leader tape une bordure et perd la tête! Bernard possède à présent 6sec d’avance. A Comps, les mécaniciens du team Astra remettent la Delta en ligne. Les deux prétendants à la victoire abordent les 7 km de Clavier le couteau entre les dents et Béguin signe le scratch ex-æquo avec Delecour, 1sec devant César qui cumule maintenant 7 unités de retard. Reste deux chronos…

3 avril 1993, 17H03. Retour à Callian – Saint Cezaire et son départ rapide dans les bois suivi de sa vertigineuse descente. Le pilote de la Lancia N°3 veut graver son nom dans le marbre… et même dans le bois, si il le faut ! Le Vençois prend alors tous les risques, frôle même la catastrophe et franchit la ligne d’arrivée en pulvérisant le record de la spéciale ! Il pose 4sec à Delecour et 5sec à son rival en 10km. Fabuleux ! César qui possède un style coulé, propre, sur le train avant, typé circuit, va pousser son Italienne dans ses derniers retranchements et glisser bien plus qu’à son habitude. Baroni réussit « la spéciale de sa vie », il ne veut pas avoir de regrets, pas cette fois – ci…

Mais il a encore 2sec de passif sur le pilote de la Ford … Le chrono des Trois- Ponts va sceller sa destinée mais y reprendre 2sec à un Béguin déterminé en 4,35km relève de l’exploit ! Le local de l’épreuve part à bloc et se… bloque sur un parapet, laissant au passage un temps précieux et s’évanouir son plus grand rêve… C’est à ce moment là que le destin choisi alors d’offrir les lauriers de cette 36ème édition à César. Le moteur de l’Escort lâche, Béguin rejoint l’arrivée à la seconde place, devant la Celica du Corse Yves Loubet qui a déjà la tête de l’autre côté de la méditerranée … Son graal à lui ! Le plus petit des géants, Jean Ragnotti, prend la 4ème position puis suivent la Lancia d’une grande Christine Driano puis Alain Oreille. Ce championnat s’annonce passionnant et plein de surprises.

A 40 ans, Pierre César remporte enfin son rallye. Il aura fallu 20 ans et 17 participations pour que le jeune Baroni, petit immigré italien, devienne le grand César ! Ce sera son unique victoire à Grasse. Probablement la plus belle et la plus prestigieuse de sa carrière. A chacun son empire !




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jmb17
jmb17
3 années il y a

Esappeka, jeune papa prévoyant n’oublie jamais de mettre un biberon d’eau dans le landau de son bébé. C’est bien que Lappi mette un bar au nid.

jmb17
jmb17
3 années il y a

Merci pour la photo de la belle voiture rouge !
Les coupés Alfa 1750 et Gtv 2000 ! J’adorais cette voiture ! Quelle superbe ligne, quelle ambiance ! (Tableau de bord bois et ses cadrans, changement de vitesse, volant, le bruit etc. La voiture de sport “à l’italienne” des années 70″.) ! Certes assez fragile, comme beaucoup d’italiennes de l’époque. Et s’en souvenir génère encore beaucoup d’émotions !