Le cercle des co-pilotes disparus : Thierry Renaud, la dernière note



Les copilotes sont parfois, souvent, les hommes et les femmes de l’ombre. Le champion, le héros, celui qui est sous le feu des projecteurs, c’est celui qui est au volant.

Pourtant, les coéquipier(e)s risquent tout autant leurs vies et celui ou celle qui tient le carnet de notes n’est il pas le véritable chef d’orchestre de l’équipage ? De cette communauté de copilotes, véritable armée des ombres, il y a quelques visages et quelques regards qu’on ne peut oublier.

S’il y a une chose que je revois instantanément en pensant à Thierry Renaud, ce sont ses yeux
pétillants et la joie indescriptible qui en émane le 5 septembre 1993 après la spéciale de Joux Verte.
Thierry vient alors d’en finir avec son huitième Mont – Blanc en copilote, le premier qu’il termine, et s’offre là sa première victoire en championnat de France. Lui, indéfectible amoureux de la montagne et de sa Haute – Savoie, savoure -presque à domicile- cette magnifique consécration. Quelques mois plus tôt, Thierry avait accédé au professionnalisme, presque par hasard, grâce à Yves Loubet.

Ensembles, ils partagent alors l’habitacle d’une Toyota Celica officielle sur le rallye d’Antibes et
d’emblée, réussissent le scratch ex-aequo avec la Ford de Baroni. Yves se rend compte que derrière
ses petites lunettes rondes et son air cool, se cache en vérité un véritable guerrier qui pousse, motive,
imprime le bon tempo et ressent tout. Thierry Renaud a le rallye dans le sang. C’est un chef
d’orchestre hors-pair.

Il a tout juste 18 ans, en 1985, quand il récite ses premières gammes aux côtés d’un autre natif de
Cluses, Jean Pierre Bochatay. De la Samba, l’équipage passe à la R11 GrA puis à la R5 GT GrN en
1989. Thierry Renaud vit pour et par le rallye, c’est son objectif, sa passion, sa vie. Avec Jean Pierre,
le jeune Clusien remporte le GrN lors de la Finale de Pontoise 1990 avec la « soufflette » avant de
gravir une marche l’année suivante. A droite de Philippe Mermet, il effectue ses grands débuts en
formule de promotion dans la Coupe Renault Sport. Sa saison se termine au Mont Blanc sur un
abandon.

1992 est probablement l’année charnière. Thierry rejoint Bruno de Faveri en Coupe Renault Sport et
Challenge AX. De Faveri est un joyeux drille mais surtout… c’est un avion ! Ils frôlent la victoire
finale en Challenge et réussissent des performances remarquables (6 ème scratch au Touquet, top 10 au Rouergue…). Surtout, pour le montagnard cette saison là est celle des découvertes, des rencontres, des grands rallyes, des copains et de la fête. A l’assistance, la bande à De Fav’ est composée de Christian Gazaud, J.M. Lavialle…C’est une période bénie, les choses sont faites sérieusement, les résultats sont là mais personne ne se prend au sérieux, ce qui correspond tout à fait à Thierry qui conserve toujours une sorte de détachement vis-à-vis du professionnalisme. En 1993, le copilote de Haute – Savoie attaque la saison avec Bruno De Faveri avant d’être appelé par Yves Loubet. Une proposition qui ne se refuse pas… même si c’est la mort dans l’âme qu’il quitte De Faveri et sa bande. Après l’Antibes 93, Yves conseille Thierry à Philippe Bugalski et cette fois ça y est, Thierry Renaud va débarquer « chez les pros ». Petit Bug’ vient de se faire virer comme un malpropre par Lancia Martini et revient en France avec une Delta HF grâce à l’équipe de France Espoirs. Philippe et Thierry font connaissance lors de l’Alsace – Vosges et vont devenir des potes, des complices, des frères… Dés la Ronde Cévenole, la Delta Intégrale du GSA va devenir la voiture à battre, j’ai un souvenir impérissable de la descente après Montdardier où l’italienne vole de bosse en bosse à plus de 170km/h : grandiose ! Moins de trois mois plus tard, le 5 septembre, Philippe et Thierry décrochent enfin et chacun leur première victoire en championnat de France au pied des géants. Pour Bug’ il y en aura beaucoup d’autres, pour Thierry ce sera aussi la dernière…Fin 93, les compères font débuter la fameuse Clio Williams boite semi-automatique au Limousin et finissent 4 ème puis 2 ème au Touquet devant les Delta Intégrale d’YvescLoubet et Gilles Panizzi !

Au Var, ils se mêlent encore à la lutte pour le podium face aux intégrales de Baroni, Polo et Panizzi. Sur l’asphalte, Philippe et Thierry sont alors au plus haut niveau mondial. En 1994, ils vont participer à l’intégralité du championnat tricolore sur une Clio Williams Automéca aux côtés des Clio officielles d’Oreille et Ragnotti. Pour tous ceux qui ont vécu cette période, cette folle saison, les souvenirs de passages des Clio – Boys demeurent inoubliables. Il y avait tout : l’image et le son ! Cette année là nous a offert un spectacle prodigieux, tous les passages de ces trois funambules restent gravées dans ma mémoire. J’ai encore la chair de poule en repensant à tout ça… Au chrono, petit Bug’ et Thierry prennent souvent l’avantage sur leurs ainés. L’équipage est complémentaire, complice, tout est parfait. Et c’est toujours un immense plaisir de discuter avec eux. Ils sont discrets, humbles, accessibles, bons – vivants. Ils sont calmes…en apparence et dans la « vraie vie » car dans la voiture, c’est la guerre absolue, l’engagement exclusif et total. Ils devaient se rencontrer, c’était écrit.

La saison se termine par une extraordinaire 2 ème place au Var après une lutte titanesque et fratricide avec Alain Oreille qui échoue sur la 3 ème marche du podium.
L’année 1995 débute au Monté Carlo. Philippe et Thierry sont officiels Renault et leur destin se noue dans l’habitacle de la nouvelle Clio Maxi. Les 30 km de St Pierreville – Antraigues lancent les hostilités avec un 6 ème temps scratch devant l’Escort Cosworth de Bruno Thiry… Au fil des chronos, P’tit Bug’ prend l’avantage sur son illustre équipier Ragnotti. Dans Chateauvieux, 19km, Philippe pose 13sec à Jeannot et signe le 9 ème temps à 3sec de la Celica d’Auriol et surtout… à 3sec d’Andréa Aghini son « ennemi » de chez Lancia Martini ! Une petite revanche. Dans Chateuvieux, Bug’ est fort, très fort… La Clio Maxi abandonnera un peu plus loin, sur la liaison.

Rendez – vous au Grasse Alpin pour la première manche du championnat de France. Face à l’Escort
Cosworth de Patrick Bernardini et Jean Marc Andrié, Philippe doit prendre tous les risques pour
maintenir le suspense. Le pilote Corse connaît une crevaison et fait une petite erreur, Philippe et
Thierry mènent le rallye pour 21sec. A la fin de la première étape, l’Escort est repassée devant… pour
1sec. La lutte est sans concession, magnifique, phénoménale. Au bord des spéciales, les spectateurs
retiennent leur souffle. Tout va se jouer dans Chateauvieux où Patrick donne tout et même un peu
plus. Philippe aussi… Au point stop Bernardini est en transe, Jean Marc Andrié regarde défiler son
chrono, il voit que l’équipage Renault est en retard. Sûr de leur victoire, il serre la main de son pilote et lui dit: « On peut y aller » … A cet instant, il y a 25 ans, le 1 er avril 1995, Jean Marc Andrié ne savait pas qu’il venait de gagner et de tout perdre à la fois. De perdre un de ses plus chers amis. Le succès, la course, le chrono… tout cela semble d’un coup tellement futile. Dans la frénésie de la lutte pour la victoire, Philippe et Thierry ont quitté la route, le choc est terrible. Le pilote est indemne mais Thierry a été tué, il allait avoir 28 ans. On peut aussi mourir par passion. Dans Chateauvieux, la dernière note de Thierry Renaud s’est envolée comme ça, bien haut dans le ciel des Hautes – Alpes. Restent les souvenirs de ce regard brillant et amusé. Qui d’autre que Jean Marc Andrié, ce poète disparu, pouvait rendre un plus bel hommage à son ami, en mai 1995 dans Rallyes Magazine : « Vrai, c’est le meilleur qualificatif pour Thierry. Une vérité sans faille. Sans concession. Il vivait pour courir. C’est terrible à dire, mais sa mort me renforce dans ma propre conviction : la course, comme toutes les passions, celles qui manquent à tant de gens aujourd’hui, est bien l’étincelle de la vie. C’est cette flamme de bonheur dans le regard de Thierry que je n’oublierai jamais ».




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Aquadro
Aquadro
3 années il y a

Je suis très très ému de lire ce texte. j’ai passé un an entier avec Thierry, en 1988/89 durant notre service militaire à Gap. On était armurier tous le 2 et on a passé des semaines et des semaines ensemble, enfermés, presque comme en prison, à rigoler, à parler rallyes à suivre le Monte Carlo 89 avec une petite radio collée à l’oreille pendant des tours de garde, (j’étais passionné de rallye aussi, en bon Ardèchois !) mais aussi musique, notamment Bon Jovi qu’il adorait… Bref tout ça pour dire que c’est sans aucun doute la personne la plus attachante,… Lire la suite »

Blanchet Emmanuel
Blanchet Emmanuel
4 années il y a

Merci pour ce bel hommage à Thierry qui était un très bon copain….depuis Philippe Bugalski et Jean-Pierre Bochatay ont rejoint Thierry là haut et c’est sûr qu’il doivent bien rigolé …merci….