Ils n’ont jamais été pilotes professionnels mais nous ont émerveillé à grands coups de talons-pointes, de survirages et de décibels. Ils ont – au moins – trois décennies de rallye dans le rétroviseur et nous parlent de leur passion et du temps qui défile par les vitres latérales de leurs montures…Des propulsions de préférence !
Hugues Delage : le gladiateur
Il s’est tout d’abord illustré guidon en mains, sur 4 roues il a brillé en course de côte et remporté des épreuves sur circuit, il a même signé un record du tour au 24H sur glace de Chamonix … Pour notre plus grand plaisir, Hugues Delage a surtout excellé dans sa discipline de prédilection, le rallye, avec chacune de ses voitures et principalement au volant de celle qui a forgé sa légende, la BMW M3. Son attaque, son engagement, sa bravoure, tout autant que sa nature irréductible en font une figure emblématique du rallye français. Rencontre avec un homme sincère, franc, passionné, un des derniers guerriers de la route.
Bonjour Hugues, merci d’accorder cette interview pour Rallye-Sport. Peux-tu te présenter brièvement ?
“Bonjour, merci à toi et Rallye-Sport. J’ai 60 ans, je suis marié, j’ai des enfants et aujourd’hui je suis même grand père, je suis spécialiste BMW et possède un atelier de préparation auto à Villeneuve-sur-Lot. Actuellement, je suis dans une période de transition car je cède mon affaire à un repreneur.”
Tout d’abord, peux-tu évoquer les origines de ta passion pour le rallye et le pilotage ?
“En réalité, ma passion initiale était la moto. J’ai fait un peu de tout sur 2 roues mais surtout du Motocross et de la piste mais je n’avais pas un rond, je roulais avec les pneus usés des autres…Et puis j’avais un handicap : mon poids ! Pour revenir sur cette période, je dois dire que « j’ai tout fait à l’envers » : j’ai été père de famille très jeune, je me suis mis à mon compte à 18 ans (carrosserie auto) puis j’ai fait l’armée… Mes priorités ont toujours été ma famille et mon entreprise, tout le reste passe après.”
En 1981, cela ne t’empêche de prendre part à ta première compétition sur 4 roues lors du gymkhana de Villeneuve-sur-Lot avec une Rallye 2. Tu as 20 ans. Un déclic?
“Ah oui véritablement ! Le jour même je me suis dit : je vais faire des rallyes ! A cette époque, j’avais peu d’argent et je bossais beaucoup donc je voyais plus ça comme un moyen de décompresser, de se défouler quoi ! J’effectue mon premier rallye sur une Escort RS 2000 avec un moteur d’origine et 4 Koni, je tente des freinages de dingue partout et je fais… 12 sorties de route ! Je finis dernier ! Suite à ça, personne ne voulait monter avec moi, tellement j’étais fou ! J’étais beaucoup trop fougueux, mais dés mon deuxième rallye, la Ronde Régionale de Bords, avec le courageux Fernand Murer à droite, on joue le podium puis très vite la victoire avec cette Ford que je faisais évoluer petit à petit.”
Effectivement, ta première victoire arrive rapidement, tu remportes la Ronde du Moulinou avec cette Escort. A partir de là, rien ni personne ne pourra t’arrêter, je me trompe ?
C”’est çà. Souvenir incroyable que cette première victoire (devant la R5 Turbo de Fernand Verrière) et puis c’est vrai, j’étais remonté à bloc, on faisait voler notre petite auto et on a commencé à faire de gros résultats partout…”
Résultats qui te propulsent à Mende en 1984 pour la première Finale de Coupe de France: 1er GrA avec l’Escort. Finale de Vichy 1985: 1er GrA mais cette fois-ci 4ème scratch sur la neige avec la Ford ! Ta carrière va finalement s’articuler un peu autour de ces « objectifs Finales » non ?
“Pas franchement, c’est venu comme ça parce que c’était nouveau. Je n’avais pas de plan de carrière ni d’objectifs précis, on voulait de l’adrénaline, rouler, se défouler et montrer notre niveau. A Vichy, avant la toute dernière spéciale, avec Alain Lafon en copilote, on pouvait encore jouer la victoire scratch face à la R5 Turbo de J.C. Alibert ! Je souhaitais gagner cette finale avec la RS2000. Sur la neige on a attaqué comme des fous, c’était vraiment du délire et puis on sort, évidemment, pour échouer au pied du podium. Lors de cette période, beaucoup de monde me poussait à faire des rallyes pour taper des gars qui roulaient avec de « grosses » autos…Disons que je n’avais pas vraiment besoin d’être encouragé, j’étais déjà bien assez optimiste ! D’ailleurs, j’ai eu droit à ma première photo dans Echappement lors du Quercy 85 en sortant sous le panneau… « l’ânerie » !”
A cette époque, ta carrosserie devient, au fil du temps, un atelier de préparation puis « Delage Sport ». Par passion ou par nécessité ?
“En fait, les gars du coin voyaient mes chronos, mes résultats, et du coup j’ai commencé à voir débarquer des GTE ou d’autres caisses à préparer, à régler…Puis de plus en plus. J’ai aussi fait beaucoup de rallyes avec des voitures de clients, certains sont devenus des amis. L’atelier a commencé à prendre de l’ampleur. Ensuite, je suis devenu spécialiste BMW.”
Changement de monture en 1986, tu choisis de monter une Manta 400. Avec la rage au ventre, tu gagnes tout et partout. Aujourd’hui, on ne se rend pas compte à quel point cette génération d’autos était physique à piloter…
“Ahhh là là… c’était incroyablement physique. Très dur ! Sur un rallye j’ai perdu plus de 4 kg ! Il n’y avait pas de direction assistée, je me suis bousillé les épaules et les coudes…En réalité, j’ai acheté une Ascona 400 puis une Manta et je me suis fabriqué cette Manta 400. J’avais vu passer Fréquelin lors du Bordeaux-Sud-Ouest 85 avec la Manta, à minuit(!) et j’avais alors décidé de monter ça ! Avec notre Manta 400 « maison » on gagne partout et surtout je ne fais plus d’erreurs, j’ai juste cassé le pare-choc avant !”
Début 1988, tu passes de la Manta à la Sierra Cosworth. Tu reste fidèle aux propulsions. En mai 88, Didier Auriol remporte le Tour de Corse au volant de ce modèle mais c’est toi qui offre la première victoire scratch à une Sierra en France. Parle-nous un peu de cette auto.
“En 1986, j’ai aussi roulé sur une Escort RS Turbo traction avant : une vraie m…. ! Pour en revenir à la Cosworth, j’ai loué ma Manta pour louer une Sierra GrN chez Sport Garage et effectivement, nous sommes les premiers à faire gagner cette auto dans l’hexagone, une GrN en plus…Après, je monte une petite Sierra GrA avec laquelle on gagne des rallyes, notamment Soulac et la Rochelle en 88, c’était une bonne auto mais pour la faire évoluer en top GrA ça m’aurait coûté beaucoup trop d’argent. C’est là que j’ai eu l’opportunité de récupérer la BMW M3 de Jean Pierre Damiao…”
Ici, c’est le véritable tournant de ta carrière de pilote et de préparateur. En 1989, tout va basculer. A la base, les M3 de courses sont développées pour la piste mais avec cette propulsion, le grand Marc Duez a fini 9ème du Monte-Carlo 89 ! Tu étais vraiment convaincu par le potentiel de la E30 pour un amateur comme toi?
“Oui, on peut dire que la M3 était « une mauvaise » voiture de route mais une super bête de course. Ceci dit, au début pour nous ça a été vraiment très très difficile, à tous niveaux. Déjà physiquement : sans D.A c’était l’horreur ! On gagne d’emblée quelques courses avec un petit moteur, une BV5, c’était un truc de fou, pointu, violent, assez inexploitable en fait… Aujourd’hui n’importe quel bon pilote trouverait ça totalement inconduisible ! Pour aller vite il fallait se dépouiller et prendre des risques. En perf’ pure, l’auto était à des années lumières des M3 d’usines…Mais on y a cru et on a fait évoluer la bête petit à petit, j’ai mis beaucoup de temps à faire un bon moteur. A l’époque, je pense que peu d’observateurs se rendaient compte de la difficulté de rouler avec cet engin… Cela pouvait paraître facile de l’extérieur ou à la vue des résultats mais ce n’était pas le cas du tout.”
Une Top M3 c’est environ 295cv à 7500 tr, ça prend 9000 tr, ça pèse environ 1060 kg et avec une BV6 c’est vraiment une très méchante bête de course. Gros potentiel…mais gros niveau requis ? Stéphane Poudrel trouve l’auto « facile »…
“Attention, la M3 est un véritable engin de guerre mais tout a évolué au fil des années. Les tops M3 qui roulent actuellement font plus de 300 bourrins, possèdent des D.A très douces et précises, du couple, elles sont hyper efficaces, sont équipées de BV6 extraordinaires. C’est le jour et la nuit ! Ma meilleure M3, celle de 97, était déjà fabuleuse, ça faisait 290cv et avec la BV6 que Sadev nous avait fait c’était top, jouissif… mais rien à voir avec les M3 « modernes » ! Pour répondre à ta question, je dirai que c’est facile d’aller vite en M3… mais que c’est très difficile d’aller très vite !”
Après cette saison de rodage, tu domptes « l’animal » et réussis une extraordinaire saison 1990 : 10 victoires et un premier titre en Coupe de France des Nationaux à Mâcon. Consécration ou étape ?
“C’est avant tout un merveilleux souvenir. Comme je te l’ai dit, le rallye restait quand même un « loisir », il n’y avait pas d’objectifs précis ni de comptes à rendre à personne. Evidemment, ça représentait une immense satisfaction car jusque là c’est moi qui autofinançait tout, il y a eu des hauts mais aussi beaucoup de bas ! Néanmoins, j’ai eu la chance, entre 90 et 93, de beaucoup rouler avec des voitures de clients. Puis, grâce à nos résultats, j’ai fait une rencontre déterminante : Mr Yves Bastiment de Yacco qui est devenu un véritable sponsor et partenaire. Avec la M3 aux couleurs Yacco, on a pratiquement tout gagné.”
En 1990, 91, 92 et 93 tu fais quelques apparitions dans la cour des grands en championnat de France, notamment au Rouergue. Un magnifique rallye non ?
“Ah oui c’est sûr, j’aime beaucoup le Rouergue mais c’est lui qui ne m’aime pas ! En 90 la direction lâche, en 91 on claque le 2ème temps dans Entraygues à 2sec de la Sierra 4X4 de Béguin, on loupe le podium bêtement et on finit quand même devant Ragnotti mais surtout, on passe pour la première fois à la TV… en prenant un carton rouge par M6 ! Tu parles d’une première ! Dans un chrono, ça volait bas, j’arrive trop vite et j’escalade un peu un parapet de pont sous les caméras des journalistes de «Sport 6» qui ont jugé mon comportement dangereux…En 92, on réussit le 2ème temps dans Alrance et on se bat pour le podium avec Béguin, Ragnotti et Cie avant d’abandonner, en 93 on casse la boite…”
Si tu veux bien, on reviendra un peu plus tard sur 1994 mais avant ça, il y a eu la Finale 93 à Soulac. Après une saison exceptionnelle, tu atomises tout le monde et décroches ton second titre de Coupe de France en Nationale. Mieux : ton poulain Christophe Cazot et sa M3 de la maison gagne le titre en Régional devant Stéphane Poudrel. Consécration totale pour Delage Sport.
“Oui, mais tu oublies de dire que nous sommes passés très près d’un « hold-up » total en GrA et en GrN lors de cette double Finale, à cette époque nous préparions plus de 30 voitures, des BM, des Escort… J’avais 13 mécaniciens et mon chef-mécano était alors Christophe Cazot ! Puis surtout, suite à ce carton plein et ma large victoire, « GAM-Restauration » débarque chez moi avec un budget conséquent et un beau programme…et une obligation de résultats !”
Dans sa génération on peut dire MONSIEUR M3.
Au Rouergue il taquinait les Clio usine.
Dans la descente de Villecomtal…. juste immense…
Incroyable pilote, un super,il a marqué son époque, énorme repect pour ce bonhomme, la M3 ma voiture préférée déjà le bruit, hyper spectaculaire aux mains d’artistes comme Hugues DELAGE