L’oeil de l’ingénieur (Rallye de Sardaigne)



Dans cette nouvelle chronique “L’oeil de l’ingénieur”, Cédric Mazenq nous emmène en Sardaigne, un rallye encore très exigeant du championnat du monde.

Le rallye de Sardaigne est un des plus lents et le plus sablonneux du championnat, et peut-être un des pires en terme de handicap, lié au balayage. C’est un rallye très technique, très étroit. Le profil des routes est extrêmement « challenging » comme disent les anglophones,  avec beaucoup de virages « aveugles », beaucoup de « délest » cachés, de la végétation sur le bord de la piste. Il y est très facile de faire des erreurs de pilotage. Gagner en partant devant, c’est quasi mission impossible, ce qui explique la tactique de Tänak lors du dernier rallye du Portugal, qui a préféré sacrifier quelques points pour ne pas ouvrir la route la 1ère journée. De manière historique, on y a toujours vécu d’énormes bagarres, et des coudes à coudes mémorables, la vitesse moyenne relativement basse favorisant les écarts faibles. On se souvient tous de cette bataille épique l’an dernier entre Neuville et Ogier : c’est le WRC qu’on aime !

Côté « politique », le rallye de Sardaigne est une épreuve assez décriée depuis des années, il y a vraiment un lobby pour annuler la Sardaigne et revenir sur le continent italien. Primo parce que beaucoup rêvent de revoir le Sanremo pour rajouter un « vrai » rallye asphalte, et rééquilibrer un peu le rapport entre asphalte et terre au niveau du championnat. Deuzio, parce que logistiquement parlant, les teams regrettent les frais supplémentaires liés au fait de parcourir un rallye sur une île, le même problème qu’en Corse finalement.

LA TECHNIQUE : BALANCE DE LA VOITURE

On va essayer de faire la lumière ce coup-ci sur un terme galvaudé dans les discussions rallystiques : la balance de la voiture….

Schématiquement, les performances d’une voiture dépendent de deux paramètres principaux.

En premier lieu, c’est le potentiel de grip absolu de la voiture. Grip longitudinal en phase d’accélération et de freinage, mais aussi grip latéral en virage. Ce potentiel global de grip, c’est la clé pour permettre d’exploiter au mieux le pneumatique, et être capable de maximiser la vitesse de la voiture. On peut différencier le potentiel de grip de chacun des axes de la voiture : l’axe avant, puis l’axe arrière.

Le deuxième paramètre, qui est en quelque sorte la manière dont on va réussir à exploiter le premier, c’est ce que l’on appelle la balance de la voiture.

Pour faire une analogie footballistique, le potentiel de grip c’est le niveau de l’équipe, des joueurs, le potentiel sur le papier. La balance, c’est comment réussir à exploiter cette somme de talents individuels au service de l’équipe.

Pour revenir à notre sujet, la balance est donc permettre au pilote de réussir à exploiter le potentiel de sa voiture, de rendre cette performance « absolue » facile à conduire.

Ce ne sera par exemple pas forcément la voiture qui a le plus de grip qui sera la plus rapide. Et dans le même ordre idée, une voiture très facile à conduire, mais avec un niveau absolu de grip faible, ne sera pas performante non plus, même si le pilote ne se plaint de rien…

Les ingénieurs et les teams essaient donc perpétuellement d’augmenter le potentiel de la voiture (c’est plus le rôle du design, de la conception), et ensuite de rendre ce potentiel exploitable (c’est plus le rôle de l’exploitation).

Donc la balance c’est quoi ? Une voiture, dans une phase donnée, est par définition soit sous-vireuse, soit survireuse. Quand elle est ni l’un ni l’autre, on dit qu’elle est neutre.

La 1ère fausse idée est de penser que la voiture la plus performante doit être une voiture neutre en toute situation. La 2ème fausse idée, c’est d’oublier que les 2 paramètres sont liées : si on veut rendre une voiture mois sous-vireuse, on va la rendre automatiquement plus survireuse, et vice et versa.

Régler la balance de la voiture, c’est donc positionner le curseur au bon endroit, pour que le pilote soit le plus à même d’exploiter son potentiel.

On décompose généralement les phases d’utilisation de la voiture sur 2 axes: phase du virage sur le 1er axe (entrée/milieu/sortie), et vitesse mini du virage sur le second (lent/moyen/rapide).

Cela nous donne au total 9 configurations (9 phases), pour lesquelles il faut trouver une balance optimale.

La théorie de base est la suivante, même si la vérité dans ce domaine n’existe pas :

Plus un virage est lent, plus on a besoin d’un potentiel avant plus important que l’arrière, donc on essaie d’obtenir une voiture à tendance survireuse ; à contrario, plus un virage est rapide, plus on a besoin de sensation de calage du train arrière, donc on a besoin d’une voiture légèrement sous-vireuse.

De même, en entrée, on a besoin sur la phase de frein que l’arrière « accompagne » l’avant, donc on essaie d’avoir une voiture neutre à légèrement survireuse. En sortie, pour éviter des dérives du train arrière qui sont chronophages, on aura besoin d’une auto typé sous-vireuse.

Vous comprenez aisément la difficulté de trouver la voiture parfaite (le graal !), surtout quand on rajoute par-dessus les spécificités du terrain et le style du pilote.

C’est un compromis permanent à trouver entre le prédominance relative du potentiel d’un axe par rapport à l’autre.

Alors comment agir sur la balance ?

Il y a une multitude d’éléments de setup qui vont rentre en ligne de compte. Un des principaux leviers, c’est de jouer sur la balance antiroulis. Autrement dit la répartition d’antiroulis de l’axe avant par rapport à l’antiroulis total de la voiture. Un centrage de 30%, cela veut dire que 30% de l’antiroulis de la voiture est assurée par l’axe avant, et donc 70% par l’axe arrière.

Si l’on opte pour une prédominance arrière, la voiture sera plus « tenue » à l’arrière par rapport à l’avant, et on aura donc une tendance survireuse de la voiture. Et inversement.

Pour finir et retourner en Sardaigne, qui est un rallye relativement lent, on aura donc des autos avec un centrage antiroulis plutôt sur l’arrière, pour avoir une balance voiture plutôt survireuse ! CQFD !

ERREUR À NE PAS FAIRE

“Le gros piège en Sardaigne, c’est de crever ou pire d’arracher une roue. C’est un rallye vraiment très étroit, souvent mono-trajectoire, (“no room for mistake”). Il faut être très précis dans son pilotage et il est très facile de taper quelque-chose. Ce sont vraiment des spéciales pièges, et la chaleur, la poussière et le profil des routes font que chaque pierre, racine, arbuste sont des invitations pour les roues des WRC….

Dans le genre “erreur à ne pas faire”, pour faire un clin d’œil à l’édition précédente, on peut aussi rajouter d’éviter d’oublier son carnet de pointage au point stop.

LE JUGE DE PAIX

Le juge de paix de la Sardaigne, il s’est peut être joué entre le Monte Carlo et le Portugal ! En effet, d’entrée, la position au championnat avant d’arriver en Sardaigne est presque annonciatrice de la perfo possible de chacun des pilotes. C’est ultra difficile de gagner si tu es premier sur la route. Le rallye s’est peut-être joué avant même le départ, et il y a neuf chances sur dix que le leader du championnat ne puisse pas gagner à la régulière.

Techniquement, la journée du samedi peut-être très problématique pour les pneus. Le choix de pneus pour la boucle de l’après-midi peut-être très difficile. Là encore c’est toujours une question de compromis : le medium apporte un potentiel de grip supérieur, mais sur une durée moindre ; le hard a moins de grip « gomme », mais va être plus résistant : les courbes de performances se croisent donc, et il faut donc faire les choix les plus judicieux. Attention aussi aux conclusions : il n’y a pas « UN » bon choix de pneus par boucle. Le bon choix de pneus dépend de sa position sur la route, de sa voiture, de son pilotage, de la météo des jours à venir…. Et la Sardaigne, du fait de la couche importante à balayer, favorise le besoin de grip mécanique au détriment du grip par adhésion : le pneu Hard est donc souvent légion.

L’ANECDOTE 

Dans cette période de discussion sur les tactiques, ordre de passages, retour à un shakedown qualificatif, etc…  je ne peux m’empêcher de repenser à l’édition 2011 de la Sardaigne. Cette année là, Sébastien LOEB va ouvrir la route 3 jours durant, et va s’imposer avec 11s d’avance sur Hirvonen et 23s sur Petter Solberg, avec qui je travaillais ce weekend là. Une performance MAJUSCULE. Pour en avoir parlé à plusieurs reprises, notamment avec Didier Clément son ingénieur historique des belles années WRC, ce rallye représente à mes yeux la quintessence de la performance : être en mesure sur un terrain si pénalisant de garder la tête de l’ES4 à la fin du rallye, s’offrant la luxe de réaliser 4 temps scratchs, c’est pour moi un summum absolu, un vrai grand moment de sport, même si il faut être suffisamment informé pour en estimer la valeur intrinsèque.

Seb, Daniel et la DS3 avait réussi à élever leurs niveaux pour réellement tutoyer la perfection sur un weekend complet, sans aucune autre aide extérieure que leur seul talent. Comme quoi, c’est possible 😉




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Jay
Jay
4 années il y a

Bjr tous , le grip mécanique est une façon de parler du grip de la voiture sans l’appuis aéro,qui rajoute de la efficacité au grip meca.. une façon de différencier le “mécanique” du fluidique.. même si le fluidique s’appelle “mécanique des fluides” lol

bibi
bibi
4 années il y a

Pour info , c est le contraire ! … c est sur des rallyes rapides comme en Suède et Finlande qu’il y a le moins d’écart et que vous perdez le rallye dès que vous avez 15 sec de retard souvent difficiles à remonter, sauf à des exceptions près evidemment genre Sardaigne 2018.les Rallyes genre Chypres, Sardaigne etc …regardez où se trouve souvent le 3 ème ! …
Cordialement