Après une première chronique finlandaise, puis une seconde sur Jean-Luc Thérier, Jeff vous plonge cette fois dans l’histoire du rallye du Mont-Blanc, et plus précisément sur l’édition 1989 où la bataille du groupe N aura été éclatante entre Alain Oreille et Christian Gazaud.
Joux Plane Acte I. Vendredi 1er Septembre 1989, ES 3. Dans ce col classé hors catégorie chez les cyclistes, la M3 de Chatriot devance la Delta à Saby et la Sierra Cosworth de Baroni. Cette rentrée des classes s’annonce belle quand, à Joux Verte, Bruno devient rouge de rage : le moteur de l’italienne est HS. Malgré 3 scratchs, Pierre César et sa Ford ne peuvent rien face à la BMW du « Chat » dont l’agilité n’est plus à démontrer. François Chatriot s’envole vers la victoire, inexorablement et on se dit alors que le rallye est plié. C’était sans compter sur quelques seconds couteaux, des mal – armés…
Joux Plane Acte II. ES 10, 20,20 km dont 10 km de descente sur Morzine pour clôturer la journée. Et quelle descente ! Au départ, deux espoirs du rallye Français. La relève des Thérier, Ragnotti, Auriol… Deux guerriers et une même obsession : le chrono. Deux pilotes hors catégorie : François Delecour, 27 ans et Christian Gazaud, 28 ans. François, lui, rêve d’un podium au volant de sa 309 GTI GrA. Quand on accuse 120 ou 130 cv de déficit par rapport aux leaders, on n’attend pas de miracle… plutôt les descentes. Le père « freine – tard » ronge son frein dans les montées et ses plaquettes dans les descentes. François est en furie face à la Sierra de Jean Pierre Ballet. Il fera tout pour monter sa 309 sur cette fameuse boite. ES 10 donc, ce haut lieu. La pluie et le brouillard y transcendent Delecour qui vole et s’offre un 2ème temps extraordinaire, à 2 sec seulement de Chatriot mais 15 sec devant Ballet. C’est ici, de nuit, que le gain du GrN va prendre une tournure héroïque. Face aux puissantes Sierra Cosworth de Mauffrey, Deybach et Thiry (Philippe, pas Bruno) les deux R5 GT Turbo d’Oreille et Gazaud attendaient la saucée avec impatience. Alain Oreille, 38 ans, pilote officiel Renault depuis 1985 est La référence. Il possède une « soufflette » d’usine couvée chez Edmond Simon. 1989 pour le pilote de Martigues, c’est déjà deux victoires de GrN au Monté Carlo et en Corse. Surtout, il y aura la victoire scratch lors du rallye de Côte d’Ivoire, la seule victoire absolue d’une soufflette en mondial (!) et en fin d’année, le titre FIA – Production. Un gros poisson quoi…
Face à cet ancien maçon Martégal, il y a un biscuitier Lotois. Christian Gazaud est le premier vainqueur historique de La Coupe R5 GT. Avec lui, l’expression « attaquer comme une bête » prend toute sa signification. Un an plus tôt, au volant d’une 5GT GrN, il remportait le rallye du Quercy devant la Manta 400 d’un certain Hugues Delage. Cette saison, Gazaud va tout tenter, partout, tout le temps et surtout par tous les temps afin de décrocher un volant d’usine. Ici, son adversaire, c’est Oreille. La monture du pilote du Lot est préparée par un Docteur ès – soufflettes. Dans son bloc opératoire de St Marcel de Careyret, le « pneumologue » Jean Louis Cupissol donne du souffle aux Super 5 GT et Christian est son étendard. Au cours de cette première étape, ce dernier connait une crevaison et y laisse 1min30… Il n’y a rien de pire qu’une bête blessée ! Dans Joux Plane, le biscuitier sait que les conditions sont réunies. En caricaturant, on peut dire que dans la montée du col, ça se passe sous le capot mais que passé celui – ci, c’est entre le siège et le volant jusqu’à Morzine. Au point stop, le biscuitier du Quercy encore essoufflé voit que Delec’ lui pose 16 sec en 20 bornes, seulement, mais surtout, qu’il vient de signer le 5ème temps absolu. Le pilote de la « soufflette à remonter le temps » colle 43 sec à Oreille. Une guerre fratricide éclate ! Trente ans plus tard, on pourrait dire que Gazaud et Delecour étaient précurseurs de la technologie hybride : ils se chargeaient de rage, de fureur et de révolte dans les montées et restituaient toute cette énergie sous forme de frénésie et de bravoure dans les descentes. L’essence même du rallye ! Vendredi soir, Thiry mène le GrN devant Mauffrey à 30 sec et Oreille à 36. Gazaud suit à près d’une minute.
Le lendemain matin, un autre haut lieu cycliste, le col de la Colombière, ouvre les hostilités. Les Ford et leurs cavaleries en remettent une couche. Reste 8 chronos et 155 bornes. Meru, 22,7 km noyés dans la pluie et le brouillard. Le père freine – tard se transforme en père – fouettard et met une raclée à Chatriot. Scratch de la 309! Si les conditions sont bonnes pour François, on se dit qu’elles le sont aussi pour Christian (Gazaud). Remonté comme un coucou Suisse, l’animal signe le 4ème temps absolu et reprend 13 sec à son frère d’arme. Tamiè, 11,6 km de boulevards, Chatriot remet les pendules à l’heure, les Sierra GrN aussi. Oreille et Gazaud sont ex -aequo. Plus que 6 spéciales et 15 sec séparent les deux soufflettes. Fort du Mont, Christian insiste mais ne reprend qu’une seconde à son ennemi préféré. Bisanne, Mauffrey crève puis Thiry touche. Oreille se révolte et pose 15 sec à Gazaud en 26 km ! Avec 29 sec d’avance pour Alain, on se dit alors que la messe est dite pour le GT « made in Cupissol ». Tamié, second run. Christian grappille 4 sec. Reste 3 chronos et 64km. Fort du Mont bis, Delecour claque le 2ème temps et anéanti les derniers espoirs de Ballet pour le podium. Gazaud, en magnifique conquérant de l’inutile, pose 2 sec à Oreille malgré un pneu dégonflé… Les routes s’assèchent pour de bon et du côté de St Marcel de Careyret, avec 23 sec de passif, ça sent le roussi. Pour Renault Sport et Simon Racing, l’averse est passée, la menace aussi. Quoique… Bisanne, dernier passage. Christian se défonce, encore et toujours… 6 unités reprises à Alain, pour la postérité.
Joux Plane, Acte III. Samedi 2 septembre 1989. Epilogue. L’équation est simple : Gazaud doit reprendre 17 sec en 20 km à Oreille. Impossible sauf que… le soleil disparait soudainement au dessus de Morzine. Déjà, là haut, les vannes célestes s’ouvrent sur les cimes. Les géants auront bientôt les pieds dans l’eau. Il était écrit que ce jour là, la montagne n’accoucherait pas d’une souris. Tout le monde part en slicks. Tout le monde… sauf un qui, au dernier moment, fait le pari de monter 4 pneus pluie. Les minutes s’égrènent au dernier point stop. Interminables. Le temps s’est arrêté et les mines sont défaites. Là haut, à 1691 mètres, sous des trombes d’eau, c’est le « salaire de la peur »… Delecour signe le scratch provisoire. Son copilote, Tilber, est livide… Les Sierra GrN arrivent puis c’est au tour d’Alain. D’ailleurs, on entend déjà le souffle caractéristique de la R5GT dans les derniers lacets. Mais c’est un vent de la révolte qui surgit ! La Super 5 N°42, avec 4 pneus pluie et un pilote en transe vient de réaliser l’impensable ! Un incroyable temps scratch. 1min20 devant Alain Oreille ! Tout le monde est abasourdi. Après 283 km de frénésie, Christian Gazaud rejoint Morzine en 7ème position et souffle la victoire de GrN à Alain Oreille. Hors catégorie.
Il est devenu quoi ce Gazaud par la suite?
Merci et bravo pour ce récit, je m’en souviens comme si c’était hier. Que de frissons à la lecture de article. Je crois que cette épisode figure certainement parmi les plus gros exploits du CDF. C GAZAUD pour ceux qui s’en rappelle, aurait largement mérité un vrai “volant officiel” (d’une Peugeot notamment …) !!! Grand Monsieur, avec une simplicité et humilité exemplaire.