Monté Carlo 1985 : Legend’Ari



On poursuit le récit du Monte-Carlo 1985 conté par Jeff cette semaine. Après l’avertissement lancé par Vatanen et Peugeot à l’armada Audi dans la 8ème spéciale de ce 53ème Monté Carlo, la confiance a changé de camp. Ari est déterminé, de plus en plus serein, alors que l’imperturbable Röhrl commence à douter de ses chances.

Au cimetière de Vassieux, le Vercors est entrain de se couvrir d’une belle couche de neige et sur les 32km de chrono, 15 sont revêtus d’un magnifique manteau blanc que les rescapés vont découvrir en pneus clous et à la lueur de leurs phares. Ari inflige une nouvelle correction au pilote Allemand, il reprend 15sec et s’empare du commandement, pour 7sec. Audi et Röhrl mettent un genou à terre et à la télé, à la radio, c’est un événement ! Exploit de Maurice Chomat qui réalise le 7ème temps avec sa Visa 1000 Pistes et pour un fantastique Henri Toivonen qui pose 8sec à la 205 T16 de Salonen au volant de sa 037 et… 1min17 à l’autre Lancia de Biasion ! Qu’importe le flocon, pourvu qu’on ait l’adresse…

Nuit et brouillard à St-Michel-les-Portes. Chomat fait encore plus fort et signe le 5ème chrono à 20 sec de la Quattro de Blomqvist en 37km. Ce terrain là rappelle surement à Vatanen ses terres Scandinaves, il devance son concitoyen Salonen de 28sec et Röhrl de… 53sec. La 205 T16 et le grand blond possèdent désormais 1min d’avance. La France exulte !

Avant de descendre à Grenoble, il reste un morceau, et un sacré ! Un juge de paix, et à 2H du matin s’il vous plait. 43,5km de neige et de glace entre le Sappey et Café Carret, la fameuse Chartreuse. Pour la seconde fois d’affilée, Röhrl est au plus mal et subit même la loi du Suédois Blomqvist. Le regretté Chomat, qui pilote alors la Visa dévolue au pauvre Thérier, excelle à nouveau. Roi de la glisse, Maurice domine ses équipiers Andruet et Wambergue et claque le 6ème temps. Quelques mois plus tard, l’ex-pilote moto et officiel Honda, remporte les 1000 Pistes avec une Lancia 037, plus de 5min devant la Porsche de Béguin…Ari s’est envolé et rentre à Grenoble avec 2min04 d’avance sur Walter et 5min55 sur Timo.

Changement de décor après le regroupement. Le Pont du Sautet est sec et Biasion s’impose. Bien aidé par les 430 ou 450 cv de sa Quattro Sport, Röhrl reprend du poil de la bête, il utilise toute la largeur de la route et devance le leader. Dans le rapide il y a lui, Toivonen, Vatanen…puis les autres ! Mais dans le serré, le bât blesse ! L’Audi sous-vire désespérément tandis que la 205 T16 enroule. Au Col-de-Manse – la Bâtie-Neuve, Vatanen pose 1sec au kil à l’Allemand. Le tarif normal ! Pourtant, le vainqueur de l’édition précédente donne tout et le spectacle est grandiose !

A Chorges, Röhrl continue d’attaquer, en 23 km il met au supplice son équipier Blomqvist et lui administre 43sec…Mais ça ne suffit pas. L’Allemand accumule 15sec supplémentaires sur la petite Française ! A Bayons, enneigé à 70%, Ari en état de grâce plane au dessus du Col-des Garcinets. Röhrl ne sait plus quoi faire, plus quoi tenter…Quelques soient les conditions, Vatanen et Peugeot sont inattaquables. L’Allemand qui d’ordinaire ne commet jamais d’erreurs stratégiques, tente un coup de folie dans les derniers 32 km de Savoyons avant d’entrer à Gap. De nuit, l’ultime spéciale du jour passe par Barcillonnette et tout le début du chrono serpente le long d’un effrayant précipice. Cette première partie est verglacée, Ari part en clous tandis que Walter… choisi les slicks. Sur le verglas le long du ravin, tel un funambule au dessus du vide, Röhrl tente le tout pour le tout ! Son équipier Christian Geistdorfer dira plus tard avoir vieilli de 10 ans à chaque km parcouru de ce début de chrono ! L’Allemand a commis une grosse erreur, il fallait les clous mais signe néanmoins le 2ème temps, 33 sec devant Blomqvist pourtant bien chaussé. Il y a d’authentiques exploits qui passent inaperçus…Vatanen remet 40 sec d’avance supplémentaires dans sa besace et vers 23H, il rentre au regroupement avec une confortable avance de 3min19.

C’est là, à Gap, que va se jouer toute la dramaturgie et toute la légende de ce Monté Carlo 1985. C’est là aussi que le mythe Ari Vatanen va prendre ses racines et que Terry Harryman, le coéquipier du pilote Finlandais, va devenir le héros malheureux d’une incroyable histoire…

Pour que l’histoire soit belle, peut être qu’il faut aussi quelques larmes. Quand il rentre à l’Hôtel de la Paix aux premières heures de ce 30 janvier, Terry a les yeux humides et tout le poids du monde sur les épaules. Un peu plus tôt, vers 23H30, à l’entrée du contrôle horaire, Terry ne comprend pas pourquoi Walter n’est pas encore arrivé…mais il fait signe à son pilote de rentrer dans le parc. Puis, d’un coup, le visage du Britannique, ancien copilote de Tony Pond et Malcolm Wilson, devient tout pâle…Terry se prend la tête entre les mains et réalise qu’ils ont pointé au CH quatre minutes trop tôt ! La sanction tombe: huit minutes de pénalités ! Du coup, les 3min19 d’avance se transforment en… 4min41 de retard ! Les copilotes aussi ont le droit à l’erreur ! En grand seigneur, le nouveau leader Walter Röhrl va voir son ami Ari et lui dire qu’il est désolé et qu’il regrettait cet injuste fait de course, que cela n’avait rien à voir avec le sport. Ari reste longtemps assis au Bar de l’Hôtel, il n’accable pas le pauvre Terry et dans ces instants tragiques, il puise des ressources insoupçonnables. Vers 4H du matin, le clan Peugeot, abattu, quitte l’Hôtel de la paix mais le pilote Finlandais est bien décidé à déclarer la guerre contre le temps. Après le poids des maux, le choc des chronos…

30 janvier : cinq heures du mat’ j’ai des frissons, je claque des dents et je monte le son… de mon poste Radio réglé sur RMC. Après une nuit d’insomnie et de sommeil cassé, la France a la gueule de bois. Ils restent 400km de chronos. L’équation est simple, « le roi lion » doit reprendre 0sec7 au kil à Röhrl. Ari ouvre la route et pointe à l’heure au départ de Laborel, à 5h58. La lionne rugit et réveille un Col-du-Perty encore engourdi par le froid, elle pose 19sec à une rugissante Quattro…en 20 bornes. Le jour se lève sur la montée du Col-de-Fontbelle et Vatanen remonte encore 26sec …Presqu’à domicile, Chomat est 8ème à 10sec de Biasion en 37km. Puimichel, le soleil est maintenant bien levé et sur le sec, la T16 raccourcie encore le temps de 13 unités alors que Bruno Saby pointe le museau de sa 205 dans le haut du classement. Dans Trigance, un haut-lieu, Vatanen au sommet de son art commence à semer le doute dans l’armée teutonne. Le roi Walter laisse 44sec en 34km et son rêve d’une 5ème victoire commence même à s’émietter. Mais tout comme Ari qui est profondément croyant et qui semble porté par une foi inébranlable, l’ancien séminariste n’abdique jamais…

Avant d’en finir avec cette étape commune, l’Allemand abat ses dernières cartes dans les 30km du Mas-Aiglun. Vatanen attaque et faute sur le verglas, malgré l’aide des spectateurs il échappe là une quarantaine de secondes. Parti une minute derrière, Röhrl est alors entrain de réussir un coup de génie dont il a le secret. Dans ce mythique chrono de St-Auban, l’Audi s’envole vers l’exploit, Walter a même la Peugeot en ligne de mire quand il sous-vire un peu trop, tape un rocher à 10km/h et casse un triangle. Röhrl laisse s’évanouir 1min et Vatanen revient à la vie.

Jeudi 31 janvier, le Col-de-la-Madone lance l’étape finale. Il reste 260km, Vatanen doit reprendre 0sec5 au kil à l’Audi s’il veut rentrer dans la légende. Mais Röhrl, c’est Röhrl…c’est-à-dire La référence sur ces routes. A l’entame de cette folle descente sur Monaco, la Quattro devance la 205 de 3sec. Dans le Turini, Ari donne tout mais Walter résiste. Au Col de la Couillole, il y a beaucoup d’eau et de neige fondue sur la route, le finlandais allège d’un coup l’écart de 22sec en 22km mais c’est une autre 205T16, celle de Bruno Saby, qui réussi son premier scratch ! La suite de l’histoire, c’est une histoire de gommes et de clous, une histoire d’hommes et de conquêtes, de victoires et de défaites. Une histoire de routes et de destins…

La France entière retient son souffle, l’armée Française de Jean Todt, ce « Napoléon » de l’armée Peugeot, semble en passe de réaliser l’impensable. Vatanen est revenu à 1min30 de l’exploit et Röhrl joue maintenant ses dernières cartouches. En surplomb de la vallée du Var, la 27ème spéciale part de Puget-Théniers et ce sont 7km de montée sur de la neige fondue qui conduisent les concurrents au col Saint- Raphaël. Le reste, sur 20km, est parfaitement sec. Ari choisi des Michelin A3, c’est-à-dire avec un petit cloutage. Walter qui parait plus audacieux que jamais choisi des TRX T1 pour asphalte humide. L’Allemand n’a jamais autant douté et se voit dans l’obligation de jouer son destin à la roulette Russe… Immédiatement, il comprend que son choix de pneus est insensé, la Quattro patine, zigzague, n’avance plus, la montée du col Saint- Raphaël dure une éternité. Pour le quadruple vainqueur, c’est la Bérézina. Au bout de 3km, Vatanen rattrape le leader puis le dépasse …Walter a le temps de croiser le regard de Terry et aurait même le temps d’admirer les contreforts du Mercantour au loin…La Peugeot s’éloigne et la victoire aussi. Portés par une foule en délire, Ari Vatanen, Terry Harryman et la 205T16 reprennent 2min23 à l’Allemand et retrouvent la première place, leur première place ! Avant la dernière nuit, Toivonen touché par la grâce s’impose dans le Col-de-Porte où son équipier Biasion accuse 34sec de retard en 17km. Vatanen – Harryman possèdent 1min13 d’avance sur Röhrl – Geistdorfer. Un copilote a le droit de se tromper… mais c’est au pilote de réparer l’erreur !

Il reste 6 spéciales et sauf coup du sort, la 205 T16 et Vatanen devrait s’offrir une 4ème victoire d’affilée (sur 1984 et 1985). La plus prestigieuse. Le Col-de-la-Madone sonne le début de la fameuse nuit du Turini et Toivonen réalise un nouveau numéro. Avant de rejoindre le port de Monaco en 6ème position, 26 minutes devant la R5 Turbo de Dany Snobeck (!), le virtuose de Jyväskylä réussit un nouveau scratch à Lucéram. Le petit prince reviendra, et avec d’autres ambitions…Les Citroën Visa d’Andruet et Chomat ont réalisé des miracles et rentrent à bon port dans le top 10. Alain Oreille a survolé le GrN avec sa R11 Turbo mais le premier français de l’épreuve s’appelle Bruno Saby, 5ème. Le Grenoblois est devancé par la Quattro de Blomqvist et par son équipier chez Peugeot Timo Salonen qui monte sur la 3ème marche du podium. Walter Röhrl s’incline avec les honneurs et rend hommage au vainqueur, un grand, un très grand Ari Vatanen.

La remontée impossible de l’ange blond et de sa Peugeot aura un énorme impact en France. L’histoire d’amour entre Vatanen et la France ne s’arrête pas là. Le Finlandais décroche ensuite une 5ème victoire consécutive en Suède puis frôle la mort en Argentine quelques mois plus tard. Ari est alors en arrêt cardiaque mais revient miraculeusement à la vie…La folle épopée des GrB va bientôt prendre fin mais Vatanen reviendra et va écrire la suite de sa légende en Afrique, puis sur les Pentes de Pikes-Peak au Colorado avant de faire son retour en rallye où il démontre n’avoir rien perdu de sa bravoure. Ari et sa famille s’installent en France et exploitent une ferme dans les Alpes-de-Haute-Provence. Il devient même un formidable ambassadeur tricolore et je n’ai encore jamais entendu personne dire : je n’aime pas Vatanen… En France, Ari Vatanen jouit d’une popularité extraordinaire et à 68 ans, il fait toujours l’unanimité. Au volant, dans la vie, Vatanen reste un modèle, un exemple mais bien plus que ses exploits sportifs, ce qui a fait de lui une véritable légende vivante, c’est son supplément d’âme !

Depuis 1967, aucun pilote Finlandais n’avait remporté le Rallye Monté Carlo. Vatanen avoue : « Ma passion pour le rallye remonte à l’époque où les Finlandais volants fonçaient sur les routes des Alpes dans leurs Mini-Cooper. J’avais alors 14 ans et j’écoutais, les yeux brillants, les reportages à la radio, et je lisais dans le journal les articles et je rêvais :…et si moi, un jour… »





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Jerome
Jerome
3 années il y a

35 ans après.Jeff vous me faites ressentir les mêmes frissons
Que monsieur Vatanen me fit ressentir en direct!! Merci

RallyePlaisir
RallyePlaisir
3 années il y a

Jeff, vous êtes génial.
Si vous écrivez un livre, faites-le savoir.
Un grand merci pour ce récit en particulier mais tous les autres aussi.
Que dire ? tout est super : l’émotion, l’écriture, la précision, la compétence, les bons souvenirs d’une belle époque… Bravo et encore merci.