Emprisonné entre les quatre murs du pensionnat de Montgontier qui domine la plaine de la Bièvre en Isère, le petit Bruno rêve d’évasion…
Un soir, il s’échappe du dortoir, et de son promontoire où il peut distinguer les concurrents du Tour de France Auto dans la plaine. Son destin est tracé : sa vocation sera d’être pilote de rallye.
Dans son village de Theys, au pied de la majestueuse chaîne de Belledonne, l’enfance de Bruno Saby est tumultueuse au sein d’une modeste famille de 7 enfants mais ses envies d’action et d’évasion sont rassasiées par les nombreux rallyes qui sillonnent la région Grenobloise. Au départ d’un rallye Monte-Carlo, un p’tit Saby bien timide ose aborder le grand René Trautmann … Désormais, son rêve sera de conquérir le Monte-Carlo.
En 1967, Bruno rencontre Renée qui deviendra sa compagne et son indéfectible soutien. En avril 1967, à 18 ans, il prend le départ de son premier rallye, le rallye des Dauphins, avec l’Ami 6 paternelle et papa Augustin à droite.
D’exploits en exploits, Saby se retrouve emprisonné par la Burle et les congères sur le Plateau de Burzet lors des reconnaissances du Lyon-Charbonnières 1970. C’est le début d’une grande histoire avec ce haut-lieu… Il remporte le rallye des Dauphins au volant de sa Simca 1000 et cette victoire sert de catalyseur.
Dès lors, pour participer au plus dur et plus beau rallye du monde, il lui faut une voiture parfaitement préparée. Bruno Saby est discret mais sa personnalité cache une volonté et une force inépuisables. Il créer son atelier de carrosserie dans le garage de la maison familiale et travaille dur afin de se payer une Ford Capri et l’engagement pour son premier Monte-Carlo, en 1971. L’aventure se termine par une sortie de route mais Bruno va grandir et ce rallye va devenir son obsession.
En 1973, le Grenoblois se présente au départ de la 42ème édition mais la R12 Gordini est lâchée par son pilote grippé (!). Trois interminables années vont suivre.
Enfin, en 1976, le talent de Bruno explose au volant d’une petite A112 Abarth. La Stratos de Munari gagne le Monte-Carlo pendant que notre jeune héros domine toutes les autres A112 avant de casser une transmission…Mais l’essentiel est fait, Saby s’est révélé aux portes du haut-niveau.
Sans volant pour le 45ème Monte-Carlo, Saby enrage et l’acteur Jean Louis Trintignant lui propose alors sa propre voiture pour l’épreuve…Magnifique geste que Bruno refuse !
En 1978, le jeune carrossier prend le départ de son 4ème Monte-Carlo, avec une A112. Il se montre flamboyant mais la courroie d’alternateur de la petite italienne stoppe la démonstration.
Changement de décor en janvier 1979. Pour affronter la 47ème édition, Saby se voit confier une R5 Alpine Gr2 officielle. Certes, sa monture est une version « client » moins performante que les versions usines de Ragnotti et Fréquelin mais il peut s’étalonner face à un plateau de Gr2 royal : outre les R5 Alpine, on trouve les Fiat Ritmo de Bettega et Eklund, la Golf GTI de Thérier et les Fiesta de Clark et Vatanen. La victoire finale se dispute entre Fréquelin, Thérier et Vatanen et le « grizzly » aura le dernier mot mais Bruno claque plusieurs 3ème temps de catégorie, notamment dans Sisteron, avant d’abandonner pour la 5ème fois consécutive…et la 3ème exactement au même endroit : dans le col de la Couillole !
La roue tourne. Associé à Jean Marc Andrié, Saby rallie Monaco en 1980 et décroche le classement promotion avec une R5 Alpine. L’année suivante marque un tournant décisif. Sur la liste du Monte-Carlo 1981, son nom est inscrit aux côtés de Jean Ragnotti, au volant de la nouvelle R5 Turbo. Une reconnaissance. Cette 49ème édition est très difficile, la Porsche 911 de Thérier est intouchable avant de sortir sur de la neige déposée par des inconscients… Dans La Colle Saint-Michel, c’est Bruno Saby qui sort à son tour sur de la neige déposée par des c… L’équipage Ragnotti – Andrié remporte une victoire historique mais Saby a été excellent et a même réussi son premier temps scratch en mondial.
En 1982, Bruno effectue son 8ème Monte-Carlo avec une petite R5 Turbo de 200cv du team Galtier et rentre 5ème à Monaco après un remarquable parcours de 750km. Un exploit ! Sur un rallye très sec, l’Ascona 400 de Walter Röhrl est inattaquable, l’Allemand décroche sa deuxième victoire sur ces routes. L’année suivante, Walter pilote une Lancia 037 et survole à nouveau la course tandis que Saby, une fois encore malchanceux, fini 13ème. La boite à vitesse de sa R5 Turbo donne des signes de faiblesse dans… le Col de la Couillole (!) alors que Bruno est 6ème entre les Ascona 400 de Vatanen et Toivonen. A ce moment là, le grenoblois visait la 5ème place, devant les Finlandais volants…
Le Monte-Carlo 1984 consacre les Audi Quattro qui réussissent le triplé. Röhrl signe 15 scratchs et remporte l’épreuve. Jean Luc Thérier, héroïque sur la neige, hisse sa R5 Turbo au pied du podium. Derrière le Normand, la lutte pour la 5ème place fait rage entre la 037 d’Attilio Bettega et la R5 Turbo de Bruno Saby. Après 20 ES, l’équipage Saby – Andrié devance de 3min41 la Lancia… avant de sortir de la route. Dommage !
Associé au regretté Jean François Fauchille, Bruno effectue les 1000 Lacs 1984, une épreuve marquée par le succès historique d’Ari Vatanen et sa 205 T16. Jean Todt, responsable du programme rallye chez Peugeot est présent à Jyväskylä et remarque la prestation de la R5 Turbo N°15 qui rentre 8ème dans la capitale de Finlande centrale. Une preuve de bravoure ! A l’aube de la saison 1985, l’espoir tricolore est contacté par la marque au Lion qui lui propose un poste de pilote d’essai au volant de la nouvelle arme absolue plus quelques rallyes … dont le Monte-Carlo. Le rêve se dessine.
Bruno et Jean François abordent le Monte-Carlo 1985 avec humilité et beaucoup de pression. Le nouveau pilote Peugeot est très attendu et très tendu, il n’arrive pas se libérer et laisse Vatanen et Röhrl s’expliquer devant. Dans la spéciale de la Souche, Bruno quitte la route et y laisse 5 minutes… Au fil du rallye, la confiance revient, face à la 205 de Salonen et la Quattro de Blomqvist, le Grenoblois monte en puissance et sent bien qu’il est potentiellement plus rapide qu’eux. Dans le Col de la Couillole, Bruno conjure enfin le sort et s’offre le scratch, 8sec devant Vatanen et 30sec devant Röhrl…Ouf ! Il finit 5ème à 34sec de Stig Blomqvist. Jean Todt a eu raison. Maintenant, Bruno Saby en est sûr : il peut gagner ce rallye et il se dit que s’il ne décroche jamais de victoire au Monte-Carlo, il n’osera jamais dire à ses petits-enfants qu’il était pilote de rallye…
Lundi 20 janvier 1986, Aix les Bains. 36 spéciales, 880 km de chronos. Sept jours de verglas, de glace, de neige, de rires…et de larmes aussi. Des centaines de milliers de spectateurs attendent Bruno, le chouchou du public ! Mais Saby a connu une saison 1985 difficile et n’a plus confiance en lui, il gamberge, doute même de ses capacités… Mais le destin lui fait un clin d’oeil : avant le départ, Walter Röhrl avoue que Saby est le pilote qu’il craint le plus sur le Monte-Carlo ! Les favoris sont les 205 T16 E2 de Saby, Salonen et Kankkunen, les Delta S4 de Biasion, Alen et Toivonen, les monstrueuses Quattro S1 de Röhrl et Mikkola, les Métro 6R4 de Pond et Wilson…Dès le départ, Bruno est sur- motivé et claque le 2ème temps puis pose 35sec à Röhrl dans son jardin de la Chartreuse avant de recevoir une pénalité à cause d’une boite bloquée au parc. Le lendemain, dans Lalouvesc, la boite de sa 205T16 finit par casser et Bruno perd encore 6 ou 7 minutes mais maintenant, il n’a plus rien à perdre…Henri Toivonen domine avant de laisser le grand Walter Röhrl survoler le Moulinon puis la Souche. Saby se retrouve 9ème à près de 10min, il a perdu trop de temps… mais pas sa détermination ! Mardi 21 janvier, 9H58. Avant de quitter l’Ardèche, c’est la légendaire boucle Burzet – Burzet. Un juge de paix de 44,67km et un magnifique Bruno Saby qui inflige 18 sec au leader Toivonen … Un record : 25min34, pour l’éternité ! Bruno avait rendez-vous avec l’histoire. Ce chrono va le galvaniser. Sur la liaison, Henri Toivonen est heurté de plein fouet par une Ford arrivant en pleine gauche. On connaît la suite… Saby, de son côté, va attaquer une folle remontée : scratch dans Bif, dans Savoillan, à St Nazaire-le-Désert…5 scratchs d’affilée pour revenir 5ème à 7min04 de Toivonen ! Saby domine largement ses équipiers Salonen et Kankkunen, domine même Röhrl et constituait bien la seule menace pour Toivonen. Le podium est encore possible…mieux peut être ? Non, il est piégé par du verglas dans Castellane et perd 17 minutes supplémentaires. Bruno et Jean François finissent 6ème et Röhrl avait raison ! Mais la victoire est un long voyage, pas une destination.
Deux fois moins de puissance en 1987, le monde du rallye pleure sont « petit prince » et Saby débarque chez Lancia, sûr de sa force aux côtés de Biasion et Kankkunen. Sur la neige, Bruno s’impose dés l’ES1 puis sur la liaison, se fait percuter par un automobiliste. La Delta N°8 est réparée et clôture la première étape en seconde position, à 7sec de Biasion. Le lendemain, dans St-Jean-en-Royans, Bruno rencontre un problème de pédale d’embrayage et abandonne 32sec puis survole Lalouvesc, St-Bonnet-le-Froid et le Moulinon. Dans Burzet – Lachamp Raphaël, Saby mate ses équipiers et rentre à Aubenas en leader, pour 7sec. Le lendemain Bruno est stoppé par le couple conique de sa monture… Lancia signe un doublé dans le désordre avec Biasion et Kankkunen mais peu importe, c’est Saby qui devait gagner ce rallye !
Janvier 1988, 56ème Monte-Carlo. Favori, Bruno a fort à faire face aux Lancia de Biasion et Loubet sur des routes désespérément sèches. Loubet prend la tête à 116km/h de moyenne à Saint-Bonnet-le-Froid (!) mais dans le Moulinon, le Grenoblois devance le Corse de 4sec et reprend le leadership pour 3 petites secondes. Le 17 janvier à 19h23, à la lueur des phares, Saby ne fait pas le moine et crucifie son principal adversaire sur la boucle Burzet – Burzet. Bruno porte une calotte de 53sec au « Rambo du maquis » ! De ce morceau de bravoure Ardéchois, Bruno Saby dira : « J’ai toujours accordé beaucoup d’importance à une spéciale qui faisait la différence en raison des conditions qui faisaient peur à tout le monde »… Mais Yves est un guerrier, il rapplique et réalise une remontée héroïque qui le conduit à égalité parfaite avec Bruno à l’issu de Saint-Nazaire-le-Désert ! Ce dernier en remet une couche et Yves sort pour le compte. A 39 ans, Bruno Saby a enfin réussi à atteindre le sommet de son Everest, au bout de la 14ème tentative. Le 21 janvier 1988, Saby et Fauchille rentrent à Monaco en vainqueur. C’est le plus grand et plus beau moment de la carrière de Bruno Saby.
Le pilote de Theys fera encore un podium en 89 avec Jeff puis deux 6ème place en 90 et 91 associé à Daniel Grataloup mais 1988 demeure son rêve de gosse. Aujourd’hui, Bruno reste le seul pilote au monde avec Carlos Sainz à avoir gagné Monte-Carlo, Tour-de-Corse et Paris Dakar…
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu une profonde admiration et un immense respect envers Bruno Saby qui incarne pour moi les vraies valeurs de la discipline. Le monde et le rallye ont tellement changé que je me demande si aujourd’hui, les meilleurs rallymen rêvent encore de remporter le Monte-Carlo pour les mêmes raisons que Bruno Saby ? Bruno a fait du Monte-Carlo un rêve et de ce rêve une réalité. C’est une histoire de volonté, de mémoire, de passion, d’exploits, de hauts-lieux, de talent et d’évasion… Et au bout de la route, un sentiment de liberté absolue !
Très bel article, merci.
Jeune, j’admirais Bruno Saby pour ses talents de pilote mais aussi pour son humilité et sa simplicité. Allez Bruno!!!
33 ans après cette victoire de 88 au Monte Carlo on se rappelle encore de cette année là et de Saby, ce rallye est vraiment à part, seuls les grands le gagne!