Pour en finir avec l’histoire 2/2 (Monte-Carlo 1983/2013)



Suite et fin du nouveau récit de Jeff à propos des éditions 1983 et 2013 du rallye Monte-Carlo.

Monte-Carlo 2013. Comme en Ardèche, Hänninen est « chaud-patate » en Haute-Loire. L’acrobate envoie sa Fiesta N°6 dans les congères de Saint-Bonnet-le-Froid pour échouer à seulement 8sec3 de son voisin et équipier « Ruskov » ! Loeb concède 20sec, Ogier 23sec. Mais dans ces bois, il reste une chance à Hänninen. Le Sisu est un courage ultime, une fierté, un feu intérieur que les Finlandais possédaient probablement en plus grande quantité que les Soviétiques lors de la seconde guerre mondiale. C’est la raison pour laquelle ils ont triomphé d’une armée-rouge beaucoup plus forte et mieux armée qu’eux durant la terrible Guerre d’Hiver.

Second et dernier affrontement dans la forêt de Saint-Bonnet la bien nommée. Les spectateurs frigorifiés soufflent sur les braises tandis que dans la Ford N°6, souffle le vent de la révolte. Vers la Chalenconnière, à la frontière entre Haute-Loire et Ardèche, le Finnois de Punkaharju -petite ville située à 30km de la frontière Russe- nous gratifie d’un passage « à la limite » pour claquer un formidable 17min33sec2. C’est son premier temps-scratch en WRC. Un hommage à ses frères d’armes T. Mäkinen, Aaltonen, Lampinen, Mikkola, Vatanen, Toivonen père et fils, Alen… Il surclasse son voisin Moscovite de 6sec6 et Loeb de 13sec4. Hänninen ne sait pas encore qu’il sera le dernier vainqueur au milieu des immenses sapins de Saint-Bonnet-le-Froid, devant une des plus grandes Toques de la gastronomie Française et une forêt de spectateurs. Le soir, à Valence, les deux Sébastien sont séparés par 1min34sec. Les autres sont très loin, tous.
Le lendemain, au menu, seulement trois plats mais des morceaux de choix. Saint-Jean-en-Royans – La-Cîme-du-Mas, 33 km saupoudrés de neige et de verglas. Saint-Nazaire-le-Désert – la Motte-Chalancon, 22km truffés de pièges. Puis, au dessert, Sisteron -Thoard et ses 4km de Fontbelle nappés de glace.

Jour blanc à Saint-Jean-en-Royans, Loeb y devance Ogier de 1sec5. Ici, le 26 janvier 1983, les premiers concurrents se présentent afin de rejoindre la Chapelle-en-Vercors, 38km plus loin. Le grip est très faible. On attend les Audi Quattro mais ce sont encore les 037 qui régalent. Röhrl devance Alen de 20sec… pour rien, la spéciale est annulée ! En 2013, à Saint-Nazaire-le-Désert, les Ford excellent sur la neige fondante du Diois. Mads Ostberg s’impose, 2sec1 devant Novikov alors que sur une DS3 privée, le Drômois Bryan Bouffier est à un souffle des deux Sébastien. Pour l’anecdote, j’ai toujours regretté qu’un autre autochtone, Stéphane Poudrel, n’ai jamais participé à la classique Monégasque ! Peut-être un jour, qui sait ?… Mais ça sera hélas sans toute la magie de ces monuments!

Aujourd’hui, avec seulement 3 constructeurs et une dizaine de baquets à pourvoir, le WRC ne fait plus recette. Le problème, historiquement, c’est que le rallye est un spectacle… gratuit. Et les rois de « l’entertainment » n’aiment pas le gratuit ! Pour moi, la discipline a essuyé un « enterrement de première classe ». En 2023, qui connaît Kalle Rovanperä dans la rue ? C’est d’autant plus râlant que -soyons honnêtes- le spectacle offert par les WRC modernes, particulièrement depuis 2017, est à couper le souffle. La cadence sur la route est inouïe, et les Rovanperä, Tänak, Lappi, Neuville, Evans et Cie sont de véritables artistes… En France, de surcroit, il n’existe pas vraiment de solidarité et d’aide entre générations de pilotes, au contraire de la Finlande. Les anciennes gloires Finlandaises œuvrent pour promouvoir leurs jeunes talents. En France… changeons du sujet !

2013. Loeb surfe sur le macadam glacé du Col-de-Fontbelle et devance Ogier de 12sec1 à Thoard. Au général, les deux tricolores sont séparés par 1min47sec. Le 3ème est un extraordinaire Evgeny Novikov. Le samedi 9 janvier 2013, la dernière étape Monaco – Monaco commencera sur la neige de l’incontournable Turini.

Jeudi 27 janvier 1983, 17H42. Avant le parcours final qui débute par Bif – Peille, le N°1 de Lancia-Martini possède 3min26sec d’avance sur le héros de Saint-Bonnet. C’est énorme, oui… mais il reste 9 chronos et 215km. C’est le moment que choisit le leader pour anéantir son rival, psychologiquement. Dans ce premier tronçon qui franchit le Col-de-la-Madone, au crépuscule, Walter Röhrl attaque à perdre Alen. En 18km, le géant de Regensburg humilie l’Audi Quattro de Blomqvist de 34sec mais surtout… Markku Alen de 39sec ! Jean Claude Andruet, lui, accuse 41sec ! Dans la Madone, la messe est dite. Le « Messie » n’a plus qu’à dérouler, il doit maintenant gérer son avance de plus de 4min jusqu’au petit matin et au Col-de-Porte… Entre le Moulinet et la Bollène-Vésubie, un héroïque Andruet survole le Turini et signe le scratch 15sec devant le leader, pour l’honneur. Jean-Claude était peut-être le plus fort de cette 51ème édition…après Röhrl. Au cours de ce millésime 1983 incroyablement sec, la Lancia Rally 037, elle, arrache 23 temps-scratchs en 29 spéciales !

30 ans plus tard. La sensation du Turini est signée Bryan Bouffier : temps-scratch, 29sec devant Ostberg, 49sec devant Ogier ! Plus les conditions sont difficiles, plus le pilote de Die excelle. A l’image de Cédric Robert, Bryan possède un feeling et un « car-control » exceptionnels. Pour sa première course au volant d’une WRC, le vainqueur du Monte-Carlo 2011 (en IRC) pilote une DS3 PH-Sport. Il a déjà réussi un exploit dès le second chrono, à Burzet. Ensuite, lors du polaire second passage dans Saint-Bonnet, il s’est glissé à 3sec9 d’Ogier et devant la paire Jari-Matti – Mikko. Il sait glisser ! Déjà, c’est au milieu de ces énormes épicéas blanchis que Bryan avait claqué un formidable 4ème temps en 2010, avec une Subaru GrN ! Soulevant l’admiration d’un fameux « bûcheron » nommé… Tommi Mäkinen!

Ce n’est pas une légende, le Turini est souvent impitoyable. Il ne faillit pas à sa réputation : Latvala y quitte le rallye et Novikov arrache une roue. Sordo et Hirvonen rigolent… D’ailleurs, Dani, brillant, réussit le scratch dans Lantosque, devant Mikko qui sort enfin du frigo. Dans le second round du Turini, de nuit, le protégé du « Grizzly » et le « loup du Champsaur » aux yeux de lynx blessent la concurrence. Seul Bouffier reprend du poil de la bête en collant 18sec à Hirvonen. Le Drômois se retrouve 5ème et commence même à rêver de la 4ème place de l’Esquimau. Il reste désormais un passage par le Turini et un autre dans Lucéram. Tout est possible… Mais le Monte-Carlo est souvent victime de son succès. Les deux derniers chronos sont annulés ! Le pigiste Bouffier rentre à Monaco à une convaincante 5ème place, derrière Hirvonen et Sordo, deux officiels biens pâles. Sébastien Ogier, pour sa part, fait déjà briller les couleurs de VW.

En 5h18min57sec, Sébastien Loeb s’offre une 7ème merveille à Monte-Carlo. Il restera le dernier vainqueur d’un grand et véritable « Monte-Carl’», de la dernière édition authentique et historique. Pour moi, le grand livre d’histoire du Rallye Monte-Carlo restera toujours ouvert à la même page : la 2013… Depuis, nous avons eu de beaux vainqueurs, du grand spectacle, mais de moins en moins d’ambiance et de juges-de-paix et plus du tout d’Ardèche. La ferveur et l’engouement ont beaucoup faibli. Dans les villages, dans les montagnes, dans les auberges, la flamme de la passion s’est quelque peu éteinte. Avec la suppression des épreuves-spéciales historiques puis la disparition progressive des terres de rallyes, les exploits et les équipages ne sont plus associés à des hauts-lieux. Le prestige et la magie ont laissé place à la standardisation et à l’anonymat.

Après 715km d’épreuves-spéciales et malgré son chrono « d’un autre monde » à Saint-Bonnet-le-Froid, Markku Alen a échoué à la seconde place du Monte-Carlo 1983, 6min52sec derrière « l’extra-terrestre » Walter Röhrl. Il ne gagnera jamais à Monaco. 30 ans plus tard, le prince des forêts Finlandaises affirme : « …ici, ce n’est pas un rallye, c’est le Monte-Carlo !… ».




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berlinette
berlinette
1 année il y a

Bravo Jeff: un journaliste qui écrit si bien. Quel plaisir, à l’heure où on n’entend plus que des « chroniqueurs «  qui parlent mal, pour ne rien dire ! Sinon , ce récit de 1983, me rappelle la grandeur de Walter Röhrl. Il y a peu, quand C.Sainz fut désigné plus grand pilote de l’histoire, mettant ce forum dans une joyeuse ébullition , j’avais placé Walter dans mon trio de tête, aux côtés des 2 Sébastien, justement pour ses exploits au MC. Mais, ce classement, aussi excitant soit il, n’a aucun sens ni aucune vérité universelle, chaque amateur de rallye ayant… Lire la suite »

NISMO
NISMO
1 année il y a

Magnifique article, comme d’habitude !
A quand le prochain ?

Franchement, sans vouloir jouer au “vieux c..”, l’évocation des noms de ces ES…..comment dire….ça fait venir la larme à l’oeil.

J’avais oublié le passage de Novikov en WRC, un beau gâchis.
Comme Bouffier…lui aussi, un sacré talent.