Rallye du Var 2012 : la légende de Collobrières

Loin de l’agitation de la Côte d’Azur, de ses strass et paillettes, le Massif des Maures a pour capitale un village blotti en fond de vallée, Collobrières. Surplombant le Lavandou et la méditerranée, suspendue au paysage, la capitale de la châtaigne aux pentes de chênes-lièges, de pinèdes et de châtaigniers, possède des routes parmi les plus magiques de l’hexagone.

Ici se sont écrites des pages historiques du rallye français… et plus encore. Collobrières rappelle, à bien des égards, un autre haut-lieu de la « mythologie rallystique » : Antraigues. Sur le belvédère surplombant la Corniche des Maures, le Col de Taillude, le Col des Fourches, le Col du Babaou, Pignans, la Garde-Freinet ou Notre-Dames-des-Anges sont les sémaphores du Rallye du Var. Mais pour moi, Collobrières reste l’âme de cette épreuve. Une légende.

Novembre 2000. Sébastien Loeb se voit confier une Xsara Kit-Car au départ du Rallye du Var. Après 9 ES, Serge Jordan et sa Mégane Maxi possèdent 13sec8 d’avance sur l’espoir tricolore. ES10, le déluge et la tempête envahissent le sanctuaire de Collobrières dont les 32,8km prennent des allures de « Route du Rhum ». Devant Guy Fréquelin, Sébastien Loeb et Daniel Elena, héroïques, marchent sur l’eau. Ils soumettent les Maures et infligent 19sec5 au leader dans le juge de paix…Une douche froide pour le pilote Normand. Le « Grizzly » a vu : en 2001, Sébastien et Daniel, devenus des stars, seront officiels Citroën-Sport !

12 ans plus tard, Daniel Elena officie en voiture ouvreuse sur le 58ème rallye du Var mais au départ, la grande star est Robert Kubica. Véritable héros de l’édition 2010 avec une Clio S1600, l’ex-pilote de F1 revient de l’enfer. Après avoir quitté Valence où il avait survolé quatre journées d’essais au volant de sa F1 Renault R31, le Polonais fut victime d’une effrayante sortie de route sur la Ronde di Andora, le 6 février 2011. Le 23 novembre 2012, le rescapé rejoint Sainte-Maxime au volant d’une Citroën C4 WRC équipée de commandes adaptées à son handicap. Sur le papier, son seul adversaire est Freddy Loix qui pilote une 307 WRC. Malgré une main droite meurtrie, Robert assomme « Fast Freddy » dés l’ouverture des hostilités : 10sec en 5,5km dans La Môle… A Bormes, le natif de Cracovie frappe encore plus fort puis récidive du côté de Cogolin. Freddy est sonné… De nuit, sur une route sale mais sèche, Kubica pose ensuite 39sec5 à Loix dans Plan de la Tour et possède 1min25sec d’avance sur la Peugeot au terme de la première étape. Cédric Robert, excellent 3ème avec une 207 S2000, devance la Fiesta WRC de Julien Maurin. Lui aussi au volant d’une 207 S2000 du team « SAINTéLOC », le Champion du Monde SWRC Craig Breen, 22 ans, découvre le Massif des Maures mais subit une crevaison dans l’ES4 où il perd 1min40. Trois mois plus tôt, lors de la Targa Florio, l’Irlandais avait quitté la route et encastré sa 207 S2000 dans un rail, son copilote Gareth Roberts avait alors perdu la vie, à 24 ans.

Retour au Plan de la Tour le lendemain matin, mais changement de météo. Il pleut, la route est glissante, boueuse. Un héroïque Craig Breen signe le 2ème temps à 1sec3 de Kubica alors que Le « morceau de bravoure » attend les concurrents. Collobrières, « toboggan des Maures » aux airs de Corse, d’Ardèche et de Cévennes est humide, piégeux, mais le miraculé et miraculeux Polonais n’a que faire du microclimat local. Il administre 29sec1 à Freddy Loix en 32,57km. Une sorte de « Maure sur ordonnance »…  Rappelons-nous qu’ici même, Kubica avait signé un scratch absolu lors du 3ème passage en 2010, devant les 207 S2000 de Bouffier et Sarrazin, au volant d’une S1600 ! Et aussi que l’année précédente, un certain Loeb y avait posé 1 minute aux autres WRC de Henry, Tsjoen et Snobeck en 30 bornes. Les laborieux ont probablement plus de mérite que les talentueux mais le talent fascine ! Dans la capitale de la châtaigne, Cédric Robert devance son jeune équipier Irlandais de 10sec. Robert roule à l’instinct. Romain Dumas, de son côté, attaque une folle remontée au volant de sa Porsche 996 GT3. A Pignans, dans une longue courbe droite en descente, rapide, étroite et fort bosselée, nous sommes témoins d’un incroyable passage du Champion de France 2010, Bryan Bouffier. Le Drômois fait débuter la nouvelle Peugeot 208 R2, il enroule tout le virage « soudé » et en dérive et finit la course 12ème scratch… Chapeau l’artiste ! Freddy Loix, lui, se fait piéger devant nos yeux, exactement comme Snobeck en 2011. Il finit à nos côtés, indemne mais spectateur, sur le talus. Dany était bien moins fringuant l’année précédente après une terrible « boite » ! Craig Breen crève une seconde fois et y laisse 2 minutes. Transcendé comme parfois le sont ceux qui ont côtoyé la mort d’un peu trop près, le héros du peuple Polonais continue d’enchainer les « tours de qualif’ ». Spectacle inoubliable !

ES8, la Môle, « Maître Kub’ » assure un peu mais pose quand même 17sec7 à « Mister Breen » et 18sec2 à Romain Dumas. ES9, Vidauban, le leader devance à nouveau l’Irlandais qui lui, pose 17sec à sa référence Cédric Robert en 31km. Au soir de la seconde journée de course, Robert Kubica possède 5min13 d’avance sur le métronome Cédric Robert et 7min21 sur le polyvalent Romain Dumas.

Nuit et brouillard à la Garde-Freinet, plus haut village du Massif. Ambiance lugubre et lunaire, les fantômes silencieux des légendaires, les Darniche, Andruet, Fréquelin, Ragnotti, Oreille, Auriol, Bugalski… planent au dessus des frênes et de presque 60 années d’exploits. C’est la fin de la « nuit des Maures » et l’aube de la dernière étape. C’est le calme avant la « tempête RK » qui disperse les feuilles de temps et fait vaciller les légendes. Un vent d’Europe Centrale souffle sur les cimes, Robert s’envole et scratche une dixième fois depuis le départ, devant un extraordinaire Romain Dumas. Doublé de pistards dans le haut-pays. Ici même en 2010, dans la nuit et sous la pluie, bien aidé par ses pneus Pirelli, le Polonais avait déjà imposé sa Clio S1600, 14sec devant la Clio R3 du talentueux Kevin Abbring et 18sec devant la 207 S2000 de Stéphane Sarrazin… en 11km !

Il ne reste que deux chronos. Le pilote de la C4 WRC compte désormais près de 6min d’avance sur Cédric Robert avant d’arriver au paradis des rallymen. Où l’enfer n’est jamais très loin… En rallyes, la limite c’est le décor. Ou la peur du décor, c’est selon… Pour la peur, passons, elle ne semble pas avoir d’emprise sur la tornade Polonaise. Kubica est doué d’une prodigieuse vitesse de pointe, d’un talent inouï, d’un don inné pour le pilotage et fait preuve d’un engagement absolu. C’est un « mélange » d’Ogier et de Senna ! Comme le Brésilien, Robert est profondément croyant. Il possède la foi, certes… mais en rallyes les miracles sont rares, même dans un sanctuaire. Robert roule à la limite. En route pour l’intronisation, l’ex-pilote de F1 sort de la route à Collobrières. Sa Citroën et ses rêves partent en fumée. Les nôtres aussi. Ici, le chrono n’a pas toujours le dernier mot.

Collobrières, à la fois refuge de sangliers, cimetière d’espoirs et temple des espoirs réussit à l’irréductible Craig Breen qui, le mors aux dents et la rage au ventre, claque son premier scratch, 24sec devant son chef de file. Cédric Robert déclare : « Celui-là, au moins, on sait qu’il est bon ! ». Malgré deux crevaisons, le natif de Waterford, ville fondée par les Vikings, a fait preuve d’une bravoure et d’un courage remarquables. Véritable révélation de l’épreuve, il s’empare de la troisième place finale derrière Romain Dumas et à 2min13 du vainqueur.

Le 25 novembre 2012, Cédric Robert épingle une troisième victoire à Sainte-Maxime. D’un Robert à l’autre, l’histoire a finalement préféré un nom pour succéder à Jari-Matti Latvala, le précédent « gardien du temple ». 12 ans après Sébastien Loeb, la capitale du Massif des Maures a choisi, seule, son nouveau souverain.

Le 25 novembre 2022, Cédric Robert va prendre le départ de son 22ème rallye du Var. Quel que soit le verdict de Collobrières, ici ou ailleurs pour moi Cédric demeure la référence du rallye hexagonal, l’âme de la discipline. Une légende!