Safari 2002 : Colin McRae, le dernier Roi d’Ecosse



Colin McRae a déjà remporté deux fois le Safari Rally et vénère cette épreuve. Le 14 juillet 2002, l’Ecossais s’impose une troisième fois à Nairobi. C’est la dernière fois que le Kenya accueille le championnat du monde des rallyes et l’Afrique est pleine de surprises.

Le Kenya est une colonie Britannique lorsque le Safari Rally voit le jour en 1953 pour fêter le couronnement de la reine Elisabeth II. Le Safari, une épreuve atypique, éprouvante, interminable, qui se déroule la plupart du temps sur des pistes ouvertes à la circulation et sur des distances énormes. Au milieu de mille dangers et sur des pistes en perpétuelle évolution, il faut un immense sens de l’improvisation et un grand feeling pour s’imposer sur la manche Africaine. Depuis sa première participation ici en 1996, Colin McRae a immédiatement trouvé le bon rythme et la bonne vitesse pour aborder ce si particulier terrain d’Afrique de l’Est. Il faut dire que le natif de la petite ville Ecossaise de Lanark possède quelque chose de rare et de précieux, d’insolent même. Cette chose qui le différencie au premier coup d’œil de ses adversaires, c’est ce don instinctif, presque animal, pour le pilotage.

Le fils de Jimmy McRae voit le jour le 5 aout 1968. Jimmy, cinq fois champion de Grande-Bretagne des rallyes, soutient son fils de façon indéfectible depuis que le jeune Colin a souhaité se lancer en Motocross vers 11 ans. Il passe ensuite à l’enduro puis, à 16 ans, l’adolescent lâche le guidon pour prendre le volant et devient champion d’Ecosse de l’ouest d’Autotest (une sorte de slalom). Il faut dire que depuis son plus jeune âge, le p’tit McRae conduit des voitures et qu’il observe son père. En 1985, Colin passe le permis et 15 jours plus tard, il prend part à son premier rallye avec une Sumbeam TI… et sort de la route ! Déjà, il ne semble pas possible au jeune Ecossais qu’il y ait une autre façon de piloter qu’en travers, partout et tout le temps ! La seule façon d’être en sécurité dit-il…

Avec bonheur, papa McRae est là et assure financièrement les débuts du jeune prodige. En 1986, ce dernier dispute le championnat d’Ecosse avec la Sumbeam et sidère les observateurs par une attaque, une bravoure et un talent assez…inédits ! En 1987, il passe à la traction avant, sur une Vauxhall Nova mais le style reste le même : à l’équerre ! En fin d’année il fait le RAC…et visite le décor ! La saison suivante, Colin épuise quelques autos et décroche ses premiers lauriers en Grande -Bretagne. Il participe au RAC avec une 205 GTI mais la Peugeot cède. Il découvre la Sierra Cosworth GrN en 89 et claque des temps hallucinants mais sort beaucoup car… « ça ne freine pas ! ». En fin de saison, Colin prend le départ du RAC avec une Sierra GrA. Dans les 29 km de Kershope, il fait le 7ème temps devant la Galant VR4 de Vatanen…avant de se mettre dans les arbres. Heureusement, en 1990 le fils de Jimmy effectue une très solide saison au volant de sa Sierra Cosworth GrA « propulsion » avant de se présenter au RAC avec une Sierra 4X4. Hallucinant d’audace et de courage, l’espoir Ecossais associé à Derek Ringer réussi plusieurs scratchs et finit 6ème devant la Celica GT4 de Schwarz et malgré… nombre de petites sorties de route. Qu’importe, David Richards est séduit et lui propose une Subaru Legacy RS pour disputer le championnat de GB 91…dans un premier temps.

Colin McRae plane au dessus du championnat Britannique 1991 et fin novembre, il arrive au RAC avec de très grandes ambitions… trop ? Dans l’ES 12 d’Aberhirnant, il réussi le scratch devant le rapide Gallois Gwyndaf Evans et s’empare de la tête de course pour 1sec face à Carlos Sainz. Il enchaine ensuite les coups de génies et les sorties, les démonstrations de courage et les erreurs grossières et finit par garer la Legacy dans Pundershaw. Trop de fougue, trop de folie… mais quel talent ! Dorénavant, plus personne ne regarde l’acrobate Ecossais de la même façon ! Fou peut-être mais si un jour il reste sur la route… 

Avec Subaru, Colin débarque en Suède en 1992 sans complexe. Il est déjà venu ici deux fois et il n’a peur de rien ni de personne. Dans les 27km de Vibberbo, il claque le scratch et pose 1sec au kil à la Celica de Markku Alen. Tout au long du rallye, il domine tous les ténors du mondial…sauf le héros local Mats Jonsson qui s’impose devant l’Ecossais. Colin excelle à l’Acropole (4ème) puis fait la découverte des 1000 Lacs où il trouve un terrain à sa mesure. Un sanctuaire de bosses et de glisses, un palais de courage et d’audace, le royaume de la vitesse. Son jardin. Son équipier est le non moins bouillant Ari Vatanen. Dés la première spéciale, McRae claque un 3ème temps…Il attaque comme un forcené, il voudrait, déjà, se battre avec les spécialistes locaux et sa Subaru quitte souvent la piste pour tutoyer sapins et bouleaux…mais revient le plus souvent dans le droit chemin. McRae est un acrobate de génie et le spectacle est hallucinant. Devant, la lutte fait rage entre les Lancia du triple champion du monde Juha Kankkunen et celle de Didier Auriol. Didier fait la course de sa vie et s’impose au pays des Lacs en terrassant le roi des forêts Finlandaises. Colin, lui, s’impose comme un futur roi d’Ecosse ! Dans Toikkala, entre deux frasques, le natif de Lanark claque le 5ème temps avec une Legacy pliée, tordue, défoncée, agonisante…à 1sec de Vatanen en 10 bornes ! Il récidive à Ruuhimaki puis devance son équipier à Laajavuori. A Tampere, le jeune chien fou réussi le 2ème temps ex-æquo avec…Kankkunen et Vatanen ! Il finit 9éme et son courage devient légendaire. Pour tout le monde, McRae devient « Braveheart ».

En 1993, le héros Ecossais monte sur le podium en Suède, fait un fantastique Tour de Corse et décroche un premier sacre sur l’ancien territoire Britannique de Nouvelle – Zélande. Sur des pistes taillées pour le pilotage pur, il devance les deux Français François Delecour et Didier Auriol. En 1994, au volant d’une Impreza, Colin récidive à l’autre bout du monde en battant Juha Kankkunen de plus de 2min avant de vaincre à nouveau le Finlandais en Australie. En toute fin de saison, McRae survole le RAC où il réussi 16 scratchs et écrase à nouveau un Kankkunen impuissant et qui échoue à 3min33(!) du nouveau prodige du rallye mondial. Colin n’a aucune limite, son talent non plus ! A l’aube de 1995, il s’érige en favori pour la couronne suprême.

Et la saison 95 commence comme avait fini 1994. Alors équipier de Carlos Sainz chez Subaru, McRae prend le départ de St-Pierreville – Antraigues comme une balle et claque le scratch devant l’Espagnol en posant 18 sec au vainqueur 94 François Delecour…Mais le Monté Carlo demande aussi de la modestie. Dans la Souche, l’Ecossais volant s’envole pour de bon et ne verra pas le Col-de-la-Chavade où Sainz est le plus véloce. Carlos s’imposera en Principauté. Toute l’année, l’Ecossais et l’Espagnol vont se disputer les podiums, les victoires et convoitent tous deux le sacre absolu. Carlos gagne au Portugal tandis que Colin triomphe une nouvelle fois en Océanie, sur les plus beaux chemins du monde. En Nouvelle – Zélande, l’Ecossais se montre imbattable et s’impose avec 44 sec d’avance sur un grand Didier Auriol.

Colin n’a qu’une toute petite expérience du goudron quand il débarque en Catalogne. Il sait qu’il joue le titre face un équipier qui évolue ici à domicile mais il sait aussi que son employeur Subaru se bat pour le titre constructeur. Malgré la pression et son manque d’expérience, le fils de Jimmy signe le 3ème temps des 27 premiers km de Sant-Hilari, devant Carlos et les tarmac-masters Auriol, Delecour et Cie…Dans El-Priorat, l’Ecossais réussi le 2ème chrono et revient tout prés de la seconde place détenue par Sainz. C’est un étonnant, très étonnant Kankkunen qui domine l’épreuve…Dans l’ES 16 Capafon, McRae…à fond, décroche un premier scratch et revient à 5sec du nouveau leader Carlos Sainz. Le dernier jour, à quatre spéciales de l’épilogue, Colin sait qu’il peut réaliser l’impensable et l’exploit formidable de s’imposer sur le goudron mais il sait aussi que Subaru a figé les positions dans l’optique du titre constructeur. L’Ecossais est furieux ! Il prend néanmoins la tête de la course, continue son festival et survole le macadam Catalan avant de s’imposer à la régulière pour 9sec face à son équipier…avant d’écoper d’une minute de pénalité qui fera couler beaucoup d’encres. Doublé Subaru en Espagne… mais dans le désordre !

Un mois plus tard, sur les chemins forestiers du RAC Rally, Colin McRae prend une éclatante revanche et conquiert une indiscutable victoire face à Carlos Sainz. Rageur et fier, l’Ecossais dresse au dessus de sa tête cette première (et unique) couronne mondiale. A 27 ans, il devient le plus jeune champion du monde de l’histoire, peut être le plus doué de tous. C’est le premier Roi d’Ecosse !

En 1996, le meilleur pilote de la planète est toujours chez Subaru lorsqu’il découvre le Safari du Kenya. Tout de suite, il adore cette course et son ambiance. Lui le sprinter, le pur-sang, découvre en Afrique un exercice inédit où l’étendue de son talent prend une nouvelle dimension. Ici, les obstacles et les imprévus arrivent si rapidement qu’il faut être sans cesse en alerte, à l’affut. Il faut réagir vite, très vite et anticiper le terrain. Colin a un regard aiguisé, les nerfs solides et un instinct de fauve. Au contraire de certains de ses concurrents, il affirme haut et fort que le Safari a toute sa place dans le calendrier. Le Safari est comme un vieil éléphant, un ancêtre de la discipline et de ses notions d’endurance, c’est une espèce en voie de disparition qu’il faut protéger. L’Afrique, avec ses paysages grandioses, ses déserts, ses montagnes et ses plaines grouillantes de vie est le berceau de l’humanité. Hors norme et d’une beauté sauvage divine, le Safari du Kenya fait partie des racines du rallye au même titre que les éléphants sont « Les racines du ciel ».* Pour sa découverte de l’Afrique, le champion du monde est subjugué par le continent noir et va rallier Nairobi en 4ème position. D’instinct, le lion Ecossais a compris que pour conquérir ce nouveau territoire, il faudra être brave mais surtout rusé et patient. Un lien particulier va maintenant unir Colin McRae à l’Afrique. Au pied du Mont Kenya et de ses 5199m, l’Afrique a fait de lui plus qu’un immense pilote : un grand bonhomme ! Cette année là, le champion va perdre sa couronne mais il s’impose en Espagne malgré un grand Bruno Thiry et devant son équipier Liatti …et sans consignes !

Chaque matin, au Kenya, le soleil se lève dans un ciel qui parait bien plus haut que nulle-part ailleurs. Ici tout est plus intense : la lumière, les odeurs, la chaleur, cette débauche de couleurs et de sensations qui transcendent la vie. Ici, la vie à un prix. Au volant de l’Impreza WRC 97, l’Ecossais revient en Afrique avec son nouveau copilote Nicky Grist et s’impose avec une très large avance sur son compatriote Britannique Richard Burns. Le Safari est impitoyable, dangereux, c’est le rallye le plus cassant, le plus imprévisible. Parfois, sur des pistes roulantes et sans difficultés apparentes abordées à plus de 200km/h, survient une saignée, un rocher caché, un animal en chasse…et le doute s’installe dans l’esprit des pilotes. Comment aborder cette épreuve, à quel rythme ? C’est un exercice particulier dans lequel il faut être lucide, serein, solide et faire preuve d’humilité. Ici, la victoire a un prix. En fin de saison, Colin McRae est à nouveau vice – champion du monde des rallyes.

L’ultime saison de McRae chez Subaru commence par un podium au Monté – Carlo 98. Enfin ! Colin est enfin sage mais il abandonne au Kenya, sur casse moteur…Il triomphe au Portugal, en Corse (devant la 306 Maxi de Delecour) puis en Grèce pour finir 3ème du championnat.

En 1999, au volant de sa Focus, McRae s’impose en seigneur sur le continent Africain. Au Kenya, il gagne avec plus de 14min d’avance sur la Corolla de Didier Auriol et devient un demi-dieu à Nairobi. Sur les pistes, dans les steppes, dans la savane, dans les forêts, dans le bush, au milieu des baobabs et de tous les géants d’Afrique, l’Ecossais flaire le danger, l’évite, l’apprivoise… il devient à son tour un grand félin et le roi du Safari. L’année suivante, le moteur de la Ford ne supporte pas le climat Africain puis c’est l’embrayage de sa Focus qui va le trahir lors de l’édition 2001.

En ce mois de juillet 2002, Colin McRae est toujours pilote Ford-Motorsport quand il revient à Nairobi, la capitale Kenyane. L’année précédente, le champion du monde 95 avait milité non seulement pour le maintien du Safari en WRC mais pour une longueur minimale des spéciales de 150km (!) et des reconnaissances interdites. Il demande juste un road book pour signaler les principales infos et les plus gros pièges… Mais il n’obtient pas gain de cause. Citroën a minutieusement préparée son Safari en Afrique et les Xsara pilotés par Thomas Radstrom et la révélation de l’année Sébastien Loeb sont impressionnantes. Pendant les reconnaissances, Sébastien Loeb tombe en panne et raconte alors pour Auto-Hebdo : «  La nuit est tombée. C’est étrange la nuit africaine…on ne voit rien mais on n’en ressent pas moins sa grandeur… et notre petitesse ». L’Afrique, ça prend aux tripes ! Son équipier Suédois est associé à Denis Giraudet et décroche un beau podium derrière la 206 d’un solide Harri Rovanpera mais chez les rouges, la sensation est une nouvelle fois crée par l’Alsacien. Alors qu’il découvre le Kenya, Sébastien claque 3 scratchs et pouvait viser une seconde place sans de nombreux soucis mécaniques…Quelques semaines plus tard, le petit prodige Français décroche sa première victoire mondiale en Allemagne et s’érige en futur roi de la planète rallye. Pour moi, 2002 ça restera aussi la découverte de la Finlande. Le souvenir de Colin « l’extra-terrestre » dans Ouninpohja va longtemps hanter ma mémoire de terrien…

Alors que son jeune frère Alister découvre les beautés de l’Afrique au volant d’une Mitsubishi, Colin qui vient de rentrer au Panthéon du rallye en s’imposant pour la 5ème fois sur la terre des dieux à l’Acropole, réalise une course absolument parfaite. Il domine ses équipiers Sainz et Martin, réussi 3 scratchs et remporte ce monument du rallye. Avec 25 victoires, McRae s’installe seul en tête au nombre de succès en mondial. C’est sa 3ème victoire au Kenya. Il déclare «  …ici, il ne faut pas avoir de rythme, je veux dire qu’il faut le « casser » en fonctions des difficultés immédiates…Une seconde d’avance suffit pour l’emporter ».

En 2002, le Safari Rally a accueilli pour la dernière fois les meilleurs pilotes de la planète. Afrique adieu. Cette 50ème édition a couronné le plus flamboyant pilote de l’histoire. Afrique à dieux. Colin McRae a signé ici son ultime victoire en championnat du monde des rallyes.

Le Safari demeure une épreuve hors-normes, incomparable. Définitivement, Colin McRae reste un pilote hors-normes et incomparable …Nous pleurons tous le dernier Roi d’Ecosse !

* Livre de Romain Gary qui a obtenu le prix Goncourt en 1956.




S’abonner
Notification pour
guest
42 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Christian Dumas
Christian Dumas
3 années il y a

FLAMBOYANT !voilà pourquoi je défendais Armin Schwarz l’autre jour.je garde en mémoire un passage en focus dans Puget Téniers !!!!!!ça marque autant que de multiples titres, n’est ce pas Mr Ragnotti !

didier
didier
3 années il y a

Je me souviens de 1995, et la remise des prix ou l’Ecossais monte sur la 1ère marche du podium avant de se placer sur la 2ème. Par contre il me semble que la 3ème était Liatti sur Subaru.
Avec cette histoire de consigne, et à l’issue de ce Catalogne, il y a eu l’affaire Toyota et de son turbo.