Tour de Corse 1991 : Les experts à Ajaccio (1/2)



Aujourd’hui, le Tour de Corse n’est plus au calendrier mondial, pour moi c’est une honte. Pire que ça : une véritable hérésie !

A mon avis, le Tour de Corse reste le plus beau rallye asphalte du monde. Au cours de l’édition 1991, disputée dans d’incessants changements climatiques, l’île de beauté a mis en lumière le talent de trois formidables acrobates: Carlos Sainz, Didier Auriol et François Delecour…

Au milieu des années 80, le Tour s’est transformé en affaire de spécialistes, en authentique GP sur route, le rythme y est devenu affolant. Sauf qu’ici, suspendus entre terre et mer, les pilotes jouent sans filets ni protections. Arbres, rochers et précipices bordent le terrain de jeu insulaire mais au fond, n’est ce pas ce danger permanent qui fait le piment de la vie du rallyman ? Le 35ème Tour de Corse se déroule du 26 avril au 2 mai mais sur l’île, cela fait déjà plus d’un mois que les teams enchainent séances d’essais et reconnaissances avant d’affronter 4 étapes, 27 spéciales, 625km et 10000 virages. L’affiche de cette édition est grandiose : Lancia contre Ford et Toyota, Pirelli opposé à Michelin, Auriol et Delecour face à face, défiés par l’armée nippone et ses guerriers Sainz et Schwarz…Sans oublier les Lancia de Saby et de l’enfant du pays, Yves Loubet. Et quelques brillants outsiders.

Chez Toyota, on roule en Pirelli, le team-manager de l’équipe est depuis un an Maurice Guaslard. Cet ex « Mr rallye » chez Michelin apporte une certaine cohésion dans l’équipe, c’est un stratège, un perfectionniste. La Celica GT4 roule en Pirelli, elle se montre un peu sous-vireuse mais globalement très homogène, stable, dispose d’un bon moteur, d’une bonne boite et puis…elle est très fiable ! C’est la voiture à battre. Aux volants des trois japonaises présentes au départ, on retrouve le champion du monde Carlos Sainz qui vient de remporter le Portugal, l’artificier Armin Schwarz et le grand Marc Duez. Ce dernier a 33 ans, il est multiple champion de Belgique, c’est un excellent metteur au point, un pilote aussi doué que polyvalent. Le TTE l’a enrôlé pour 2 ou 3 manches dont la Corse mais surtout, pour effectuer beaucoup d’essais. Sa monture est un peu moins affutée que celle de ses équipiers.

Dans le clan Lancia, on reste fidèle à Clermont-Ferrand et à Michelin. La Delta HF Intégrale est clairement en bout de développement et use beaucoup trop ses pneus dans les plus longs tronçons de macadam. Son mal principal réside dans un manque de débattement au niveau des suspensions. L’italienne souffre dans le bosselé mais possède un super moteur et l’équipe peut se prévaloir d’avoir dans ses rangs l’ingénieur Giorgio Pianta, ancien pilote de grand talent et pierre angulaire du team. Surtout, l’équipe transalpine peut compter sur son pilote N°1, triple vainqueur de l’épreuve, Didier Auriol. Didier est un champion du monde en puissance, c’est un immense talent et sur asphalte, c’est probablement le plus rapide de tous. En tout cas, en Corse, c’est la référence, l’homme à battre. Pour seconder le tenant du titre, la firme de Turin a confié une Delta au vainqueur 1986, Bruno Saby, et une autre au héros local, Yves Loubet. Yves aurait déjà dû gagner sur l’île en 1988 mais à domicile, le « Rambo du maquis » semble maudit… Depuis 1977, Yves essaye et essaye encore…1991 sera-t-il son Tour ?

Cette saison 91, Ford effectue son retour en championnat du monde, par la grande porte. La Sierra Cosworth 4X4 est même passée à un cheveu de l’exploit au Monté Carlo grâce à François Delecour et Anne Chantal Pauwels. Le jeune nordiste est la grande révélation du début de campagne mais se heurte à un problème de taille : la fragilité de sa monture ! Cependant, la nouvelle arme de Boreham se présente place d’Austerlitz à Ajaccio avec de nouvelles évolutions, une boite 7, des roues de 17 pouces (chaussées en Pirelli) et donc de plus gros freins. François a beaucoup roulé en essais avec Malcom Wilson et Gwyndaf Evans, l’auto se révèle moins facile, peut-être, mais plus efficace. Pour seconder le Français, on retrouve Malcolm Wilson et Gianfranco Cunico. L’auto de ce dernier n’est qu’une ancienne version avec la boite 5 mais sur ce terrain là, le pilote de Vicence peut surprendre.

Au départ de la cité impériale, se trouvent aussi le vainqueur 1987 Bernard Béguin avec sa Sierra 4X4 privée « RAS » et François Chatriot et une Subaru Legacy à dégrossir. Toutes les grosses GrA d’usines affichent prés de 400cv pour 1250kg, ce sont de véritables bêtes de courses sans assistances ni aides au pilotage, sans filtres, vives, difficiles, physiques, qui requièrent un niveau et un entrainement XXL…! Car le Tour de Corse est définitivement devenu un sprint ahurissant, une affaire d’experts. C’est du circuit…sauf que les ravins font office de bacs à sable !

La bataille en 2 roues motrices s’annonce également impériale. Le chaud-bouillant Patrick Bernardini avec sa M3 Prodrive équipée en Pirelli ne devrait pas être contesté à domicile mais attention tout de même aux trac’ avant, surtout aux deux redoutables Clio Diac de Ragnotti et Bugalski qui nous promettent une belle joute. En arbitres, on retrouve la 309 GTI de Magaud et la Kadett GSI du Belge Bruno Thiry. Ce dernier a effectué son premier rallye mondial lors de l’Acropole 89 au volant d’une Audi 90 Quattro (13ème scratch) et son talent unanimement reconnu en pays plat a explosé dans les montagnes Cévenoles deux mois auparavant. Avec leur Kadett du Team Opel Belgium, Bruno et son truculent copilote Stéphane Prévot ont été la révélation du dernier rallye des Garrigues qu’ils ont conclu en 5ème position, la 1ère des tractions-avant non sans avoir réalisé, sous la pluie, le 3ème temps scratch dans les 20 km de St Roman, à 12sec seulement de la Delta de Piero Liatti. Pas un hasard…

Le dimanche 28 avril 1991 au matin, les 100 partants quittent la place d’Austerlitz et prennent la direction de la plage de Capo-di-Feno pour un minuscule tronçon de 2,86 km où Sainz s’impose devant Delecour et Loubet… Ce n’est qu’un hors-d’œuvre. La vraie bataille, elle, commence à 11H53 à la Gare de Carbuccia. Pour rejoindre Tavera, 17 km étroits et sinueux où la Celica d’Armin Schwarz, tel un TGV, coupe partout, raccourcie les distances… et explose le record de 1990 détenu par Loubet. L’Allemand pose 7sec à Delecour, 8sec à Sainz, Auriol ramasse déjà 14 sec. Waouh !!! Chez les « p’tit », le double vainqueur 82/85, Jean Ragnotti, domine sa catégorie et son p’tit Bug d’équipier. A tous les étages, le rallye s’est élancé sur un rythme complètement fou.

Dans les 22km techniques de Suaricchio – Pont d’Azzana, Schwarz part le couteau entre les dents, il veut assommer la course… et il fait un tête-à-queue. François Delecour en profite et claque son premier scratch en tombant de 8sec le record de 90 réalisé par Sainz. Le Nordiste revient à 2sec d’Armin. Auriol se reprend un peu mais accuse encore 9sec supplémentaires. Bernardini réussi un beau top 10, Bugalski récupère 3 sec sur Jeannot alors que Bruno Thiry signe un chrono à seulement 0sec5 au kil des Clio…Avec la Kadett, c’est un authentique exploit ! Mais dans cette spéciale, le peuple Corse a connu une nouvelle malédiction : le fils chéri de l’île, Yves Loubet, voit ses espoirs anéantis au bout de 2km par…un siège cassé. Loubet et Chiaroni plongent à la 64ème place à plus de 10min…Pour le peuple Corse, c’est la Bérézina!

La courte première journée se termine à Lopigna, dominé par le Monte Oru où les paysages offerts lors du coucher du soleil sont absolument divins. Pourtant, c’est une monture du pays du soleil levant qui explose la course. Sur le balcon de Calcatoggio, après 22,45 km étroits et découpés façon puzzle, Schwarz en colère « correctionne ». Il dynamite, il disperse, il ventile…et bat de 13 sec le record de Didier Auriol ! Delecour perd 10sec supplémentaires sur le kamikaze de l’armée Japonaise mais François n’a pas tout donné, il ne souhaite pas ouvrir la route le lendemain…et il a bien raison ! Le pilote Ford estime que le rythme du leader est… un peu trop élevé ! Delecour se retrouve second au retour à Ajaccio, à 12sec du leader Schwarz. Suivent Sainz à 15sec, Auriol qui sous-vire trop à 38sec, un formidable Cunico à 45, l’excellent Duez à 50…Ragnotti se place en 11ème position 9 sec devant Bugalski…Les Clio volent ! La 309 de Magaud est dépassée, ce dernier donne tout mais les pilotes Diac évoluent sur une autre planète, Patou se retrouve même sous la pression de la Kadett de Thiry, très impressionnant pour sa découverte de l’île!

A l’image du Monté Carlo, des 1000 Lacs ou du Rac, le Tour de Corse est une épreuve que chaque rallyman rêve ce conquérir. Pour les experts du macadam, ce rocher perdu au milieu de la Méditerranée est l’île au trésor. Un joyau, le Graal… Mais la quête Corse est un long voyage truffé de pièges et semé d’embûches… Avec Schwarz, Delecour, Bugalski, Thiry, Magaud, Bernardini…la jeunesse débarque en force dans le Golfe d’Ajaccio. Une jeunesse talentueuse, insolente… mais inconsciente parfois. Ici, c’est l’expérience qui prime !

Très bonne surprise du début de saison, François Delecour semble bien placé pour succéder dans la ville de Napoléon au géant de Millau qui se retrouve comme impuissant au volant d’une Lancia clairement en fin de carrière. Pour le moment, Schwarz est devant… mais pour combien de temps ? En ébullition, Armin évolue sur un fil, en permanence, retarde chaque freinage, prend tous les risques et dépasse souvent ses limites…tactique rarement payante en Corse ! Comme Auriol, François Delecour est un instinctif, il ne dépasse pas ses limites, il les fixe, les apprivoise…Sur ces routes, en plus de Didier et Armin, le nouveau pilote Ford devra néanmoins et surtout se méfier du champion du monde Carlos Sainz. Le Conquistador, comme au Monté Carlo, comme partout, ne lâchera jamais rien. Avant de revenir sur la place d’Austerlitz, dans 3 jours, il faudra passer par Corte, Bastia, Calvi et tous les hauts-lieux du rallye, parfois transformés en champs de bataille et en Waterloo par les éléments !

En quittant Ajaccio le lundi 29 avril pour affronter les 215km de spéciales du second jour, Carlos Sainz est idéalement placé en embuscade, à la 3ème place. Avant même de prendre le départ de Verghia, coup de théâtre : le Madrilène écope d’une minute de pénalité suite à un changement de pompe d’intercooler sur sa Toyota et chute alors à la 10ème place. Vexé, le matador sort la grosse attaque dans les 26 km qui rejoignent Pietra-Rossa et pose 14 sec à Schwarz et Auriol …mais se voit cependant devancer de 5sec par la Ford de Delecour qui s’empare du leadership, 2sec devant Schwarz et 40sec devant Auriol. Béguin et Saby sont déjà à plus d’une minute tandis que Carlos remonte 7ème à 1min08. Schwarz joue avec le feu et frôle une nouvelle fois la correctionnelle… Le nouveau leader déclare : « Il est malade, Armin, malade…Deux cents mètres de traces, finies en tête-à-queue. J’arrive sur cet endroit à fond de sept ! »…

Le chaud et le froid soufflent sur ce début de course mais c’est bientôt une véritable tempête qui va s’abattre sur l’île de Beauté…




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Pied gauche
Pied gauche
3 années il y a

Super récit on si croirait,hâte de lire la suite .
Un Jean François B président de la FFSA ça aurait de l’allure !

SPECTATOR
3 années il y a

Schwarz à dirucchiera!