Réglementation WRC 2022 : quel mix entre coût et performance ? (1/2)



Habitué maintenant depuis près d’un an à vous proposer des chroniques avant chaque manche WRC, Rallye Sport m’a proposé de vous donner mon sentiment sur la nouvelle réglementation technique, attendue pour la saison 2022.

Avant toute chose, il faut préciser un postulat de base quand on veut essayer de comprendre ou analyser une nouvelle réglementation. On ne peut porter un jugement ou un avis qu’en fonction d’un contexte général : contexte de l’économie mondiale, contexte sociétal et tendance politique, “santé” de la série, nombre de constructeurs engagés, tendance technique, etc…

Dans l’histoire récente, on se rend compte que les réglementations répondent inexorablement à un cycle répétitif, et inexorable. Le WRC ne faisant pas exception à la règle. On alterne de manière continue différentes phases.

On part toujours d’un point de départ où beaucoup de constructeurs sont présents dans le championnat, et donc que la compétition est intéressante et équilibré : autrement dit la série “se porte bien”. Généralement, c’est le moment choisi pour libéraliser petit à petit le règlement technique, et le moment d’autoriser des libertés supplémentaires sur beaucoup de domaines, technique comme sportif (transmission, suspension, aéro, moteur,….,  nombre de jours de tests, nombre de pièces de secours autorisées, nombre de spécifications possibles, nombre de jetons ou jokers d’homologation disponibles, etc…) S’en suit alors une période faste, où les constructeurs s’emploient pour développer des autos en ayant beaucoup de leviers réglementaires à leur disposition pour faire des différences techniques notables. Ils investissent pour cela  des moyens importants pour tenter de dominer la concurrence. Ce sont les périodes préférées des ingénieurs et techniciens comme moi, mais également des constructeurs dont le business model est celui d’utiliser le WRC comme une vitrine technologique (pour qui l’important est de gagner, pas forcément de participer, un business model typé F1….)

Ces périodes sont inexorablement celles d’une hausse conséquente des budgets investis, et par effet miroir, par un désintérêt progressif des constructeurs en difficulté (difficulté sportive d’abord, économique ensuite, les 2 étant très liées). Nous sommes aujourd’hui typiquement dans ce cas de figure, où l’on commence à ressentir le contre coup des belles années amorcées avec le règlement actuel depuis 2017 (qui reste une réussite indéniable). Effet “retour de bâton” illustré parfaitement par le retrait de Citroën fin d’année dernière (faute de résultats), et la lassitude des autres constructeurs / teams voyant l’hégémonie technique de Toyota. On voit bien que l’on atteint alors les limites d’une réglementation, et la FIA n’a alors d’autre choix que de réagir sous peine de tuer la discipline à petits feux.

Vient alors la solution de revenir en arrière d’un point de vue technique et sportif, avec la seule intention de faire baisser les coûts, pour atteindre l’objectif avoué : faire revenir des constructeurs dans la discipline, car qui dit plus de constructeurs, dit plus de pilotes, plus d’intérêt général, et donc plus de ROI (retour sur investissement). La réglementation 2022 dont nous allons parler se place directement dans ce contexte et  dans cette lignée.

On se rapproche petit à petit, à contrario de ce que j’appelle une réglementation tendance “F1”, d’une réglementation tendance “formule monotype”.  Ce n’est pas sans effet négatif non plus, et le curseur est très difficile à positionner. Le risque (et il est de toute façon lui aussi inexorable), et de démotiver des constructeurs dont le business model n’est pas un “customer business”, mais une politique de mise en avant technologique, et de communication à travers la victoire. Un règlement trop restrictif nivelant par le bas les performances des autos, il est alors considéré comme “no fair” par les constructeurs “fortunés”… (“A quoi bon investir dans une discipline ou un bon team amateur peut finalement concevoir une auto quasi aussi performante que la mienne???….”) Sachant que l’on parle du sommet de la discipline du monde du Rallye, qui doit rester comme une vitrine et une locomotive pour le monde du rallye dans son ensemble.

Chacune de ces phases est donc inexorable, et se succède sur des périodes durant généralement entre 3 et 5 ans.

La situation actuelle illustre parfaitement ce schéma, et la problématique sanitaire actuelle avec le COVID-19, qui aura un énorme impact encore difficile à évaluer, pousse également à la raison et à réduire un peu la voilure. 

Le travail de la FIA est aussi et avant tout d’assure la pérennité de la discipline en attirant de nouveaux  constructeurs et c’est ce qu’il compte faire avec la nouvelle réglementation 2022 qu’il propose.

Autrement dit, je ne peux pas uniquement enfiler ma casquette d’ingénieur pour apporter mon jugement sur cette réglementation, sinon la messe est dite en 2 lignes : le règlement 2022 est moins intéressant que le règlement 2017, car plus restrictif. Point final, fin de discussion! J’espère que vous l’aurez compris, c’est beaucoup plus subtil que ça…

Ceci étant dit, alors comment juger si le règlement 2022 est un bon règlement ou pas ? Primo je n’aurais pas la prétention de le juger, simplement donner mon avis. Deuzio, comme je suis un scientifique et que mon approche est toujours guidé par le cartésien, essayons de poser les bases : l’intérêt numéro 1 est de faire baisser les coûts; l’intérêt numéro 2 est de faire en sorte que cela impacte le moins possible le spectacle (et donc la performance des voitures et le plaisir des pilotes); enfin l’intérêt numéro 3 est de laisser suffisamment de levier technique différenciant pour que les teams et constructeurs qui travaillent le mieux puissent faire la différence.
C’est donc avec ces 3 targets en tête que nous allons essayer d’évaluer chacune des propositions, et c’est évidement avec ces 3 idées aussi que la FIA a pondu son règlement, avec plus ou moins de succès on va le voir.

Je vais donc commenter chaque point de la nouvelle réglementation, du moins ceux officialisés en février dernier.

Transmission

C’est ce qui fait en partie le plus polémique à ce jour, car c’est un vrai bon arrière. Sur ce point, on se rapproche clairement d’une réglementation R5 actuelle (future Rally2).

  • Boîte 5 vitesses : Pas un énorme impact même si les performances seront moins bonnes forcément. Cela demandera un étagement différent et donc une plage d’utilisation moteur légèrement différente (tendance plus couple max que puissance max). Pourquoi pas, même si l’économie ne semble pas énorme. L’idée est de surtout mutualiser les technologies entre Rally1 et Rally2, et donc probablement de faire baisser les coûts par économie d’échelle. Difficile quand même pour le commun des mortels qui a une BV 6 rapports sur sa Peugeot 208 de comprendre pourquoi le sommet de la pyramide Rallye n’a qu’une BV 5 rapports… En même temps les boites manuelles vont sous peu disparaître….
  • Absence de différentiel central : C’est vraiment un gros moins selon moi, un des points sur lequel je suis le plus en désaccord avec ce règlement. Le différentiel central est un levier qui permet aux teams qui travaillent bien de faire des différences. En terme de coût, repasser à un arbre longitudinal fixe va obliger les teams à retravailler sur des systèmes de déverrouillages de pont AR lors des frein à main, ce qui est aussi coûteux, sans compter que ces systèmes (appelés PEAL) peuvent devenir de “mini différentiel central” si on n’y prend pas garde…. Bref à mon sens pas une mesure qui va forcément dans la bonne direction, et surtout un retour en arrière après 2017, où enfin le consensus avait été voté et trouvé entre les teams. Seul intérêt, conserver la aussi un package “full type R5” , d’où économie d’échelle potentielle…
  • Nombre de transmissions limité : Ce point est plus un aspect sportif que technique pour moi, même s’il implique une notion de fiabilité. Qui dit limitation dit durée de vie supérieure, donc marge de sécurité supérieure, pièces plus lourdes, moins optimisées, donc moins perfo. Et coût de mise au point et validation.

Suspension  

  • Réduction du débattement/course : Autre point sur lequel j’ai du mal à voir un intérêt : comme si le coût était proportionnel à la course!  Malheureusement un amortisseur plus long n’est pas plus onéreux qu’un amortisseur plus court, c’est même souvent le contraire ! Réduire la course va obliger les fournisseurs à plus d’ingéniosité pour conserver toute la technologie dans un espace réduit. Par contre la réduction de la course va impacter la performance pure de manière directe. Performance mais aussi sécurité…
  • Amortisseurs simplifiés : C’est vraiment très flou, car les contours de cette proposition ne sont pas parfaitement figé. On parle d’homologuer des pièces internes à l’amortisseur, pourtant chasse gardé des fournisseurs et des teams. Je suis inquiet en 1er chef par cette restriction, qui risque de mettre à mal l’économie des constructeurs de suspensions, mais je manque peut-être de recul pour parler de ce sujet 😉 A voir donc….
  • Pivots, porte-moyeu et barre anti-roulis simplifiés : Inspiration règlement ex S2000 et R5. Beaucoup d’économie certes, donc objectif rempli de ce côté là. Par contre les constructeurs devront faire des compromis, notamment sur les cinématiques entre terre / asphalte et le nombre d’options possibles….
  • Triangles de suspension : C’est un gros changement avec une spécification identique entre terre et asphalte, du jamais vu de mémoire en WRC. Les constructeurs vont développer des triangles très résistants pour la terre qui seront utilisés même sur asphalte malgré leur poids plus important (environ 30%). C’est une économie, et l’impact en perfo se fera au détriment de la spec asphalte…

Dès demain, retrouvez la suite de cet article avec des analyses sur l’aérodynamisme, l’arrivée des moteurs hybrides, ainsi que mon avis général sur l’ensemble de cette réglementation 2022, sans oublier celui des constructeurs actuels.




S’abonner
Notification pour
guest
19 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Henri Franck
Henri Franck
2 années il y a

En fait on n’y retrouve plus les voitures sportives d’antan tel BMW 2002TI.KADETT GT/E ETC.mais de petites voitures sans intérêt.

del18
del18
4 années il y a

Trés bon article, l’oeil de l’ingénieur est parfaitement compréhenssible et valable ! Je pense que les gros plateaux plein de bon et moins bon pilotes seront toujours ce qu’il y a de mieux pour le public, pleins de voiture, pleins de couleurs et pleins de spectacle à tous les niveau et ce quelque soit le niveau de performance des voitures qui quoi qu’il en soit doivent rester (en WRC) avec des perf et des techno au-dessus des autres competitions de rallye !!! Je comprend donc le besoin de baisser les coûts et donc le niveau technologique des WRC actuelle. Celà… Lire la suite »