L’oeil de l’ingénieur (Rallye de Finlande)



Dans cette nouvelle chronique “L’oeil de l’ingénieur”, Cédric Mazenq nous emmène en Finlande, anciennement le rallye des 1000 Lacs.

La Finlande, c’est LE RALLYE du championnat, à la fois le plus célèbre, mais aussi le plus prestigieux. S’imposer en Finlande, ça marque une carrière. Peu de pilotes européens ont réussi ce challenge (Sainz, Auriol, Loeb, Ogier et Meeke). On a eu coutume de dire pendant des années que pour s’imposer en Finlande, il fallait réunir 3 qualités : être finlandais, rouler sur une Ford, et être finlandais ! Les dernières éditions ont un peu bouleversées ces statistiques, et mêmes si les nordiques restent souvent difficiles à prendre, plusieurs top-drivers européens parviennent à finalement dompter les toboggans de Jyväskylä.

Côté ambiance, nous sommes clairement dans le pays du rallye : le temps s’arrête littéralement pendant un mois en Finlande, entre la période des tests qui précède et la semaine du rallye. Chez tous les commerçants, entre tous les habitants, toutes les discussions tournent autour du rallye : on mange rallye, on boit rallye, on vit rallye… La rue centrale de Jyväskylä devient le temps du rallye le plus grand forum au monde de motorsport….

C’est aussi pour beaucoup de pilotes le sommet de la saison car il intervient juste après la trêve estivale, et la tension pour le championnat commence à être palpable : c’est le début du dernier round, l’entrée dans le « money time » qui attribuera les titres pilote et constructeur. Il n’est pas rare (cette année encore) que les teams y apportent de nouvelles évolutions, et en parallèle, que les supputations sur les potentiels transferts de pilotes commencent à être sur toutes les lèvres. Pour toutes ces (bonnes) raisons, l’ambiance y est électrique et vraiment spéciale : je vous le conseille tous, amis passionnés !

Côté forces en présence, nous sommes sur les terres de Toyota, par l’intermédiaire du TMR (Tommi Makinen Racing, Tommi étant originaire de la région). La Yaris WRC y est quasiment née, ce qui lui attribue malgré elle un avantage particulier, par les milliers de kilomètres effectués sur ces routes avant même son homologation. Sur cette épreuve, les pilotes finlandais y sont aussi en grand nombre, que ce soit en WRC mais aussi en WRC-2, et ils sont toujours redoutables: la Finlande restant (derrière la France ???) un des viviers le plus fourni de pilote de talents, futur champions de demain.

Côté ES, c’est l’épreuve la plus rapide et la spectaculaire du championnat. Les vitesses moyennes oscillent entre 125 et 135 km/h, ce qui resserre énormément les différences entre chaque pilote. On y retrouve habituellement les écarts les plus faibles de la saison, et chaque seconde perdue est difficile (impossible ?) à rattraper. C’est un rallye très atypique avec des pistes ultra-rapides, un sol très dur et une terre compactée. Il y a beaucoup d’ondulations et de dellests, c’est un vrai rallye en 3 dimensions : la voiture y a rarement ses 4 roues au sol en même temps. A ce titre, les réglages y sont très différents d’une épreuve terre traditionnelle : on pourrait dire que l’on se situe presque à mi-chemin entre une voiture asphalte et une voiture terre.

On parle souvent de la Finlande de part ces nombreux sauts, et on me pose souvent la question : quelle est la bonne méthode pour passer les jumps ? Premièrement, les sauts sont éminemment moins nombreux que ce que l’on pourrait croire, ils restent au final assez peu fréquents, on a juste « l’impression » qu’il y’en a beaucoup parce que l’on médiatise beaucoup ses spots de par leur côté « sensationnels » et « spectaculaires ». Enfin, quitte à décevoir beaucoup de monde, la meilleure façon de prendre les sauts…. c’est justement de ne pas sauter ! Quand tu es en l’air, tu n’avances pas, et il vaut donc mieux limiter ce temps où la traction est nulle…

LA TECHNIQUE : L’AERODYNAMIQUE

On va profiter de la Finlande pour aborder un sujet sur lequel on a pas encore eu le temps de se pencher. Ce rallye étant celui où les vitesses sont les plus élevées, c’est par conséquent le rallye où l’aérodynamique a le plus d’impact sur les performances globales. Depuis la nouvelle réglementation en place début 2017, ce paramètre a peut-être été le plus grand changement technique apporté aux WRC nouvelles générations : en terme de look déjà, pour le grand bonheur des amoureux de formes type Groupe B de l’époque, mais plus que ça pour la performance pure et les vitesses de passage en courbe que la charge aéro autorise. C’est d’ailleurs sur ce point particulier (la vitesse de passage dans les virages rapides) que les pilotes ont eu le plus de temps d’adaptation entre les WRC anciennes et nouvelles générations.

Se préoccuper de l’aspect aérodynamique a donc été une nouveauté pour les ingénieurs concepteurs WRC, et ça a remis en cause beaucoup de certitudes sur pas mal de sujets connexes (géométrie, amortissement, même perfo moteur)..

Commençons par redéfinir de manière très basique les grandeurs physiques et les enjeux : une WRC lancée à haute vitesse subit une force qui tend à s’opposer à son mouvement. On décompose cette force en deux parties distinctes :

Horizontalement, lorsque la voiture se déplace en ligne droite et parallèlement au sol, l’intensité de la force exercée par l’air sur la carrosserie, appelée traînée aérodynamique, est proportionnelle à la fois au carré de la vitesse, à sa surface en vue de face, et à un coefficient qui dépend de sa forme. Ce coefficient, appelé taux de pénétration dans l’air, et plus connu sous le nom de Cx, témoigne de la facilité qu’a la voiture à “faire son trou” dans l’air. Par conséquent, plus le Cx est faible, ou encore plus sa vitesse est faible, moins sa progression est entravée par l’atmosphère car cette dernière exerce alors une force plus faible : on dit que la voiture « traine » moins.

Verticalement, l’air exerce aussi une force, appelée portance, qui suit la même logique : son intensité est proportionnelle au carré de la vitesse, à la surface de la voiture et à un coefficient qui dépend de sa forme, appelé coefficient de portance et noté Cz, qui traduit la propension de l’objet à décoller ou à être plaqué au sol. En effet la portance, contrairement à la traînée, peut être négative, et c’est bien ce qui nous intéresse ici (!) : on parle alors de déportance et lorsque cela concerne une voiture, d’appui aérodynamique (downforce pour nos amis anglo saxons…)

Vous me voyez encore venir, on va encore une fois devoir trouver le bon compromis entre appui et trainée, les 2 éléments étant intimement liés (même si c’est un peu plus compliqué que ça) : pour schématiser, une voiture avec beaucoup d’appui aéro va trainer plus qu’une voiture qui a très peu d’appui (les puristes diront que l’on peut essayer de combiner les 2 bienfaits, et ils auront raison : on parle alors de finesse aérodynamique, ratio entre appui et trainée (L/D : Lift/Drag…))

A la différence de la Formule 1, qui peut se permettre de définir un package aéro différent et adapté tous les weekends, concevoir un package aéro pour une WRC a mis les ingénieurs face à 3 grosses difficultés :

1/ La 1ère, c’est que l’on homologue un package pour la vie entière de la voiture (jokers d’homologation mis à part) : on doit donc placer le curseur au bon endroit, et viser juste ! Dois-je maximiser l’appui aéro pour augmenter mon niveau global de grip, au détriment de ma trainée et du coup de ma vitesse de pointe ? Dois-je au contraire favoriser ma vitesse de pointe, et minimiser toute résistance à la pénétration dans l’air, afin de tirer parti au maximum de ma puissance moteur ? Ces questions ont été celles que ce sont posées tous les concepteurs, et pour répondre tous se sont appuyés sur les données de la simulation : on rejoue une saison complète en faisant varier trainée et appui, afin de converger vers le compromis idéal. Un seul coup d’œil aux WRC actuelles permet de comprendre que les tendances des teams ne sont pas les mêmes, à tord ou à raison….

2/ La 2ème, c’est qu’il est plus aisé (ou plutôt moins difficile…) de prédire le comportement aérodynamique d’une voiture qui évolue en ligne droite, et avec une garde au sol constante et maitrisée. C’est la cas en F1 par exemple, où la problématique a même fini par s’inverser : les éléments mécaniques travaillent au service de l’aéro, générateur de performance à l’ordre 1. En WRC, impossible ! La garde au sol varie en permanence, et la voiture n’est que très peu de temps en parfaite ligne droite, mais bien 80% du temps en dérive ! De ce fait on a des turbulences et des variations de charges aéro permanentes, qui sont complexes à appréhender, car potentiellement perturbantes pour l’équilibre de la voiture. On parle alors de décrochage aéro, et de shift de balance aéro induits par ces décrochages. Là aussi un œil connaisseur pourra distinguer un travail en soufflerie ou CFD (pour Computational Fluid Dynamics, la mécanique des fluides assistée par ordinateur) différent selon les teams, intégrant plus ou moins la dérive dans les paramètres de calcul ….

3/ Enfin, et c’est la dernière difficulté mais pas la moindre, un appendice aéro performant pourquoi pas, à condition de le conserver intact sur la voiture sur la durée complète d’une boucle ! Sur les rallyes terre notamment, ce n’est pas une mince affaire, et il n’est pas rare de voir évoluer des WRC sans jupe avant voire même sans aileron arrière : je vous laisse imaginer les difficultés au volant pour pallier à haute vitesse à un différentiel potentiel de plusieurs dizaines de kilos par roue !

Ce sont ces 3 problématiques qui ont donc conduits les constructeurs a prendre des options plus ou moins différentes, en fonction de leur travail, de leurs savoir faire et de leur convictions techniques.

Sans rentrer dans les détails et encore moins juger le travail de chacun, on remarque par exemple que la Toyota qui semble la voiture à battre actuellement a maximisé l’appui aéro. Du côté de Citroën ou de Hyundaï, l’aérodynamique de la partie arrière de la voiture semble moins travaillé : cela explique peut-être les difficultés de stabilité de train AR à haute vitesse. Attention toutefois à ne tirer aucune conclusion vue d’avion (sans jeu de mot d’aérodynamicien !) : l’aérodynamique est une science d’une complexité quasi infinie, et qui dit gros appendice aéro ne dit pas forcément gros appuis….

ERREUR À NE PAS FAIRE

L’erreur à ne pas faire, c’est justement d’en faire une ! ! Si tu veux gagner en Finlande, il ne faut pas faire la moindre erreur. Le temps perdu ne se rattrape jamais sur cette épreuve car les écarts sont très difficiles à combler. De plus, les erreurs à de telles vitesses sont souvent rédhibitoires : comme on a coutume de le dire pour faire un bon mot : « La Finlande, c’est comme les boites de nuits : toute sortie est définitive ! » Les Rally2 ne sont donc pas légions !

Pour revenir sur les écarts ultra faibles, je me souviens de l’édition 2012, au cœur du gros duel entre les 2 Citroën DS3 WRC de Sébastien Loeb et Mikko Hirvonen. A l’arrivée, le finlandais échoue pour six secondes après avoir signé la majorité des scratchs. Et c’est le premier jour qu’Hirvonen a pris tout ce retard…en seulement 30 km et 3 spéciales ! Loeb savait que pour gagner il fallait saisir Hirvonen à froid (un comble pour un esquimau !)

LE JUGE DE PAIX

C’est un rallye où il faut être à 110% dans toutes les spéciales. C’est quasiment du circuit avec des spéciales archi connues de tout le monde. Il faut pouvoir rester concentré, sous pression, à bloc 3 jours durant. Tout va très vite, et être « au taquet » en permanence demande un investissement de tous les instants. Vous l’observerez aisément, les pilotes en Finlande sont toujours ultra tendus et crispés : ce n’est pas un hasard , c’est mentalement certainement le rallye le plus éprouvant de la saison.

Parmi les spéciales à suivre plus particulièrement, celles d’Äänekoski et Pihlajakoski sont les plus rapides avec des vitesses moyennes dépassant les 130 km/h. Mais le VRAI juge de paix, c’est peut-être Päijälä : l’an dernier Tänak y avait fait la plus grosse différence, en assommant littéralement la concurrence.

L’ANECDOTE

J’ai plusieurs souvenirs forts de ce rallye magique. Je m’en remémore particulièrement trois, chronologiquement.

Il y a tout d’abord la victoire de Sebastien Loeb en 2008 : c’est à mon sens la victoire qui lui a demandé « le plus » : Seb et Danos sont restés « cul serrés » 3 jours durant, pour aller décrocher ce qui représentait pour eux une certaine idée du graal : parvenir à s’imposer à la régulière chez les finlandais. A l’arrivée il s’était juré de ne plus jamais rouler comme cela, même si au final il s’imposera à nouveau par 2 fois en 2011 et 2012, avec une prise de risque bien moindre.

Je me souviens également du jump invraisemblable de Novikov en 2009, l’image et la vidéo ayant fait le tour du monde. Plus que le jump en lui-même, qui entrainera son abandon par une sortie de route quelques kilomètres plus loin, c’est le souvenir de son copilote Dale Moscatt au téléphone après chaque ES que je n’oublierais jamais : « Cédric, sors moi de là, ce mec est fou, je vais y laisser ma peau !!! »

Enfin, même si je n’étais pas là sur cette édition, le chrono de Kris Meeke dans le 1er passage de l’ES la plus célèbre du monde Ouninpohja en 2016 reste un monument de pilotage. Un véritable balai de 33 km, que je prends plaisir à visionner comme un bon vieux feuilleton : 15 min de plaisir en 3 dimensions ! Tous ceux qui ont mis un jour leurs fesses dans un baquet savent de quoi je parle !




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gaz
gaz
4 années il y a

Pour l instant le Finlandais sur une Ford est dernier des WRC !!! ..et il être estonien sur une toyota pour être en t^te et non pas finlandais sur une ford ….:)

riri73
riri73
4 années il y a

Toujours au top, comme d’habitude. Une petite question = Sur une WRC, à partir de quelle vitesse passe t-on dans la zone où l’aéro commence à jouer un rôle majeur ( en principe bénéfique mais qui malheureusement peut-être perturbateur comme expliqué dans l’article ) aux alentours de 110 km/h ou plutôt vers les 130 ?