L’oeil de l’ingénieur (Rallye du Portugal)



Dans cette nouvelle chronique “L’oeil de l’ingénieur”, Cédric Mazenq nous emmène au Portugal, premier rallye terre « classique » du championnat.

Ce rallye , première manche de la tournée européenne, sert généralement de baromètre pour la saison terre dans son intégralité. C’est un rallye référence, qui permet de vraiment situer le niveau de chacune des voitures.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la majorité des teams utilise les routes de la région de Porto ou de l’Algarve pour venir faire les tests terre de développement en période hivernale.

Ce rallye marque donc la fin de la tournée sud-américaine ou les rallyes spécifiques (Suède, Mexique en altitude…) : c’est la fin du round d’observation, et on entre un peu plus dans le vif du sujet de la saison.

La particularité du rallye dans la région de Porto est son sol très meuble et sablonneux. L’an passé et il y a 2 ans, la dégradation lors des seconds passages, c’était Beyrouth ! Le passage répété des autos créent des ornières très profondes, ce qui rend la voiture difficile à conduire et pas très agréable d’un point de vue pilotage : on joue au petit train, en suivant les rails, et en priant pour ne rien casser…..

Cette année, pour la première étape le vendredi, les organisateurs ont décidé de retourner dans la région d’Arganil, un nom de légende qui parle forcément aux amoureux du WRC, avec le souvenir des groupes B et des spectateurs qui s’écartent à chaque passage des voitures dans les années 80.

Personnellement, je garde une préférence pour le Portugal dans la région de l’Algarve, autour de Faro, pour y avoir vécu pas mal d’émotions fortes (on y reviendra).

LA TECHNIQUE

On va profiter de cette épreuve pour parler différentiels, élément essentiel sur une voiture de rallye. En WRC, ils sont au nombre de trois, avec 2 différentiels mécaniques à l’avant et à l’arrière et un différentiel central piloté.

Les différentiels mécaniques généralement utilisés par toutes les WRC à ce jour sont des différentiels à glissement limité, autrement appelé différentiels « autoblocants ». Chaque différentiel mécanique possède 4 leviers principaux de réglages ou paramètres de setup : les rampes (ou coquilles) d’accel et de frein, qui s’exprime en angle en degré (de 0° à 90°), le nombre de face de frictions « travaillantes », et le niveau de précharge.

Pour schématiser de manière simple, les rampes et les nombres de faces vont influer sur ce qu’on appelle « taux de blocage », ou « taux de transfert », que l’on exprime en pourcentage, et qui symbolise la « connexion » entre les 2 roues d’un même axe, en la fraction de couple que le différentiel va être capable de transmettre de le roue la plus rapide à la roue la plus lente. La précharge, quand à elle, va déterminer le taux de transfert « résiduel », qu’elle que soit la phase d’utilisation (agit en accel comme en frein, et devient prépondérante dans les phases neutres, en levé de pied par exemple).

Une rampe de 0°, c’est un diff bloqué, une rampe de 90° à contrario, on a aucun taux de transfert.

Les réglages du différentiels AV et AR vont donc participer grandement à l’équilibre de l’auto, sur gaz, et sur frein, et encore plus dans toutes les phases transitoires, en virage.

En effet, selon un rayon de courbure donné (rayon faible pour les virages très lent et serré, rayon important pour les virages insignifiant et rapides), les roues intérieures et les roues extérieures de la voiture n’ont pas la même distance à parcourir (plus de distance pour les roues extérieures, qui décrivent un cercle de rayon plus important que les roues intérieures). Cette différence de trajectoire va obliger les roues à tourner à des vitesses différentes (« différentiel » CQFD). Vous l’aurez compris, plus on a de taux, plus on va limiter ce différentiel, moins on a de taux, plus on va l’autoriser.

De manière encore une fois très simpliste : plus on a des virages lents et serrées, moins il faut de taux de transfert (on doit permettre à la voiture d’être libre), plus c’est rapide plus il en faut (pour créer de l’anti lacet, qui donne un feeling de contrôle et de confiance). De même, moins il y a de grip, plus il y a un problème potentiel de patinage (emballement de roue), et plus le différentiel sera bloqué. Au contraire, si le grip est important, la voiture aura besoin de pivoter, et le taux de blocage devra être plus bas.

Encore une fois, c’est une question de dosage et de compromis et le delta entre l’avant et l’arrière va pouvoir agir sur la balance sous-vireuse ou survireuse de la voiture.

Enfin le différentiel central va agir plus ou moins de la même façon pour connecter l’axe avant de l’axe arrière, on y reviendra peut-être lors d’une autre chronique.

Pour revenir au Portugal, ce rallye n’est ni un rallye lent, ni un rapide, c’est pourquoi il est très compliqué de régler les différentiels sur cette épreuve. C’est un subtil mélange à trouver. Il faut une voiture très homogène et une voiture qui sait tout faire, d’où son statut de rallye référence.

Sur les WRC actuelles, il y a également la problématique réglementaires de liens entre les rallyes. On doit nominer les différentiels pour des triplettes ou quadruplettes, donc on doit s’assurer de faire le bon choix. Les ingénieurs tentent d’associer les rallyes avec des caractéristiques proches : le Portugal par exemple peut-être lié avec la Sardaigne, ou encore avec l’Argentine et le Chili cette année. La seule action que l’on peut faire sur un rallye est de modifier la précharge. C’est un levier sur lequel les mécanos interviennent souvent lors des services.

L’ERREUR À NE PAS FAIRE

Se louper lors de la première journée. Avec une première étape sans assistance, le piège sera bien là et si un pilote se loupe le vendredi, son rallye est mort ensuite à cause du balayage. Pour cela, il faudra effectuer les bons choix de pneus, sortir entier et bien placé le vendredi soir.

La difficulté de ce genre de rallye, avec une 1ère journée sans assistance, et donc sans possibilité de changement de setup à la mi-journée, c’est de partir avec un mauvais setup. L’absence d’assistance oblige à avoir une voiture homogène et à faire des choix plus conservateurs. On recherche moins la performance qu’à l’accoutumée. On verra certainement les équipages à l’œuvre durant la Tyre Fitting Zone : hauteur de caisse, position de barres anti roulis, clics d’amortisseurs…. Ce sera à eux et à eux seul de faire leur setup pour le 2ème passage tout ça ne se fait pas au hasard, et est très souvent anticipé par l’ingénieur en concertation avec le pilote.

LE JUGE DE PAIX

Chaque année, la spéciale d’Amarante est un gros morceau et les écarts peuvent être assez importants. La journée du samedi est très exigeante pour les pneumatiques et il ne faudra pas arriver au départ d’Amarante, dernier chrono de la boucle, avec des pneus HS. Les écarts vont y être très importants : à vos splits!

L’ANECDOTE

Comme je vous le racontais en préambule, j’ai vécu des émotions très fortes sur cette épreuve : une des plus grand souvenir de ma carrière à ce jour, mais aussi un des pires…

La plus beau, c’est la première victoire en WRC de Sébastien Ogier en 2010. C’est un truc assez exceptionnel que nous avions réalisé à cette époque : emmener un jeune pilote (mais quel pilote…) à la victoire devant tous les teams officiels. Certains diront que l’on a profité de circonstances favorables, ce qui est vrai, mais la victoire n’avait été clairement volée à personne. Tout ça, c’était la force du Citroën Junior Team : une structure à taille humaine, sous l’égide de Benoit NOGIER, avec un mélange de techniciens détachés de la maison mère et l’ensemble des équipes de PH Sport, chère à Bernard PIALLAT. C’était une véritable fabrique à talents, équipages évidemment (Ogier/Neuville….) mais aussi ingénieurs, techniciens, et consorts… Ce genre de structure manque terriblement au sport automobile aujourd’hui, et n’a pas trouvé d’équivalent à mes yeux encore à ce jour. J’y ai en tout cas passé les plus belles années de ma carrière, et j’en parle toujours avec une pointe de nostalgie ! Cette victoire a marqué le vrai début de la carrière de Sébastien Ogier, mais également le début de la rivalité entre Ogier et Loeb, les circonstances et la gestion interne de cette victoire « hystérisant » cette future rivalité entre ces 2 énormes champions.

Deux ans plus tard, à contrario, j’y ai vécu l’un des pires souvenirs de ma carrière suite à la perte de la victoire de Mikko Hirvonen sur tapis vert. J’étais alors l’ingénieur de Mikko, qui avait réalisé un rallye ultra solide dans des conditions dantesques où tous les favoris étaient plus ou moins partis à la faute. Un rallye parfait de bout en bout, pour un équipage exceptionnel, et notre victoire qui s’envole à cause d’un embrayage non-conforme à la photo d’homologation, où une erreur fournisseur sans aucune incidence sur la performance, privera Mikko, Jarmo et toute l’équipe de sa 1ère victoire chez les rouges. C’était vraiment très difficile à vivre pour l’équipe, et il n’y a rien de pire comme sensation d’avoir célébré la victoire sur le podium, pour se la faire finalement retirer en coulisse au bout de la nuit. J’en garde encore à ce jour un souvenir très amer, heureusement vengé en Sardaigne quelques rallyes plus tard, et qui restera la seule victoire de Mikko chez les rouges, sa 15ème et dernière victoire à ce jour….




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Damien Patoux
Damien Patoux
4 années il y a

Un régal !

Olivier
Olivier
4 années il y a

Merci pour cette rubrique, qui apporte un éclairage de l’intérieur du WRC et d’en comprendre un plus toutes les subtilités