“En spéciale, j’oublie mes douleurs”, le parcours de Benjamin Bernard



Pour Benjamin Bernard, être engagé sur un rallye dans le baquet de gauche apparaissait déjà comme un miracle, mais le pilote de la Drôme en voulait plus. Reconnu handicapé à plus de 80%, ce jeune pilote de 27 ans vient en effet de remporter le rallye national de l’Ecureuil Drôme Provençale au volant d’une VW Polo GTi R5.

Après ce succès obtenu le 11 juin dernier, l’occasion était belle d’échanger avec Benjamin pour en savoir plus sur son parcours atypique et son combat de tous les jours. 

Bonjour Benjamin. Avant d’évoquer tes derniers résultats en rallye, peux-tu te présenter aux lecteurs ?

“Dès mon plus jeune âge (7-8 ans), j’ai été pilote professionnel de motocross. Je me suis mis au rallye après avoir rencontré de nombreuses blessures en moto. J’ai ouvert ma société de location en rallye “BBS Location” et on fait environ 80 locations par an avec des voitures comme une Renault Clio R3 ou une Citroën Saxo A6. Chaque année, j’essaie de rouler de mon côté sur les rallyes de Picodon et de l’Ecureuil sur des voitures que je loue.

J’ai débuté en Citroën Saxo A6 puis en Renault Clio R3 et j’ai gagné mon premier rallye au Picodon en 2019 avec une Peugeot S2000.”

Après cette victoire, un drame a changé ta vie à jamais.

“En effet, j’ai eu un gros accident de moto la semaine d’après. Je suis devenu paraplégique et je suis resté deux ans dans un centre de rééducation. J’avais trois vertèbres cassées et la moelle épinière comprimée, et à 1 millimètre près, je ne serai pas là pour te parler. Au lendemain de mon opération, on m’a dit que ce serait quasiment impossible de remarcher un jour. J’ai passé ensuite 6 à 8 mois dans un fauteuil roulant.

J’ai également la cheville gauche en mille morceaux et il faudrait une autre opération mais cela implique 3 mois d’immobilisation avec le risque de perdre ma mobilité actuelle.

J’ai eu la chance de retrouver des soignants que j’avais déjà côtoyé pendant mes années motos. J’ai pu rencontrer des gens vraiment exceptionnels.”

Quelles sont tes capacités aujourd’hui ?

“Je n’ai pas vraiment de mobilité à droite, je ne peux pas bouger mes orteils par exemple, mais j’ai des sensations à environ 60%. Côté gauche, ce n’est jamais revenu et je ne sens quasiment rien. Je suis reconnu travailleur handicapé à 82%. 

Dans ces conditions, il fallait vraiment que je trouve un objectif pour me motiver à me surpasser. L’objectif de remarcher ne me suffisait pas, j’avais cet objectif sportif de refaire un rallye, et j’ai gardé ça en tête chaque jour.”

Et concrètement, comment tu fais pour rouler ?

“Déjà, j’ai fait beaucoup de tests pour pouvoir rentrer et sortir de la voiture sans aide. En plus, j’ai gardé un corset pendant deux ans et c’était très compliqué ensuite de bouger.

Pour mon retour en 2021, je n’ai pas choisi la voiture la plus simple pour rentrer dedans avec l’Alpine mais c’était normalement la plus simple à conduire pour moi grâce aux palettes. On a développé une pédale d’embrayage pour que mon pied gauche ne bouge pas. GT2i a travaillé avec mon neuro-chirurgien pour arriver à la solution d’aujourd’hui.

Et 2 ans jour pour jour après mon accident, je me suis retrouvé au départ du Picodon l’an passé. On termine 4e au scratch et je ne n’étais pas si content que ça, mais j’ai toujours été dur avec moi-même.

Comme je me sentais de mieux en mieux, on a voulu tenter le coup avec une Polo R5 sur ce rallye de l’Ecureuil que l’on gagne. Le début d’année ne m’a pas facilité la tâche avec une infection de la moelle épinière, mais on l’a fait.

Après un tel week-end, on peut se dire que même quand il n’y a plus d’espoir, il faut garder espoir ! Je vis dans la douleur tous les jours, mais en spéciale, j’oublie mes douleurs avec le plaisir de pilotage que je ressens. Du coup, la semaine dernière était un peu folle. On a fêta ça le lundi et il y avait un engouement de dingue. Je suis hyper reconnaissant envers toutes les personnes qui m’aident et me soutiennent.”

Quel est ton quotidien/entraînement pour te permettre de faire du sport ?

“Environ 200 km/semaine de vélo, 8 à 10h de renforcement musculaire avec kiné, des soins de récupération ou encore de la cryothérapie. Si je diminue ça, je sens que ça va moins bien et je n’ai pas envie de régresser !”

Et maintenant, quels sont tes prochains objectifs ?

“On va essayer de gagner le Picodon en septembre prochain et ensuite, mon rêve est de faire une manche du CFR Asphalte. Je vise le Var, c’est un rallye que j’ai déjà fait en R3. Le but n’est pas du tout pour faire une place au scratch car j’ai bien conscience du niveau énorme du championnat. C’est déjà une idée que j’avais avant mon accident, c’est un projet qui me tient à coeur et je suis en cours de négocations avec des partenaires.

J’en profite pour remercier le team Balbosca qui m’a tout de suite fait confiance. Cela n’a pas été simple de trouver un team qui veuille me faire rouler. Ils ont accepté d’intégrer cette pédale d’embrayage particulière et mon baquet également.”

Quels étaient les avis de tes médecins pour ce retour en rallye ?

“Ils n’étaient vraiment pas chauds en me disant que j’avais eu un joker mais que j’en aurais sans doute pas deux. Mais que si le rallye était un moteur pour moi, il fallait que je continue. Je sais que si je sors de la route, je retourne en fauteuil.”

En cas de sortie justement, comment ça se passerait ?

“On a fait des simulations pour m’extraire de la voiture et ce serait forcément difficile. J’ai essayé de tout mettre en application pour rouler en sécurité. Depuis mon accident, j’ai passé un step dans mon pilotage, je suis encore plus propre et plus fin, j’ai été forcé d’adapter mon pilotage. Avant de revenir en rallye, j’ai fait beaucoup de simulateurs pour trouver des sensations et notamment sur les freinages car je n’ai pas de force. Même si certains ont des doutes sur les simulateurs, je peux affirmer que cela m’a énormément aidé. Forcément, je ne peux plus freiner pied gauche par exemple. Mais le risque zéro n’existe pas.

À droite, Cédric (Schiano) m’aide beaucoup, il sait exactement ce que je peux faire et comment je vois les choses. C’est un ami, il était là lors de mon accident de moto et m’a permis de retrouver confiance. Je pense que je ne pourrais rouler qu’avec lui.

Pendant ma rééducation, mon ex-compagne Noémie a également joué un rôle exceptionnel à mes côtés et a grandement contribué au fait que je sois dans cette situation aujourd’hui. Avant mon accident, c’était également ma copilote.”

Dans la vie courante, comment te déplaces-tu ?

“Je ne peux plus courir, je ne travaille plus normalement, je dois rester au bureau. Donc si en plus, on m’enlève les rallyes, je n’ai plus cet objectif qui me permet de me battre.

Je marche lentement, j’ai un dysfonctionnement côté gauche et cela se voit forcément. Quand je pense au rallye, c’est bête mais je ne peux pas aller aux toilettes tout seul par exemple.”

Quelles ont été les adaptations sur ta Polo ?

“La bonne nouvelle, c’est que cette voiture offre beaucoup de réglages de pédalier possibles. C’était beaucoup plus compliqué avec l’Alpine. Avec la Polo, on peut jouer sur la longueur, le positionnement ou encore la garde. Au fil du rallye, c’était de mieux en mieux et je salue tout le team d’ailleurs.

De son côté, la FFSA a été conciliante. Déjà, le plus important pour moi était d’obtenir une licence normale. Même si cela n’a pas été facile, j’ai réussi les examens nécessaires à la visite médicale. Côté technique, il n’est pas autorisé d’avoir un pied attaché (en cas de sortie) et c’est pourquoi on a travaillé sur cette pédale spécifique. Au début, on voulait mettre l’embrayage sur le volant mais la FFSA n’était pas pour. Il me sert à démarrer mais aussi parfois à faire tomber les rapports.”

À travers cet interview, tu voulais plus globalement montrer qu’une personne avec un lourd handicap comme le tiens, pouvait s’aligner au départ d’un rallye, et peut-être, en convaincre certains. Est-ce que tu connais d’autres pilotes dans ton cas ?

“Oui, je pense notamment à Fabrice Giorgi en Corse qui roule avec une Peugeot 207 S2000 ou à Stéphane Bourg avec une Peugeot 306 Maxi qui sont tous les deux paraplégiques et se déplacent donc en fauteuil roulant. Ils roulent très peu car cela leur demande beaucoup d’énergie.

Je suis plus jeune qu’eux et j’ai eu cette chance d’avoir une bonne base physique avec toutes mes années de motos et d’entraînements derrière moi, sinon ce serait impossible. J’ai aussi une hygiène de vie excellente et je m’entraîne finalement comme si j’étais encore pilote professionnel.”

Et afin de partager plus globalement ton parcours, tu as le projet de publier un livre.

“En effet, je suis en cours d’écriture. Pas pour me mettre en avant attention, mais pour essayer, à ma manière, de faire passer un message. Montrer qu’il est possible de poursuivre ses rêves malgré nos handicaps, que ce soit faire du rallye ou sauter en parachute par exemple, à chacun son défi qui lui permet d’avancer.

Enfin, je profite de cet article pour remercier mes parents, Noémie, mes proches, les gens qui croient en nous, nos partenaires, le team Balbosca mais aussi Rallye Sport pour cet interview !”




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Robin
Robin
1 année il y a

Magnifique témoignage qui bouleverse la vision que l’on peut avoir de l’handicap.
Grand respect à ce pilote !

BARBERO
BARBERO
1 année il y a

Et moi qui me pleins pour un rien.
Belle leçon .
merci.
Et bonne continuation…