Monte-Carlo : des hommes et des lieux



Au fil des années, les hauts-lieux ont déserté le parcours du Monte-Carlo. Ce dernier, amputé de ses racines, a perdu un peu de son âme même si le spectacle des WRC modernes et de leurs « pilotes de chasse » est absolument ahurissant.

En Janvier 2021, cela fera 40 ans que la Renault 5 Turbo de l’équipage Ragnotti-Andrié a remporté le 49ème rallye Monte-Carlo. Si depuis 90 ans le Monte-Carlo s’affiche comme l’épreuve la plus prestigieuse et la plus inaccessible, c’est avant tout parce qu’elle demeure associée à des hauts-lieux. Sans les hommes, les lieux ne sont rien mais pour les virtuoses du volant, il faut que la scène et le décor soient à l’unisson. A la taille de l’univers, les étoiles ne sont pour certains que d’infimes poussières mais pour d’autres, elles brillent si fort qu’elles peuvent éclairer une vie entière.

Burzet, le Moulinon, Laborel, la Chartreuse, Saint-Nazaire-le-Désert, la Souche, Saint-Bonnet-le-Froid, Col-de-Bleine, Fontbelle… Des hauts-lieux du rallye, les racines de la discipline. Par leurs actes de bravoures, les concurrents du Monte-Carlo ont insufflé le souffle de l’héroïsme à des villages et des routes oubliés. Cette nature brute, sauvage, cet environnement sublime dont la rudesse a éloigné les hommes, toutes ces terres délaissées depuis l’exode rural ont gardé leur âme et tiennent enfin leur revanche. Contrées délaissées qui s’érigent en berceau de l’audace et du plus beau rallye du monde. Grâce au Monte-Carlo, d’improbables rubans de bitumes lacérant montagnes et vallées sont devenues épiques, le théâtre à ciel ouvert des plus grands récitals sur macadam. Contraste saisissant entre ces endroits de calme et de quiétude qui deviennent l’espace d’un instant le siège d’une indescriptible furie… avant de retomber dans leur léthargie. En quelques minutes et une poignée de secondes, ces paysages oubliés et silencieux 364 jours par an ont fait des hommes et des femmes qui les ont conquis de véritables légendes pour l’éternité. Mais pour sortir vainqueur de Lachamp-Raphaël, d’Antraigues, de Rosans, du Café Caret, de Sisteron ou des Garcinets, il ne suffit pas d’être bon pilote. Il y a des courses et des disciplines où il faut « uniquement » battre ses concurrents. Là, il s’agit aussi d’affronter les éléments, la rudesse du climat, les pièges qui truffent le parcours et le fantôme des histoires qui plane et hante chaque virage. Et quelles histoires…

1981. Au volant de sa Porsche, Jean Luc Thérier tient enfin sa victoire, il éclabousse le rallye de son talent avant de sortir sur de la neige déposée par des briseurs de rêve dans la descente du Turini, col emblématique du Monte-Carlo. Jean Ragnotti récupère les commandes de l’épreuve et remporte le plus beau rallye du monde.

1982. Michèle Mouton réalise le scratch dans le Turini avec son Audi Quattro. La mémoire nous rappelle ici que la mythologie compte autant de déesses que de dieux et que Christine Driano s’est offert à Monaco une incroyable 13ème place en 1993 avec son AX GTI, juste derrière Isolde Holderied. Christine avait même claqué le 9ème temps scratch dans Entrevaux. Et puis, il y a eu toutes celles de droite, une armée de l’ombre et du courage…En 82, c’est Walter Röhrl qui impose son Ascona 400 après 8H20 de lutte tandis qu’un Guy Fréquelin héroïque réussi plusieurs scratchs au volant d’une Porsche 911.

1983. Thérier et sa R5 Turbo livrent un combat homérique avec la 037 de Röhrl et l’Ascona de Fréquelin. Le Normand survole la Chartreuse et ses 44km. La nuit, le verglas, Thérier double Ragnotti et prend la tête devant Fréquelin, puis s’envole sur une bosse des Garcinets … Cette année là, Röhrl claque un 24min30 dans les 37,25km du Moulinon-Antraigues qui ne sera jamais battu et remporte sa 3ème victoire à Monaco mais les spectateurs présents dans la Chartreuse se rappellerons à tout jamais de la R5 Turbo de Renault-Chartres pilotée par un magicien.

1984. A la lueur des phares, la Chartreuse se dévoile recouverte d’un beau manteau blanc et devient féerique. L’Audi Quattro de Blomquist dépasse la R5 Turbo de Thérier qui sort dans un mur de neige dans la manœuvre. Une multitude de sapins se dressent comme autant d’immenses statues de glaces au sein d’une véritable forêt boréale : bienvenue à Saint-Bonnet-le-Froid ! Le givre fige le paysage et ralentit le temps mais pas Walter Röhrl. Sur la neige glacée, le néo-pilote Audi relègue Blomqvist à 30sec en 25km. Puis arrivent l’Ardèche, le Moulinon. Devant « la Remise » à Antraigues, Röhrl pose 1min08 au leader Suédois. Fin de l’histoire. Thérier, lui, a déjà oublié la Chartreuse et «emmanche-grave » dans le couloir aérien qui relie le Col-de-la-Fayolle à Antraigues. Jean Luc offre un véritable numéro de voltige. L’acrobate réchauffe la châtaigneraie engourdie et refroidit ses adversaires : en 37 km, il relègue la R5 de Saby à 1min13 et la 037 de Bettega à 1min49… A l’instar de Piot ou Fréquelin, Thérier n’a pas souvent connu la chance sur les plus prestigieuses routes du monde et il restera, à mon avis, comme le plus grand roi sans couronne. Un sacre ici aurait été la plus belle des reconnaissances pour ce réfractaire…aux reconnaissances !

Il y a des routes et des exploits qui hantent les mémoires de ceux qui sont atteints de « rallyrage », un virus dont les symptômes se manifestent par de brutales montées d’adrénalines et par la fièvre du rallye…

1984 toujours mais 66 places derrière le vainqueur Walter Röhrl : un jeune équipage inconnu rejoint Monaco avec une Samba Rallye quasi-d’origine et sans pneus clous. Pour François Delecour et Anne Chantal Pauwels, c’est une révélation. Et enragés eux, ils le sont ! Cinq jours et cinq nuits de roulage, 750 bornes de chronos, la neige partout. Froid, effroi…exploit ! Ni le givre, ni le vent glacé ne refroidissent le sang chaud qui irrigue les cœurs vaillants : dans les Savoyons, il y a tellement de neige que François décide qu’il n’y a qu’une seule façon de franchir ce col : en marche arrière ! Avec Anne Chantal sur le capot, pendue aux essuie-glaces … Une rage pareille, ça se remarque ! 1330m d’altitude : Lachamp-Raphaël est prisonnier du gel, la Burle hurle à en percer les tympans, le froid mord jusqu’à l’os. La vie semble avoir quitté ses lieux. La Quattro de Röhrl déchire le silence et inflige 30sec à Blomqvist, ankylosé. Pourtant, dans la vertigineuse descente du Ray-Pic, Walter a mal entendu une note et frôlé la catastrophe… La petite Samba de l’équipage Nordiste, elle, continue de réaliser des miracles. Ici même, 7 ans plus tard, le 27 janvier 1991 au petit matin, sur ce plateau de Haute-Ardèche, lunaire, la Burle nous cisaille à nouveau. Quand la Sierra N°12 déboule, c’est propre, efficace, et François lui, n’a pas opté pour les pneus clous. Cette fois ça y est, Delecour rentre dans le match et la cour des grands. A St-Martial, après 41,41 km de portions sèches, puis enneigées, puis verglacées, le couple Delecour-Pauwels réalise 25min56. Le scratch ! Leur premier en mondial, ici, dans le Burzet.

Sur les routes du Monte-Carlo, lorsque le terrain et le grip changent sans cesse au gré des versants, de l’altitude, de l’heure de passage… une sorte de sixième sens permet de « rester vivant ». Un don qu’on retrouve chez tous les funambules qui ont marqué cette épreuve : Röhrl, Thérier, Toivonen, Auriol, Delecour, Loeb, Ogier…

Bien sûr, personne ne pourra oublier les éditions 85 et 86 lorsque Vatanen puis Toivonen sont devenus des dieux vivants sur les routes du Monte-Carlo, ni la fabuleuse dynastie des Sébastien à partir de 2002. Mais avant Loeb et Ogier, à une époque où l’épreuve comptait encore plus de 600km de morceaux de bravoures, à une époque où les hauts-lieux avaient encore une signification pour les hautes sphères décisionnaires, d’autres pilotes y sont devenus des légendes. Le Monte-Carlo n’est pas une science exacte. C’est une remise en question permanente. C’est l’ADN de ce sport. Sur ce terrain là, la différence entre un « bon » et un « exceptionnel » saute aux yeux. 1992 nous l’avait une fois de plus démontré…

60ème Monté Carlo. Schwarz est leader au volant de sa Celica avant le Col-du-Perty où Delecour et la Sierra posent d’un coup 20 sec à l’Allemand. Puis, dans Saint-Nazaire-le-Désert, aux commandes d’une Delta Intégrale Auriol prend la tête. En Ardèche, son seul rival est Delecour qui résiste et s’impose…à Burzet. Mais à Lalouvesc, le Millavois lui inflige 33 sec…en 33km ! Dans le Vercors, Delecour le maudit perd 3min. Avant Sisteron, Auriol possède 50 sec d’avance sur Kankkunen et 1min40 sur la Toyota de Sainz. Mais on le sait depuis la nuit des temps, le Col-de-Fontbelle est un juge de paix. En slicks, Auriol patine alors que Sainz équipée de Pirelli cloutés découpe la glace. L’Espagnol rentre à Digne avec 49sec d’avance sur Didier ! Confortable ? Sur la route de Monaco, le pilote de Millau attend l’heure et le lieu.

Dans les ténèbres de la Couillole, à 1678 m d’altitude, Auriol s’envole au dessus de la Tinée et bascule de l’autre côté du col en tête, pour 5 sec. Col-Saint-Raphaël : le froid mord et Didier resserre encore l’étau mais c’est un hallucinant Delecour qui scratche avec 13 sec d’avance en 23 km ! 23h02 : Utelle, le coup de génie du lutin Millavois. En surplomb de la Vésubie, l’Espagnol encaisse 16 sec en 18 km. Il reste 3 chronos et le pilote de Millau  possède 34 sec d’avance sur un Matador déjà condamné. 3h43 : retour au Col-de-la-Couillole, Auriol décide d’ériger une stèle funéraire à son adversaire. 6h34 : Didier Auriol a repris 2min54 à Carlos Sainz depuis la Citadelle de Sisteron et remporte son second Monté Carlo avec 2min05 d’avance sur l’Espagnol !
Auriol était déjà un champion. Tout comme Timo, Björn, Sandro, Jean Claude, Jean Luc, Bernard, Jean Pierre, Walter, Jeannot, Ari, Henri, Bruno, Carlos, Tommi, François …les hauts-lieux du Monte-Carlo ont fait de Didier une étoile du rallye. La légende raconte que les étoiles brillent pour l’éternité…




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SSLO
3 années il y a

Comment faire pour retrouver ce spectacle qui durait un semaine , ce talent et la proximité des pilotes qui nous régalaient dans une ambiance de fête ,de folie ,ou on écoutait la radio RMC toute la nuit car il ce passait toujours quelque chose, ou on faisait plusieurs kilomètres à pied des heures avant pour être bien placé , la rigolades entre nous , les Italiens , les Allemands , le vin chaud , les thermos de café ou même les enfants de l école comme à St Bonnet le Froid participaient avec leurs décors . SOHAITONS tous que les… Lire la suite »

RallyePlaisir
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3 années il y a

Merci. C’est admirablement écrit.