L’oeil de l’ingénieur (Rallye d’Argentine)



Dans cette deuxième chronique “L’oeil de l’ingénieur”, Cédric Mazenq vous fait découvrir l’Argentine, pays du Malbec et de l’Asado, mais aussi certainement le terrain le plus exigeant du championnat en terme de liaison au sol.

Le rallye d’Argentine est le rallye le plus bosselé de l’année car il est le plus compliqué en vertical et fait souffrir le plus les amortisseurs, c’est vraiment la caractéristique majeure de cette épreuve.

En effet, la particularité forte du rallye d’Argentine est son exigence en termes d’amortissement. Pourquoi ? Parce qu’on y cumule une excitation sol permanente, une dégradation entre chaque passage très importante, et surtout, et c’est en cela que ça se complique, une vitesse moyenne assez élevée. Cassant mais relativement lent, ça va… cassant mais à la fois rapide, attention danger !

Une autre de ses caractéristiques, c’est l’ambiance et l’atmosphère qui y règne. Les gauchos sont absolument fans de rallye, et qui plus est très connaisseurs. Ils sont capables de s’enfermer 4 à 5 jours avant dans les ES comme El Condor, et vivent au rythme du rallye pendant toute la semaine. Cet accueil ultra chaleureux en fait vraiment un rallye très spécial, personnellement l’un de mes rallyes préférés. Parlez de Villa Carlos Paz et du Zebra Club à un inconditionnel du WRC et ses yeux s’illuminent !

En terme de profil, 3 jours et 3 régions bien différentes. Au Sud, dans la vallée de Calmuchita, (surnommé « chez les boches » car l’histoire raconte que beaucoup de nazis fuyant l’Europe dans les années 40 y auraient trouvé refuge) on trouve des ES ultra roulantes, rapides. Le samedi, vers Punilla, on retrouve plus de sinueux. Enfin le dimanche, on part sur la lune ! On retrouve les fameuses ES de Guilio Cesare et d’El Condor, perchées à plus de 2000m d’altitude, que les pilotes referont en montée cette année (le « vrai sens » !). Un monument du WRC, pour son ambiance et ses paysages d’Indiana Jones, mais paradoxalement pas si apprécié que ça des équipages, car vraiment lent et tortueux, et tellement cassant que l’on a la sensation d’être dans une machine à laver.

Bref un rallye encore une fois ultra varié, et extrêmement exigeant pour la mécanique et les équipages.

LA TECHNIQUE

L’élément clé de l’Argentine ce sont les amortisseurs. En effet la particularité du sol de la pampa, ce sont les pierres enchassées, ultra nombreuses. Ces genres de « roches mères » emprisonnées dans la terre et dépassant de la surface de la route, en plus de solliciter énormément les pneumatiques, provoquent une sollicitation ultra hautes fréquences des amortisseurs. Imaginez-vous rouler sur une route pavée du nord, c’est très proche. Qui dit excitation haute fréquence, dit hausse de la température. Qui dit hausse de la température dit potentielle déchéance hydraulique, c’est-à-dire un amortisseur qui peut avoir tendance à s’assouplir au fil des kilomètres.

Le vrai challenge de l’Argentine, c’est de garder du confort dans les zones très cassantes, en évitant le phénomène de « trépidations » qui se traduit par de micros pertes de contact roue/sol (donc perte de grip), et d’avoir suffisamment de contrôle et de protection. En effet, du fait des vitesses très élevées, on a énormément d’énergie à dissiper lors de chaque compression. Il faut donc être capable de trouver le diagramme (loi effort vitesse) idéal, en restant à la fois suffisamment souple pour le grip et le confort, et suffisamment dur pour assurer le contrôle et la protection. Tout cela dans un contexte de surchauffe potentielle. Bref un vrai casse-tête pour les ingénieurs !

L’ERREUR À NE PAS FAIRE

L’erreur à ne pas faire, qui rejoint mon point précédent, c’est de se décaler en setup, soit trop d’un côté, soit trop de l’autre. Une voiture trop souple, trop axé grip et perfo, et on peut se faire de grosses chaleurs dans le vite, en ayant un manque cruel de « support » (cf. Citroën en 2017). Au contraire, faire un char d’assaut incassable, et on tue la perfo (cf. Ford et Ogier 2018). Encore une fois, une histoire de compromis !

LE JUGE DE PAIX

Chaque année en Argentine, les pilotes redoutent la présence de brouillard. C’est une donnée qui vient très souvent brouiller les cartes en Argentine. Je me souviens de l’édition 2008 où le brouillard était à couper au couteau dès la 1ère ES du rallye. Hirvonen fait un gros temps en partant premier. Derrière, Loeb s’élance et perd plus de cinquante secondes en seulement 18 km. Tout le monde dans la tente technique Citroën pense à ce moment-là à une erreur de temps d’une minute, persuadé que que Loeb était dix secondes devant…. Hirvonen n’en profitera pas beaucoup, contraint à l’abandon une paire d’ES plus tard !

L’année dernière encore, une bonne partie d’une spéciale de samedi était plongée dans le brouillard. La moitié du plateau s’est alors retrouvé à plus de sept dixièmes au kilomètre, un gouffre dans la période actuelle.

L’ANECDOTE

Je vais vous passer les anecdotes de soirée de fin de rallyes au Zebra… où même de celle du tonneau de Ogier en 2011 en tête à 2 ES du but (qui offre la victoire à Loeb remonté comme un diable après une pénalité d’1min en début de rallye !!!), et je vais vous conter une anecdote qui nous a beaucoup fait rire, et qui a eu pour conséquence la modification du soft de la DS3 WRC au rallye suivant.

On est aussi en 2011, lors du dernier service avant le passage au podium et le parc fermé final. La procédure de chaque assistance est de démarrer 5 min avant la fin du service, afin de se garder une marge en cas de problème. Sur la DS3 WRC, un bouton au centre du volant lance une procédure de démarrage, sans besoin de maintenir le bouton enfoncé. Cela permet au pilote qui cale en ES de redémarrer instantanément.

A ce moment-là, Peter Solberg est interviewé par WRC TV, sa voiture en fond de plan, à quelques mètres du lac de Villa Carlos Paz. A 5 min de la fin du service, en pleine interview, un technicien lance le démarrage de la voiture, mais la voiture est posée par terre, 1ère vitesse enclenchée !!! La voiture fait donc une embardée de plusieurs mètres en avant, et sans une réaction parfaite du chef de voiture de l’époque qui a couru et sauté dans l’habitacle, on aurait eu droit à l’abandon le plus risible de toute l’ère du WRC… avec une DS3 tombé dans le lac !
Depuis ce jour, la procédure de démarrage ne se lance pas si le point mort n’est pas présent !!!!




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Olivier Pellegrin
Olivier Pellegrin
5 années il y a

Super

Pat
Pat
5 années il y a

BRAVO R.S, là on a vraiment des articles qui nous font vivre le rallye comme peu le connaisse , pourquoi pas une rubrique de ce type plus régulièrement, merci pour votre boulot et continuez comme cela !!!!