Monté Carlo 1991 : François Delecour, de Burzet au Turini



Je n’aime pas le Turini ! Ne me demandez pas pourquoi… C’est comme ça, je n’aime pas le Turini…Pour moi, le Monté Carlo c’est la Chartreuse, Saint-Jean-en-Royans, Saint-Nazaire-le-Désert, Sisteron, Saint-Bonnet-le-Froid et surtout, l’Ardèche ! Le Moulinon, Antraigues, Lalouvesc, la Souche, Burzet. Aaaah Burzet…

Monté Carlo 1987. Après avoir vu passer la 205 GTI de François Delecour et Anne Chantal Pauwels, Yves Loubet présent en spectateur déclare : «  Celui là, il est fou ! ». En 1986, François avait déjà réalisé le scratch du GrN dans la « soupe » de St Bonnet le Froid avec une 205GTI de 105cv. Puis un 3ème temps du groupe à Burzet… En 88 et 89, le natif de Hazebrouck, la mort dans l’âme, ne mettra pas les roues sur les routes du Monté Carlo mais il se rappelle au bon souvenir de tous lors de l’édition 90, au volant de sa 309 GTI officielle. Cette année là, j’étais posté un peu plus bas que la cascade du Ray-Pic dans la fameuse et vertigineuse descente sur Burzet. La boucle Burzet – Burzet, c’est prés de 45km de bravoure et lors de cette édition, la route est sèche. Carlos Sainz réussit le scratch avec sa Celica GT4, en 25min48. Dans ce morceau rapide et bosselé, ça vole. Sainz, Auriol et Schwarz sont à l’attaque, c’est beau et certains pensent avoir tout vu… moi, j’attends surtout la 309 Enjolras de « freine-tard » qui vient de réaliser le 9ème chrono dans le Moulinon… Quand la tornade surgit, c’est à peine si on entend le bruit du moteur tellement la foule crie et hurle ses encouragements au Nordiste. Le volant entre les dents, Delecour est en rage, la Peugeot survole les bosses et signe le 8ème temps scratch, 37sec devant la Galant VR4 de Vatanen. A Monaco, François rentre à la 9ème place. Exploit. Aujourd’hui, le souvenir le plus fort de ce Monté Carlo 1990, pour moi, c’est Delec’ dans Burzet…

En janvier 1991, je suis étudiant au Puy en Velay et un soir, après les cours, je monte dans ma R11 GTX pour aller « limer » Burzet. Je connais bien le coin mais dans quelques jours, les concurrents du Monté Carlo tourneront à gauche dans Lachamp-Raphael et plongeront sur St-Martial au lieu de rejoindre le village de Burzet. Dans cette nouvelle descente inédite pour moi, le rythme s’emballe un peu et un freinage légèrement optimiste se finit au frein-à-main avec le nez de ma pauvre Renault en sens inverse… et qui semble vouloir faire demi-tour ! Après ces reconnaissances énergiques et studieuses, je choisis finalement de me placer vers Sagnes-et-Goudoulet le jour de la course.

Quelques jours plus tard, le samedi 26 janvier 1991, avec un frangin, nous décidons d’aller dormir là haut dans la montagne et dans la voiture, sur le plateau Ardéchois. La première étape de classement du 59ème Monté Carlo a déjà eu lieu. Sur sa Lancia Fina, le tenant du titre Didier Auriol s’impose à Antraigues mais avait perdu 9min sur problème moteur. Et il n’a pas encore fini son chemin de croix… C’est la Celica de Sainz qui mène les débats devant les Lancia de Biasion et Saby à 54sec puis, à 1min01, la Sierra du nouveau pilote Ford, un certain François Delecour. C’est la juste reconnaissance de son talent pour l’espoir de Cassel et puis surtout, après deux saisons de « séparation », le couple historique François Delecour – Anne Chantal Pauwels est reformé ! Anne-Chantal, celle sans qui François ne serait peut être jamais devenu « freine-tard » va enfin récolter le fruit d’années de sacrifices et d’efforts. Beaucoup s’attendait cette année là au duel Lancia-Toyota. Il n’aura pas lieu ! A cause ou plutôt grâce à Peter Ashcroft le boss de Ford Motorsport, grâce au talent de François Delecour, à Anne Chantal et à quelques autres…

Le dimanche 27 janvier au petit matin, sur ce plateau lunaire vers Sagnes-et-Goudoulet, il fait un froid Sibérien. Cette nuit, tout a gelé dans la R11, l’eau, la bouffe, nous…tout. A l’image du décor, nous sommes complètement givrés. Dehors, la Burle nous fige et nous cisaille, mais peu importe, je sais, je sens qu’il va se passer quelque chose disons…d’historique. Nous ne verrons pas passer Didier Auriol, la Lancia est arrêtée quelque part au-dessus du Calvaire de Burzet. Quand la Sierra Cosworth N°12 déboule, c’est propre, efficace et visiblement François n’a pas opté pour les clous comme nombre de ses adversaires. Et ça va vite, très vite. Je regarde le chrono qui me confirme l’impression et cette fois ça y est, Delecour rentre dans le match et la cour des grands. A St-Martial, après 41,41 km de portions sèches, puis enneigées, puis verglacées, puis humides…François et Anne Chantal réalisent 25min56. Le scratch ! Leur premier en mondial, ici, dans Burzet. Plus que jamais, le chien de François qu’il appelle Burzet va bien porter son nom ! Le couple diabolique enchaine ensuite les perfs et les meilleurs temps et entament une folle remontée. Bien aidé par le travail de son ouvreur Patrick Magaud, l’étoile du Nord multiplie les attaques et les exploits. A Saint-Jean-en-Royans, tout le monde est en clous et l’ex-pilote Peugeot, sur la neige, en remet une couche. Magnifique ! Dans Sisteron, Schwarz le « givré » opte pour les clous et pose 44sec à François en pneus Pirelli intermédiaires. Magaud avait dit : « clous ! »… mais chez Ford, ils conseillent des slicks. D’où ce choix intermédiaire…Dommage ! Armin Schwarz continue son festival dans Malijai et Clumanc mais avait perdu toutes ses chances sur une crevaison dans Burzet. François continue de grappiller sur Carlos, il s’impose dans les 4 Chemins et à Loda. Avant de redescendre à Monaco pour la dernière nuit, la fameuse nuit du Turini, le nouveau pilote de Boreham est remonté à 9sec de Sainz. Biasion est à plus de 2min, Saby à 3min, Kankkunen à 4… En GrN, il y a un plateau fabuleux de 4X4 : Spiliotis, Mauffrey, Ballet, Balas, Tasso… Pierre Manuel Jenot est engagé sur une Alfa 75 quand, à quelques jours du départ, un partenaire lui prête une Sierra Cosworth 4X4. En découvrant l’auto et la transmission intégrale, le chauffeur de taxi Monégasque de 32 ans s’impose dés la 3ème spéciale au Corobin et rentre en leader du GrN à Aubenas, 1min08 devant la Ford de Spiliotis et après un super chrono dans Antraigues. L’écart continue d’augmenter avant que P.M se fasse piéger dans Trigance, à 40km/H… C’est Spiliotis qui gagne devant Mauffrey et Tasso alors que le 8ème du groupe est un certain Alain Pellerey avec une… AX N1 ! Dans la Madone, la petite Citroën de ce sympathique enseignant est créditée du 18ème temps scratch !

Le mardi 29 janvier 1991 à 16h50, dans la spéciale du Moulinet qui passe au Col du Turini, François et Anne-Chantal s’installent, pour la première fois, en tête d’un rallye de championnat du monde. Le Nordiste pose 11 sec à Sainz et commence à être euphorique. Anne Chantal le calme un peu, tout reste à faire ! Elle a raison, dans Beuil, le Matador se révolte, il reprend 10sec d’un coup et la tête pour 8sec. François réagit dans la Madone puis à Bif. Il ne compte que 2sec de retard sur le champion du monde Madrilène. Lors du second passage dans le Turini, Sainz s’impose et les deux équilibristes se retrouvent ex-æquo ! Il reste 4 spéciales. C’est là, dans le froid de cette nuit d’anthologie que François et sa coéquipière sentent que l’exploit est à portée de main. Anne Chantal reste calme et lucide, les notes tombent parfaitement, le pilote est de plus en plus en osmose avec sa monture et à Saint – Sauveur, le couple parfait administre 6sec à l’équipage Toyota et s’installe en tête, seul…Carlos commence à douter.

Dans mon lit, j’ai le poste collé à l’oreille et sur les antennes de RMC, c’est de la folie ! Gérard Borie accueille Michèle Mouton, Jean Ragnotti et Alain Deléan, directeur de Ford France. Pour ce dernier, hilare, c’est évident, c’est fait : Delecour et Ford Vont Gagner ! La France du rallye, insomniaque, est comme suspendue à un seul homme. Au dessus de chaque chaumière, des fumées de cheminées s’envolent dans les cieux et portent toutes le même message divin, la même prière : Allez François !

Vers 3h00 du matin, François a compris et annonce : « dans le Col-St-Raphael, je vais attaquer, fort… ». Au point stop de ces 23km, Sainz a compris. Il accuse 14sec d’un coup…et un sérieux coup au moral. Je suis maintenant assis au bord de mon lit…Putain, il va le faire, il va le faire… Je ne tiens plus en place. Michèle Mouton, elle, dit : « il faut rester prudent, le rallye n’est pas fini… ». Elle a tellement raison, Michèle. Il reste 2 spéciales, François est en état de grâce. Dans la Madone, le ciel exauce nos prières et le rallye prend une tournure mystique. Au point stop, Sainz réalise 14min43, il améliore son temps du premier passage de…49sec ! La guerre n’est pas finie et le doute s’installe à nouveau ! Il n’y a plus qu’à attendre le chrono de François. Attendre deux minutes, ce n’est rien. En remontant un peu le temps, je me dit alors que j’attends ça depuis le Monté Carlo 1984, quand ce jeune inconnu venant du Nord avait rallié Monaco en 67ème position avec une Samba Rallye presque d’origine et sans pneus clous …Alors, deux minutes… Mais François aussi remonte le temps et c’est 1min35 plus tard que la Ford franchie la ligne et claque un hallucinant 14min18 ! Un miracle. 41sec d’avance avant d’en découdre avec les 22 km du Moulinet, cette dernière spéciale, ce fameux Turini. C’est gagné… Je suis toujours assis au bord de mon lit et je n’ose plus écouter RMC, je n’ose pas y croire. Je repense à mon idole, à Jean Luc Thérier, et à 1981. Une décennie plus tôt, au volant d’une Porsche 911 Gr4 Alméras, le Normand écrase le Monté Carlo de toute sa classe et possède 3min13 d’avance sur la R5 Turbo de Jean Ragnotti avant la nuit du Turini. C’est gagné… Dans la descente, 1km après le Moulinet, des spectateurs ont mis de la neige sur la route juste avant le passage de Jean Luc. Un acte délibéré. Le leader tape et casse la transmission. Thérier finit la nuit dans un petit chalet et vers 7H30 du matin, avec une belle « gueule de bois », il regagne Monaco où Ragnotti est accueilli en vainqueur.

Avant que les premières lueurs du jour éclairent le Moulinet et le sommet du Turini en ce mercredi 30 janvier 91, François et Anne Chantal prennent le départ des derniers kilomètres qui les séparent de leur destin. La Sierra N°12 est portée par la France entière, par ceux qui sont ici, dans les derniers lacets de cette édition légendaire et tous ceux qui ont les yeux rougis et le souffle coupé à attendre, aux pieds de leurs lits. Allez François !…

Au bout de 3km, vers le Moulinet, le héros du rallye sent un problème à l’arrière gauche…Il s’arrête, repart puis loupe un freinage sur la neige. Une rotule de suspension a cassé. Quand François Delecour franchit la ligne d’arrivée du Turini, il sait qu’il a tout perdu et répète frénétiquement : « J’ai pas tapé…J’ai pas tapé… ». Tout le monde pleure, les journalistes, les spectateurs, Bruno Saby, Catherine François, Anne Chantal, François… Le sport mécanique, c’est tellement injuste parfois. Carlos Sainz remporte le 59ème Rallye Monté Carlo. Vers 7H30 du matin, le jour se lève, enfin, après ce long voyage au bout de la nuit. Mais ce sera une journée sans soleil. Michèle Mouton déclare « On ne devient pas tout de suite un champion »…

J’éteins la lumière, je rentre sous mes couvertures mais je ne ferme pas les yeux. Je me répète, inlassablement : je n’aime pas le Turini, je n’aime pas le Turini ! Et ne me demandez pas pourquoi…

Vidéos de cette édition 1991





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Bertrand
Bertrand
3 années il y a

Effectivement comme l’a écrit quelqu’un, ces articles,de Jeff, sont beaux à chialer.
Cette année là,j’étais aussi étudiant mais à Montpellier.
Et nous étions également venus en ardèche depuis Montpellier dans la Super 5 GT (mais pas turbo..) d’un copain.
Souvenir ému des dérives de Biasion en clous dans la descente sur Sagnes et goudoulet….
La nuit du turini, c’est également les yeux rougis depuis ma chambre d’étudiant que je l’avais suivi jusqu’à ce traqique dénouement..

ArdechoRallye
ArdechoRallye
3 années il y a

Sur la photo d’Anne-Chantal on peut voir que Stéphane Lefevbre était présent ahahah