L’entraînement mental se démocratise en rallye



Pendant cette intersaison, et en attendant patiemment la reprise des hostilités fin janvier, il nous semblait intéressant d’évoquer des domaines rarement abordés, et pourtant directement liés à la compétition.

Après avoir suivi le parcours d’un étudiant en école d’ingénieur, une deuxième “rencontre” était programmée avec Karine Edouard, entraîneur mental, travaillant notamment avec Yoann Bonato et Benjamin Boulloud, triple champions de France des rallyes Asphalte. À travers cet interview, nous avons voulu en savoir plus sur ce métier, encore méconnu dans le milieu du sport automobile.

Bonjour Karine. Tout d’abord, est-ce que tu peux te présenter rapidement ?

“J’exerce depuis une vingtaine d’années en Suisse, en France et à l’international, je rencontre des personnes, principalement des athlètes, pour les aider à améliorer leurs performances en appliquant une méthode d’entraînement mental.

Je travaille depuis plus de 23 ans en tant qu’entraîneur mental, principalement avec des athlètes de haut niveau (niveau mondial et olympique et sportif professionnel), ainsi que des chefs d’entreprises (entrepreneurs, CEO, etc…) en privé ou pour leurs équipes sous forme de séminaires, conférences et rendez-vous privés. Je travaille également avec des personnes envoyées par le corps médical, surtout pour des maladies graves et deuils …

J’ai mis au point une technique d’entraînement mental, mes études (BEES2, master spécialiste en sophrologie caycédienne, psychothérapeute, formations et recherches en posturologie, cellulaire, etc…) et surtout mon expérience de vie, m’ont poussé à mettre au point une technique d’entraînement mental logique et réaliste. 

Comprendre que nos émotions ont un impact direct sur nos capacités musculaires et réactions nous venant de notre fonctionnalité animale.

Quand j’ai commencé, cette activité n’était pas le truc vraiment à la mode. Depuis une dizaine d’années, la préparation mentale est arrivée avec ses techniques, et malheureusement, on mélange un peu tout. 

Les personnes avec qui je travaille,  vivent des situations complexes : des entourages très présents (entourages sportifs, médias et privés) et des situations où le regard est la plupart du temps porté uniquement sur eux . On ne leur épargne rien.
 
L’intérêt qu’on leur porte est plus sur ce qu’ils représentent, plutôt que sur ce qu’ils sont vraiment, c’est à dire leur réelle personnalité. Pourtant, c’est cette personnalité qui va devoir subir, réagir, performer. Ce n’est pas toujours si simple, car souvent, tout cela se passe sous le regard et le jugement des autres (juste ou pas).

Depuis plus de 23 ans, j’ai pu travailler avec de nombreux sportifs, des personnes qui ont des situations à gérer à risques et l’à-peu-près ne peut pas faire partie de l’équation.”

Comment peux-tu décrire simplement ton métier ?

“Je fais de l’entraînement mental, Mon métier regroupe plein de domaines comme la posturologie, la psychothérapie physiologie, la biologie, les hormones, le système nerveux… prendre en compte notre fonctionnement animal, nos instincts primaires, tout autant que nos réactions d’Hommes.

Aujourd’hui, on nous demande d’être positif, pas négatif, être comme ceci ou comme cela pour être dans le soit disant bon moule. Malheureusement, nous sommes différents et les solutions simplistes n’existent pas, bien au contraire, elles sont anxiogènes.

Je préfère travailler sur la réalité pure, dure et froide : on ne construit pas sur des sables mouvants. J’ai à faire à des fauves qui ont un très fort instinct de survie et donc d’empathie, on ne joue pas avec eux.”

Et donc comment agir avec ces personnes pour progresser ?

“Tout le monde a ses habitudes et il faut comprendre comment elles fonctionnent pour évoluer. Il n’y a pas de méthode toute faite, mais toutes les habitudes ont la même structure de compréhension et d’exercice.

Il ne faut pas être ni négatif, ni positif face à des événements, il n’y a pas d’échec dans la vie, tout est une question d’expérience.  Quand les athlètes me parlent, ils disent que c’est comme entraîner un muscle.

Il y a des prototypes de personne faites pour le haut niveau. Ils sont capables de multiplier par 10, voire par 100, les réactions d’une personne lambda. 

Ils doivent gérer des montées, mais aussi des descentes d’adrénaline très importantes. Un sportif doit savoir vivre avec son mental, et sa carrière est loin d’être un long fleuve tranquille !!

Il ne faut pas trop les (les athlètes) laisser partir dans leurs pensées et simplement imager parfois les choses. L’athlète doit apprendre à se connaître, et à partir de là, comprendre quels leviers peuvent agir derrière. Mon but est de fournir le plus d’autonomie à l’athlète.

Nous sommes des animaux, mais qui sont complexifiés par nos émotions, il est donc important de se reconnecter au primaire. Tout le monde fonctionne de la même manière, partout dans le monde, mais chaque individu doit comprendre comment il fonctionne pour s’améliorer. Chacun se construit différemment au fil du temps.

Toutes les émotions sont en lien avec les muscles. Quand un athlète me dit qu’il ne sait plus faire quelque chose, ce n’est pas vrai, on n’oublie jamais rien, l’habitude est toujours ancrée en lui, il faut simplement “nettoyer” les filtres qui se sont installés.”

Comment sont amenés les athlètes à te contacter ?

“La plupart du temps, c’est du bouche-à-oreille. Ce qui les poussent à venir me voir, c’est en se disant « Je veux être meilleur », ils veulent aller plus loin.

Soit ils rencontrent une problématique, soit il y a un truc qui ne colle pas et qu’ils doivent découvrir pour avancer. Soit tout simplement, ils entendent parler de quelqu’un qui peut les faire progresser, aller encore plus loin.

Dans le cas de Yoann et Benjamin, ils avaient des amis qui travaillaient avec moi et ils cherchaient une manière d’optimiser leurs performances. Je travaille avec eux depuis un an maintenant.”

Quelles sont les spécificités avec le rallye ?

“Le pilote est évidemment quelqu’un de très instinctif. Le copilote doit tout étudier, c’est méthodique. Mais dans les deux cas, il faut vivre l’émotion et réagir ensuite. Par une émotion bizarre, le copilote peut perturber le pilote et vice versa.

J’ai pu me déplacer sur le rallye des Iles Canaries en fin de saison pour vivre tout ça de l’intérieur. J’aurais préféré me déplacer avant pour vivre ça en amont, mais ce n’était pas possible pour différentes raisons. J’ai pu voir les réactions avec leurs entourages, c’était très intéressant. Benjamin et Yoann ont des capacités incroyables.”

Comment se déroulent grossièrement les rendez-vous ?

“En moyenne, mes rendez-vous durent au moins 2/3h, le maximum a été 11h (rires) et le minimum 1h. Au premier rendez-vous, il faut voir où se situe la personne et comment elle s’exprime. Le non-verbal est aussi très important.

Je ne pose pas de questions, mais nous avons des discussions. C’est en quelque sorte un jeu, les décideurs aiment ça, et c’est comme ça qu’ils se dévoilent. Leurs imposer un questionnaire et vous aurez des réponses toutes faites. Ces personnes ne se dévoilent pas, Il faut construire une relation de confiance avec eux.

Il faut trouver des solutions pour qu’ils ne partent pas dans tous les sens, avec la notion en tête que tout peut arriver dans ce genre de sport : ski, rallye, hockey etc … et certaines activités. Il faut décortiquer leurs actions pour avoir de bons leviers à actionner ensuite.

J’ai deux phrases que j’aime bien en tête  :« Faites avec ce que vous avez, pas ce qu’il vous manque », et en faire une force ou une faiblesse. “L’athlète doit savoir reconnaître ses forces, mais aussi ses faiblesses, tout en restant humble.”

Enfin, voici les témoignages de Yoann Bonato et Benjamin Boulloud, les initiateurs de cet article.

Yoann : “Bien conscient du rôle primordial qu’est le mental dans la réussite d’une épreuve et plus généralement d’une carrière d’un sportif de haut niveau, j’ai cherché à améliorer ce point afin d’augmenter mon niveau et tenter de franchir quelques blocages qui me limitent dans ma performance. Grâce au travail mis en place avec Karine, nous avons fait le point sur ces facteurs limitant de la performance et avons amélioré ceux-ci de façon étonnante. Il reste encore du chemin à parcourir mais de nouvelles directions bien ciblées me permettront d’être encore meilleur dans le futur. “

Benjamin : “Karine est une des rares personnes capable de déterminer de manière précise la personnalité d un individu. Elle a le don de mettre des mots sur le comportement humain. Nous avons augmenté notre confiance, notre engagement et notre concentration au sein de notre équipage. Karine est une grande professionnelle du développement de la performance mentale. Merci”


Si vous voulez plus d’informations ce sujet, le site de Karine vous permettra d’en apprendre un peu plus.




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Felipe
Felipe
2 années il y a

Merci RS pour cet article qui éclaire un de ces métiers qui oeuvrent dans les coulisses… Très enrichissant, j’attends le suivant.

Fab
Fab
2 années il y a

Perso., cette expression “préparation mentale” ne me parle pas. Car c’est justement en allant chercher “des choses” (pas l’intention de développer ça ici) AU DELA du mental que l’on peut TOUT réaliser. Le potentiel initial est le même pour tout être humain. Mais de multiples facteurs tendent à limiter, écraser, camoufler voire désactiver complètement cette “capacité”. Ca rejoint les filtres dont elle parle. Et en fonction du nombre de couches présentes et du niveau d’introspection pour nettoyer ça, on devient celui que l’on est. Vu sous cet angle, qui va bien plus loin que le rallye ou le sport j’en… Lire la suite »