L’oeil de l’ingénieur (Rallye d’Allemagne)



Dans cette nouvelle chronique “L’oeil de l’ingénieur”, Cédric Mazenq nous emmène en Allemagne, le deuxième “vrai” rallye asphalte de la saison.

C’est un rallye relativement singulier, et différent de tous les autres rallyes asphalte. On dit communément que l’ADAC représente 3 rallyes en 1, avec des profils relativement différents à chaque journée : les ES au sein des vignes, les ES de la Sarre et la fameuse ES du camp militaire (la célèbre Panzerplatte). Cela avec une répartition assez équilibrée entre les 3 profils, avec des kilométrages assez comparables.

Pour les ingénieurs, cela exige d’avoir quasiment 3 bases de setup différents. Par exemple en amortisseurs, on nomine souvent plusieurs valvings ou settings différents, en faisant un panachage entre les différents besoins : les ES du Saarland peuvent rouler avec des réglages typés Corse, à contrario les vignes et encore plus le camp militaire exigent des réglages particuliers et dédiés.

Pour les pilotes, cela demande un pilotage à chaque fois différent également : les vignes, c’est une succession d’accélérations > freins > jonctions, sur des routes cabossées, étroites et très polluées : les gros freineurs y excellent. Dans la Sarre, on retrouve un « flow » de pilotage plus traditionnel, même si ça reste encore très longi. Enfin dans le camp militaire, on est sur un exercice très spécifique : savoir utiliser un potentiel pneumatique à 100% sur une ES de plus de 40 km, ultra abrasive, ultra trépidante, et ultra piégeuse.

Ça reste un rallye archi-connu de tous, c’est plus ou moins tout le temps les mêmes spéciales années après années. Les variations sont le plus souvent des inversions de sens, ou des réunifications de plusieurs ES entres elles. Entre les éditions précédentes et les tests qui se font dans les mêmes zones, les pilotes ont tous quasiment l’intégralité des notes. En terme d’atmosphère, le public allemand est clairement un amoureux de l’automobile en général, et en ce sens connaisseur. Cela se sent en spéciale où l’engouement est assez fort, même s’il y a très longtemps qu’aucun pilote allemand n’excelle en rallye, au contraire du circuit.

LA TECHNIQUE

Malgré la diversité du parcours exposée précédemment, on retrouve un dénominateur commun sur l’ensemble du rallye, qui est la caractéristique majeure du rallye d’Allemagne : c’est un rallye à forte dominante longitudinale. Ça veut dire quoi ?  Chacune des épreuves du championnat, comme par analogie chaque circuit de F1, possède une répartition longitudinale / latérale. Sur les rallyes à forte dominante latérale (la Corse par exemple, ou un Cévennes en championnat de France), augmenter la capacité de grip latéral va avoir un effet prépondérant pour augmenter la performance de la voiture. Parallèlement, les rallyes à dominante longitudinale (l’Allemagne donc, ou bien les épreuves du Nord en championnat de France, Touquet par exemple) exigent d’avoir un grip longitudinal très important pour performer.

La qualité n°1 d’une voiture sur un rallye longi comme l’ADAC se résume donc à avoir la plus forte capacité d’accélération possible, pour s’extraire le plus rapidement possible de la succession de jonctions.

Pour cela, 3 paramètres majeurs entrent en jeu : le moteur en lui-même bien sûr (puissance et couple), la qualité des passages de rapport (étagement de boite de vitesse et vitesse d’upshifts), et enfin la traction/liaison au sol, piloté grandement par les amortisseurs.

La combinaison entre ces 3 paramètres vont donner la capacité de la voiture à accélérer vite et fort.

Chaque année, les équipes WRC réalisent des mesures d’accélération en spéciale, spécialement sur cette épreuve (les fameux Speed Gun). Chaque équipe sélectionne des sections d’ES avec des relances et montées de rapports complètes (de 1 à 6), ce qui permet ensuite de définir une courbe de vitesse et d’accélération. C’est la meilleure (la seule) façon de s’étalonner par rapport à la concurrence. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si les équipes amènent souvent des améliorations moteur sur cette épreuve.

En moteur, mêmes si les voitures sont toutes très proches (on atteint un peu les limites d’un 1600 Turbo), les teams avec le plus d’expérience en moteur (expérience circuit par exemple) et surtout avec les plus fort budgets de développement peuvent encore faire de légères différences. Gagner de la perfo moteur, ça prend du temps, et ça coûte surtout très cher !

L’autre sujet très important pour la perfo d’accélération, ce sont les upshifts : autrement dit, la capacité à rendre les passages de rapports le plus transparent possible dans la phase d’accélération, d’avoir la courbe d’accélération la plus linéaire possible. Cet aspect demande beaucoup de connaissances et de techniques. Il y a un aspect hardware pur (technologie et composants de la boite de vitesse, pour faciliter mécaniquement le décrabotage de la vitesse inférieure, et le crabotage de la vitesse supérieure), et un aspect purement stratégie software (gestion coupure moteur (allumage/injection), temporisation et phasage, rupture de couple). Cela demande beaucoup d’énergie, de simulations et de tests. Mais le jeu en vaut la chandelle : sur un rallye comme l’ADAC, on dénombre environ 5000 passages de rapports, dont la moitié en upshifts. Sachant que la différence entre un bon et un mauvais upshift peut être de l’ordre de 10/15 ms, on parle donc d’un enjeu entre 25/30s sur l’ensemble du rallye !

Enfin, le dernier sujet et pas le moindre, c’est la motricité apportée par les amortisseurs. Avoir une bonne perfo moteur et upshift sans pouvoir passer le couple au sol, ça ne sert pas à grand-chose, à part faire fumer de la gomme ! On privilégie donc le longi, en essayant d’optimiser au maximum le contact patch au sol. Pour cela, les amortisseurs sont généralement plus souples en compression et détente basse vitesse, afin de favoriser la traction au détriment du grip latéral et du calage.

ERREUR À NE PAS FAIRE

Deux pièges principaux sont à éviter en Allemagne. Le calage moteur d’abord. Ça peut paraître insignifiant comme ça, mais cela peut coûter cher en fin de rallye. Il y a beaucoup de calage en Allemagne à cause d’un grand nombre d’équerres et de jonctions, et donc beaucoup d’utilisation du frein à main. Les WRC asphalte sont plus typées « propulsion », avec des répartitions de couples plus  arrière, et cela ne facilite pas les choses. Depuis l’interdiction des stratégies d’anti-calage, l’utilisation de l’embrayage est redevenu fréquent voire obligatoire : pas toujours aisé de faire un sans faute absolu…

L’autre piège majeur, c’est bien évidemment les crevaisons. C’est le rallye asphalte avec le plus de crevaisons du championnat, et de loin. Il y a des pierres saillantes qui peuvent sortir de toutes les cordes, et la punition peut être encore plus rude avec ses fameux hinkelsteins.

LE JUGE DE PAIX

C’est bien évidemment la spéciale de Panzerplatte. Cette année, cette spéciale va être particulièrement rude à cause des températures chaudes annoncées. C’est une spéciale très longue et très abrasive où l’on peut vite tomber dans un faux rythme. Il faut savoir utiliser au maximum la capacité pneumatique. Les teams ont développé cela ces dernières années grâce aux capteurs de pression de pneus embarqués avec des alarmes au dashboard, pour aider le pilote à rester dans la bonne plage de pression, et ainsi optimiser le grip pneu sur l’ensemble des 40 km.

Pour cette édition, elle sera plus sélective car disputée dans le sens inverse. Elle sera de ce fait un poil nouvelle pour tout le monde et il y aura encore certainement des possibilités d’écarts importants. On verra les teams qui ont le mieux travaillé pour préparer ces conditions spécifiques. La stratégie pneu aura également son importance.

L’ANECDOTE

Avec l’Allemagne, je pense forcément à l’édition 2011. Cela a été le summum de la rivalité entre Loeb et Ogier, le paroxysme de la tension au cours de cette saison atypique. L’ambiance au sein du team est restée électrique durant l’ensemble du weekend. Il y avait peu de communication entre eux, et ils s’envoyaient mêmes des messages par médias interposés !  C’était devenu difficile. La tournure du rallye n’a pas aidé, les Citroën dominant le rallye, les positions ont été figé assez tôt pour assurer le doublé, à l’avantage de Loeb qui était en tête. Mais sa crevaison a tout changé et a permis à Ogier en embuscade de l’emporter, avec à l’arrivée de cette ES cette célèbre déclaration qui est restée dans les annales du WRC : « Il y a une justice dans le sport ! (sic) ».

Ce rallye est souvent aussi le théâtre de premières victoires en WRC, comme pour Loeb, Neuville et Sordo ! En 2014 d’ailleurs, Neuville gagne son premier succès en mondial après être sorti fort lors du shakedown ! Il faut avoir une sacrée force mentale pour réussir à faire ça et un vrai esprit de guerrier : c’est ce genre d’événement qui forge le mental, et resserre les liens dans une équipe : la partie de mécanique pour remettre la voiture en état impliquant l’intégralité du team, la victoire en est que plus belle.

Enfin en ce mois d’août, j’ai tous les ans forcément une pensée pour Philippe Bugalski qui a remporté cette épreuve avant qu’elle ne soit intégrée au championnat du monde. C’est l’occasion de lui faire un signe, lui qui nous a quitté il y a maintenant sept ans. Je suis sûr qu’il nous suit de là où il se trouve : bon rallye à toi p’tit bug !




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Ben 07
Ben 07
4 années il y a

Encore une fois , un régal.
Merci.

jeanfrancois
jeanfrancois
4 années il y a

Bon article ma foi.