Tour de Corse 1991 : L’Ibère en Mai (2/2)



Suite du récit du Tour de Corse 1991 avec une bagarre qui s’annonce grandiose jusqu’à l’arrivée.

En début de seconde étape et après le coup de théâtre de Verghia, Sartène, la plus Corse des villes Corses, accueille le rallye et offre un tronçon inédit particulièrement rapide. Sainz y récupère d’un coup 8sec sur la Sierra de Delec’ tandis que Schwarz repasse en tête. Dans ce 6 ème chrono, Auriol accuse 5sec de retard en 12km, Bernardini vole et devance Béguin… En 2RM, Ragnotti, Bugalski et Magaud se tiennent en 2sec ! Dans Zerubia, le Matador en remet une couche, Delecour résiste alors qu’Auriol hausse le rythme et signe le 4 ème chrono à 4sec du Madrilène. Armin et François ne sont séparés que de 2sec, Didier est à 41sec, Carlos remonte 4 ème à 1min devant Cunico et Chatriot, excellent 6 ème .

A 10H31, dans l’Alta Rocca, le ciel se charge de nuages noirs au dessus du village de Lévie. Un orage de grêle s’abat sur la montagne Corse. Dans des conditions apocalyptiques, Toyota fait un choix de pneus judicieux, Carlos reprend 4sec à son équipier, 15sec à Auriol et même 17sec à Delecour qui sont en slicks…Mais c’est Loubet qui fait le scratch ! Saby fait de la luge sur un tapis de grêlons et y laisse 30min, abandon ! Philippe Bugalski est à 3sec de Wilson ! Le 9 ème chrono relie Aullène à Zicavo. 25 bornes délicats, alternant parties sèches et mouillées où Delecour punit les Toyota et revient à 10sec de la N°7 de Schwarz. Bruno Thiry et Stéphane Prévot abandonnent sur casse moteur. Dommage ! Mais pour ceux qui savent lire entre les lignes des feuilles de temps, il est évident que nos amis d’Outre- Quiévrain ont posé ici quelques jalons…

En début d’après midi, la caravane du Tour fait escale dans le bourg de Ghisoni après 48km légendaires qui affrontent le Col de la Vaccia et surtout, le Col de Verde. Un juge de paix. Le ciel est lourd et noir, l’Espagnol au regard sombre devient menaçant. Après 33min14 (!) d’effort, Carlos gratte encore 5sec à Didier et 19sec sur un François bien calmé par les effrayantes traces laissées au sol par le N°7 dans la descente. Des traces qui s’arrêtent…au bord du précipice ! La Celica de l’ancien mécanicien devenu le « carrossier de chez Toyota » gît en bascule au dessus du vide ! Une fois encore, Armin « le cinglé » a eu de la chance…Freine-tard lui-même se dit sidéré par les freinages de Schwarz…Comme en circuit ! Rendons tout de même hommage au courage du pilote Allemand ! Le Verde, lui aussi, est resté fidèle à sa réputation : impitoyable ! Du coup, freine-tard se retrouve en tête, 23 sec devant Auriol et 28sec devant Sainz. La victoire se jouera entre ses 3 funambules, c’est sûr, mais dans l’étroit corridor de Ghisoni, le Matador a posé une banderille qui fait mal ! François Chatriot réussi une nouvelle performance : 4 ème temps. Bug et Jeannot, eux, continuent leur festival et de défier les lois de la physiques, ils réalisent le même chrono. Ces deux là sont inséparables !

Tout ce beau monde prend maintenant la direction de Muracciole en Haute-Corse. C’est une spéciale exigeante, technique…Corse quoi ! Le temps est calme mais pas Sainz qui continue sa folle remontée. En 90, Delecour avait abandonné sa 309 ici, sur casse moteur. Cette fois ci, il vient à bout des 16km, 3sec derrière Sainz mais 2sec devant Auriol qui se retrouve maintenant 2 ème à égalité avec l’Espagnol, 25sec derrière François. Cunico et Duez suivent, talonnés par le « chat ». Bugalski est survolté, il talonne maintenant son père spirituel. Dans les 15 km de Tralonca, déjà ardues sur le sec, les averses successives portées par le vent rendent la spéciale très compliquée. Juste avant, au regroupement de Corte, Didier a fait changer les amortisseurs de sa Lancia qui s’en retrouve transfigurée. Résultat : scratch pour le Millavois, son premier du rallye, 4 sec devant un superbe Loubet, 5sec devant Delecour et 14sec devant Sainz. Le pilote Lancia repousse la Toyota à 14sec. Le vent est-il entrain de tourner ? De son côté, Bugalski claque le 9 ème temps absolu. En 2RM, Ragnotti, Bug et Bernardini sont regroupés en 2sec…Chaud !

Avant d’en finir avec cette interminable 2 ème étape qui arrive à Bastia, les concurrents doivent affronter les 24km de Morosaglia. Au cœur de la Corse et de son âme, Auriol se défonce et vole au dessus de la Castagniccia. Didier retrouve sa vista et son extraordinaire pointe de vitesse. Au point stop du Pont- de-Rimitorio, le vainqueur 90 se montre 5sec plus rapide que son fier rival Ibère. La Sierra du leader a fait un tête-à-queue devant la majestueuse église Saint-Jean-Baptiste de la Porta et laisse 20sec. Un peu trop généreux le père François sur ce coup là ! A Bastia, Delecour et Auriol sont en tête de rallye… ex-æquo. Magnifique ! Après une remontée extraordinaire, Sainz se retrouve en embuscade à seulement 19sec. P’tit Bug clôture cette 2 ème étape par un nouveau scratch des 2RM, 1sec devant Jeannot et se retrouve maintenant à 1sec de son équipier ! Le rallye ne fait que commencer…

Le mardi 30 avril, la 3 ème étape relie Bastia à Calvi. Sept chronos et 170Km au programme de la journée dont la redoutée Linguizzetta – Favalello, 45,5km. Dés la reprise des hostilités, dans les 24km de Campile, Delecour augmente le rythme. En 24km, l’équilibriste du Mont Cassel pose 7sec au Conquistador et 9sec au Little Big Man de Millau. Sous la menace de Bugalski, Ragnotti sort la grosse, très grosse attaque, bien obligé… et rectifie sa Clio, y laissant 2 minutes alors que l’ange blond de Busset, associé au grand Denis Giraudet, claque un chrono stupéfiant dans les pare-chocs de Béguin et Chatriot … A cet instant de la bataille, l’empereur est toujours Delecour, suivent Auriol à 9sec et Sainz à 26sec… Le juge de paix de la journée avec ses 45 bornes se profile, et dans les longues spéciales, Sainz, la Toyota et les Pirelli sont impitoyables. La preuve : Loubet, Duez et Cunico ramassent tous plus de 30sec par l’Espagnol, Delecour pourtant à l’attaque voit s’envoler 7sec et Auriol 6sec. Les trois favoris sont désormais regroupés en moins de 20sec ! Après le regroupement, direction Corte-Taverna, 27km. Là, il faut un très gros cœur ! Sainz avait réussi le scratch et un nouveau record en 16min17 lors de la précédente édition. Le Madrilène claque un énorme 16min01 ! A 108km/h de moyenne. Brrrr… François résiste et perd 1sec seulement mais Didier dévisse et laisse 10sec. La Celica revient à 1sec de la Delta. Didier doit réagir, et vite ! Patrick Bernardini et sa mélodieuse M3 claque un gros chrono, à 1sec au Kil seulement d’Auriol. Et pose 23sec à Bugalski ! Il est bien équipé, le Patrick…Dans Borgo et ses effrayants ravins, Auriol donne tout mais échoue à 1sec du scratch signé Sainz. Duez réussi un exceptionnel 3 ème temps à 4sec de l’Espagnol en 17km. Et Delecour alors ? Borgo, pour François et Anne Chantal, se transforme en Waterloo ! Dans la partie la plus bosselée, la Sierra s’arrête d’un coup…Après de longues minutes, le Nordiste découvre une cosse de pompe à essence débranchée. Il perd plus de 16min ! Trois courses, trois désillusions… Vainqueur moral du Monté Carlo, 3 ème au Portugal avant de sortir, en tête de ce Tour de Corse avec 17sec d’avance avant cette panne à deux balles…Le sport mécanique est ingrat. Auriol dit alors : « Sans sa panne, François était inaccessible ! »… Oui, François et Anne Chantal auraient dû gagner ce Tour, mais dans les faits, après cette 17 ème spéciale, Sainz et Auriol se retrouvent leaders, à égalité parfaite ! La Corse retient son souffle. A Bastia, le rallye ne fait que (re)commencer.

A la reprise des hostilités, les 25km étroits et sinueux de l’ES18 sont un calvaire pour l’équipage Auriol – Occelli qui perd 9sec sur le Prince des Asturies. Ce dernier s’installe dans un fauteuil de leader de plus en plus moelleux. Sans aucune pression, Delecour est reparti, à bloc…Comme au bon vieux temps avec la 309 ! Il pose 6sec à Carlos et 15sec à Didier. Freine-tard récidive dans Casta, il décroche un nouveau MT alors qu’Auriol tente tout. Mais pour Didier, ça ne suffit pas, la Delta plane, saute, glisse, sous-vire…Il faut tout le talent du Millavois pour entretenir le suspense alors qu’il est à nouveau devancé par le Madrilène et accuse maintenant 12sec de passif. Pendant ce temps là, Franco Cunico tient la cadence du pilote Lancia et reprend même un peu le large face à un magnifique Marc Duez… tout en ridiculisant la Sierra officielle de Malcom Wilson ! Avant de rejoindre la citadelle de Calvi, les rescapés de ce 3 ème acte doivent encore en découdre avec les 13,5 km qui arrivent à Montemaggiore où on cultive l’olive de Balagne. Didier, lui, cultive la victoire et jette toutes ses forces dans la dernière joute de ce mois d’Avril pour reprendre… 1sec au champion du monde. En 90, Auriol avait ici réussi 8min23. Là, il réalise 8min12. Delecour claque un ébouriffant 8min09. Le patron, c’était lui ! Au pied de la citadelle, Sainz est confiant, il possède 11sec d’avance sur Auriol. 11 secondes ce n’est rien, d’autant qu’il reste 7 spéciales et 178km avant de retrouver la place d’Austerlitz et la Cité Impériale… mais demain, du côté de Liamone et ses 44km, on sait déjà que la Lancia va souffrir !

Le 1 er mai, c’est la journée internationale des travailleurs. A 8h30, place du 1 er Bataillon-de-Choc à Calvi, c’est plutôt la journée des artilleurs. La lutte finale commence sur le champ à Notre-Dame-de- la-Serra ou la Sierra du soudard Delecour fait tomber le record d’Auriol de… 22sec en 28 Km! Sainz et Auriol sont partis ventres à terre mais ne peuvent suivre la cadence infernale de la Ford. Carlos ajoute 2sec supplémentaires dans sa besace. Pour l’anecdote et après un rapide calcul, il est étonnant de constater que sans ses soucis de cosse débranchée, François posséderait maintenant 41sec d’avance sur Sainz, soit… exactement le même écart qu’au dernier Monté Carlo avant ce tristement célèbre Turini ! Quelques kilomètres plus loin, l’histoire se répète : dans la spéciale de Fango, le jeune équipage Nordiste abandonne pour de bon, différentiel arrière HS ! Trois rallyes, trois déceptions… mais trois immenses exploits. Le couple du Mont Cassel devrait bientôt tutoyer les sommets !

Dans ces 32km très sinueux de Fango, Philippe Bugalski réalise un véritable exploit : 7 ème temps scratch à 17sec de la Sierra de Malcom Wilson. Philippe rejoindra Ajaccio en 7 ème position, 27sec derrière la BMW de Patrick Bernardini. A la force du poignet, Yves Loubet remontera lui à la 5 ème place finale et se classe premier insulaire, derrière la Sierra de Wilson. Le leader du rallye, lui, se montre de plus en plus souverain, il inflige encore 3sec à Auriol. Ce dernier accuse le coup dans Porto- Piana. Sur ce belvédère de granit rouge suspendu entre terre et mer, véritable joyau de la Corse, le Matador pose 5sec en 10km au vainqueur 90 qui est désormais repoussé à 21sec. Exploit de Marc Duez, 2 ème dans ce décor paradisiaque. Le Belge finira la course en 4 ème position, une confirmation ! Devant lui, Franco Cunico s’offre à Ajaccio un magnifique podium avec sa Sierra semi-privée. A Piana, le Conquistador commence à effleurer le paradis. L’enfer va ouvrir ses portes à Didier dans Liamone.

Après 23 chronos d’une folle intensité et prés de 10000 virages, la spéciale de Liamone est l’ultime tournant de ce 35 ème Tour de Corse. Au point stop d’Ambiegna, après un chemin de croix de 44km, la Lancia s’arrête agonisante, avec des pneus arrachés, à la toile…Du côté Toyota et Pirelli, on exulte, Sainz vient d’infliger le coup de grâce à son ennemi préféré : 29sec d’un coup ! Le Conquistador possède maintenant 50sec d’avance. Gagner le Tour de Corse, c’est un peu comme gagner le Monté Carlo, le vainqueur en sort forcément un peu grandi, un peu différent. Seuls les plus grands triomphent à Ajaccio, comme à Monaco ! La Corse est un sanctuaire de la beauté, une terre de navigateurs, de bergers…et de rallymen. Didier Auriol et Carlos Sainz ouvrent une nouvelle ère : celle des pilotes polyvalents, complets, capables de gagner partout, sur tous les terrains et face à n’importe qui. C’est la fin des spécialistes.

Il reste 3 spéciales et 65km mais Didier sait qu’il va devoir céder sa couronne. A 15h27, ce 1 er mai 1991 à Agosta-Plage, Carlos Sainz remporte sa première et unique victoire sur l’île de Beauté, une de ses plus prestigieuses. Au printemps, la Corse est un véritable paradis des sens et le fier Ibère inscrit là une des plus belles pages de sa légende. C’est ça, la magie des grandes épreuves !




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fabien
fabien
3 années il y a

Question aux connaisseurs
Pourquoi les jantes sont elle comme cela à l’avant de toutes ces voitures de l’époque?
Simple déco ou véritable utilités (protections contre les bordures)?

berlinette
berlinette
3 années il y a

Très beau récit, en 2 épisodes, bravo.
Delecour mériterait un palmarès encore plus beau, dont un titre de champion du monde.Un sacré poissard freine-tard. Dans les années 90. , si vous cherchiez le mec le plus courageux du monde , vous le trouviez à la droite de Schwarz. Lui était un fou furieux, le copilote un inconscient.Quand àSainz , je ne dirais pas que c’est sa plus belle victoire, car sans l’abandon de Delec, il n’aurait sans doute pas gagner. Dans sa collection, on doit trouver plus beau succès.