Rallye Monte Carlo 1986, la légende des siècles



Après avoir déjà largement évoqué le Monte-Carlo à travers trois récits en décembre dernier, Jeff nous livre un dernier article dont il a le secret avec un retour sur le Monte-Carlo 1986 et plus particulièrement sur les performances d’un finlandais volant, Henri Toivonen.

«C’est en écoutant les histoires du Monté Carlo que mon père racontait à la maison, les auberges dans le Turini, les tempêtes de neige, les heures au volant, que j’ai commencé à rêver de sport automobile… » révèle Henri Toivonen à un journaliste avant de s’élancer pour cette 54ème édition du Rallye Monté Carlo.

L’auteur du « Petit Prince » Antoine de Saint Exupéry dit un jour: « Fais de ta vie un rêve et de ton rêve une réalité »…

En 1985, Toivonen connait un crash effrayant lors du Rally Costa Smeralda. Hôpital, rééducation, désormais il devra accepter les séquelles et la douleur. On dit que le Finlandais est affecté psychologiquement mais il apporte la plus belle des réponses en remportant le RAC en fin de saison avec la nouvelle Delta S4. Enfant de la balle et de Jyväskylä, Henri est une étoile filante dans le monde du rallye. Son talent unique, son attaque légendaire et sa précocité lui valent rapidement le surnom de petit prince du rallye.

Dimanche 19 janvier 1986, Henri Toivonen arrive à Aix les Bains en prétendant à la victoire du plus beau rallye du monde. Son père Pauli s’est imposé ici il y a tout juste 20 ans. Ce qui va s’écrire maintenant appartient à la légende. Pour moi, des 87 éditions disputées sur deux siècles, le Monté Carlo 1986 est le plus tragique, le plus étourdissant, le plus inoubliable. Le plus beau surtout. L’exploit signé par le vainqueur de ce 54 ème millésime demeure, à mon avis, comme le plus grand de l’histoire du rallye.

Du Chatelard à Lucéram, 36 spéciales et 880 km de chronos. Sept jours de verglas, de glace, de neige fondue, de rires, de larmes, 114h de direct sur les antennes de RMC (où il y avait moins de grosses gueules mais plus de journalistes) des centaines de milliers de spectateurs tenus en haleine une semaine durant et, au bout du voyage, un héros.

Ce dimanche après midi sur les rives du lac du Bourget, cinq petites spéciales constituent le hors – d’œuvre de la première boucle. Les favoris sont les 205 T16 E2 de Saby, Salonen et Kankkunen, les Delta S4 de Biasion, Alen et Toivonen, les monstrueuses Quattro S1 de Röhrl et Mikkola, les Métro 6R4 de Pond et Wilson, la 205 T16 E1 de Michèle Mouton, les BX 4TC de Wambergue et Andruet…

Biasion remporte le premier chrono puis, à 20H56, arrive la Chartreuse. Un massif, un haut-lieu, une terre d’histoires. 44,15 km et trois cols. Du sinueux, des pièges et cette vertigineuse descente du Col de Porte jusqu’à l’arrivée où les vitesses atteintes font froid dans le dos…Le record de 25min42 détenu par Röhrl et l’Ascona en 1982 devrait tenir car la neige fondue recouvre le parcours. Salonen réussit 32min32, Mouton 32min31, Röhrl 32min24, Alen 32min07, Saby 31min49, Biasion 31min47. Toivonen s’immobilise au Sappey en Chartreuse et le chrono affiche… 31min15 ! Les trois Lancia rejoignent la station balnéaire aux trois premières places mais Toivonen possède déjà 1min05 d’avance sur Alen.

Lundi matin, départ de l’étape commune dans le cadre majestueux du Parc du Pilat. A Saint Régis du Coin, Alen réussit le scratch à 116km/h de moyenne puis, au milieu d’une foule effrayante, Toivonen s’impose sur la neige fondante de Saint Bonnet le Froid à 112km/h de moyenne. Nouveau record. Dans Lalouvesc, Henri en remet une couche avant de laisser le grand Walter Röhrl survoler le Moulinon – Antraigues puis La Souche – Col du Pendu. La Quattro S1 est surpuissante mais manque d’agilité, cependant l’Allemand est là dans son jardin et remonte 2 ème à 1min41 du jeune pilote Lancia. Alen rencontre des soucis moteur et se classe 3ème à 2min22. Saby a perdu trop de temps sur ennuis mécaniques…mais pas sa détermination.

Mardi 21 janvier 9H58. Avant de quitter l’Ardèche, c’est la fameuse boucle Burzet – Burzet. Un mythe. Le record est détenu par Röhrl en 29min49. 44,67 km de verglas, d’humidité, de portions sèches…parfois, et un immense Bruno Saby. Magistrale démonstration du Grenoblois qui administre 19 sec au leader et 31 sec à Kankkunen… Un record – 25min34 – qui tient toujours et pour longtemps encore ! En quittant Burzet sur la liaison, Henri Toivonen est heurté de plein fouet par une Ford Taunus arrivant en pleine gauche…La Lancia est très endommagée et son châssis plié. Henri s’en tire avec un fémur déboîté, son équipier Sergio Cresto souffre d’un genou. Le rescapé repart à l’assaut de la liaison avec du retard et une réparation de fortune réalisée par ses mécanos. Il lui reste 50 km et 25min pour rejoindre le départ de la 13 ème spéciale … Cesare Fiorio, responsable chez Lancia, exige que le Finlandais s’arrête pour remettre l’épave en état. Mais cela prendrait du temps, Henri refuse et désobéit, il fonce vers ce 13 ème chrono. Fiorio demande alors aux mécaniciens de s’unir et de former une barrière humaine pour bloquer la route. La Delta S4 arrive à fond absolu, à 200km/h … les mécanos s’écartent, comprenant bien qu’il est impossible de stopper la course folle de cette bête blessée. L’équilibriste arrive au départ de l’ES 13 avec une minute de retard seulement et écope d’une minute de pénalité. Avec une voiture pliée, inconduisible, avec les pneus usés de Burzet, Henri signe le 7 ème chrono de la spéciale de Bif, Fioro est sans voix. Au fil des assistances, les mécaniciens accomplissent des miracles pour remettre la Lancia en état mais le châssis est tordu, définitivement. Toivonen se tort de douleur, il devra composer avec des piqures d’anesthésiant dans les 23 spéciales restantes. Pour le moment, il mène toujours le rallye devant Timo Salonen. Au parc de Vaison la Romaine, Fiorio dit au Finlandais : « puisque tu as pu arriver là, tu dois être capable de gagner, c’est un signe ». Le médecin de l’équipe fait alors une anesthésie locale au miraculé pour lui remettre le fémur en place.

Dans le très rapide Col des Aires surplombé par le Ventoux, Henri, galvanisé, puise au plus profond de ses ressources et réussi le 2 ème chrono ex – aequo avec Röhrl, à 2sec de Saby en 17 km !

Le pilote Lancia perd ensuite 29 sec en 2 spéciales sur son compatriote de chez Peugeot puis à St Jean en Royans, l’impossible devient réalité. Au Cimetière de Vassieux, avec une Delta S4 qui sous – vire énormément dans les courbes à droite et après un changement de roues en spéciale, Toivonen euphorique signe un scratch hallucinant en posant 28sec à Salonen en 31km, 34sec à Saby…Et pulvérise au passage le record de Vatanen de 1min14. Petit à petit, le petit prince s’adapte, compense. Transformer son rêve en réalité…

Mercredi 22 janvier, 8h39, Col des Garcinets. Alors que tous les espoirs semblent à nouveau permis, les rêves de Toivonen s’effondrent, une seconde fois. Le leader perd 2min30 sur crevaison. Et ce n’est pas fini, le sort s’acharne sur lui à Sisteron où, en slicks, il perd encore 40 sec dans Fontbelle…A la fin de l’étape commune, Henri compte 33sec de retard sur Salonen. Avant la boucle finale, Toivonen est conduit dans un l’Hôpital de Nice pour des examens. Il souffre beaucoup et espère des conditions glissantes, moins physiques. Chez Lancia, Giorgio Pianta déclare que si la voiture se montre rapide c’est uniquement parce qu’elle est aux mains d’un gars touché par la grâce surnommé le petit prince…

Jeudi 23 janvier. Les Col de la Madone, du Turini, de Saint – Roch, de la Couillole, de Saint – Raphael, de Bleine alternent neige, verglas et pluie. Henri est épuisé mais serein… A Peille, Salonen attaque fort et pose 15 sec à son suivant qui prend un coup au moral. Dans le Moulinet, le pilote Lancia réagit et inflige 24 sec à la Peugeot…en 22km. A Beuil, humide, Henri affirme avoir piloté comme si la route était sèche… Salonen accuse d’un coup 48 sec en 22km ! Toivonen reprend la tête pour 24 sec. Il reste huit spéciales dont cinq de nuit et le monde du rallye vibre à la tournure héroïque de ce final d’anthologie. Lors du second passage dans la Couillole, Henri se sert des traces de Timo parti devant lui pour retarder au maximum chaque freinage, son copilote Italo – Américain pousse des bruits bizarres entre deux notes, la peur s’installe mais, à l’issue de ces 22km de frénésie… la Lancia a rattrapé la Peugeot !

Vendredi 24 janvier 1986, Lucéram, 3h55. Hannu Mikkola réalise le 2 ème temps et monte sur la dernière marche du podium final, à 7min22 du vainqueur. La 205 T16 du champion du monde Timo Salonen finit à la seconde place. Rien n’a pu empêcher Henri Toivonen de réaliser son rêve. Ni les 4min envolées, ni une voiture tordue, ni son directeur sportif, ni ce fémur luxé ou un copilote souffrant… Il remporte ce 54 ème Monté Carlo avec 4min04 d’avance sur Timo Salonen. Légendaire.

1986 devait être l’année de Toivonen. Quelques semaines plus tard, le héros du Monté Carlo domine le rallye de Suède avant que le moteur de sa Lancia explose. Le vendredi 2 mai 1986, le monde s’écroule sur l’île de beauté. Alors qu’ils viennent de signer 14 scratchs sur les 17 premières spéciales du Tour de Corse et qu’ils possèdent 2min45 d’avance sur Bruno Saby, Henri Toivonen et Sergio Cresto sortent de la route dans Corte – Taverna. Le prodige Finlandais et son copilote périssent dans un brasier funeste. Ils avaient tous deux 30 ans. Une période d’insouciance et de folie prenait fin, celle des Gr.B et du petit prince. Pour Henri, comme pour la plupart des pilotes, seules la prise de risque, la vitesse, l’adrénaline et la victoire étaient garantes d’équilibre. Dans cette quête de liberté et d’intensité, Toivonen, à l’image d’Ayrton Senna, repoussait toujours plus loin les limites. Il est une de ses déclarations qui résume parfaitement, à mon avis, sa personnalité: « …je devrais me contenter de piloter à 95% de mes possibilités. Je réalise très bien ce genre de choses…quand je ne suis pas dans un baquet ! ».

Le fils prodige a disparu il y a bientôt 34 ans mais chaque mois de janvier, il revient hanter ma mémoire par ses exploits, sa gentillesse, sa passion, son engagement total et exclusif. Les étoiles brillent longtemps encore après leurs morts et comme le Petit Prince d’Antoine de Saint – Exupéry, le petit prince du rallye aurait pu dire : « J’aurai l’air d’être mort et ce ne sera pas vrai »…




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Sylvain
Sylvain
4 années il y a

PS Jeff, merci pour le titre aussi, tu finiras au Panthéon 😉

marc gonay
marc gonay
4 années il y a

J’y étais et oui il était tout simplement phénoména