Au lendemain de la première partie de l’interview de Stéphane Poudrel, voici la seconde avec des souvenirs plus récents tels que ses belles années en Citroën Saxo KC et BMW M3.
Une page se tourne, la Finale 95 c’est le dernier sacre pour la Renault 5 Turbo. De ton côté, tu deviens un peu le « fils spirituel » des Ragnotti, Auriol ou Thérier. A mes yeux, Jean Luc Thérier restera à tout jamais La référence au volant de cette auto mythique ! Et pour toi ?
“Là, ça me fait plaisir que tu parles de Monsieur Thérier ! C’est mon idole, ma référence, un génie de l’improvisation. C’est toute une époque, avec Ragnotti, il faisait partie d’une génération qui « pilotait avec leurs culs ». Je regrette beaucoup de ne jamais avoir rencontré Jean Luc Thérier, il restera le maître absolu au volant d’une R5 Turbo. Par contre, j’ai connu et même côtoyé Jean Ragnotti qui demeure une des plus belles rencontres de ma vie. Après la Finale de Cannes, je suis contacté par Simon Racing pour participer à une séance d’essai avec la Clio en compagnie de Bug’, Jeannot…Cela s’est très bien passé. Ils cherchaient un autre pilote pour rouler en CF sur la future Mégane Maxi et ils me proposent le volant ! Mais moi pilote-pro…et il fallait aussi un budget, que je n’avais évidemment pas ! Néanmoins, ça reste un grand moment et je me suis lié d’amitié avec Jean qui m’a suivi, soutenu, félicité, il a même piloté ma R5 en ouverture de rallye! Un grand bonhomme !”
En 1997, tu te qualifies à nouveau et tu rappliques à la Finale de St-Marcellin avec la R5 et de grandes ambitions. Il y a un énorme plateau de Maxi, de M3, de Subaru et surtout… Jean François Mourgues avec l’Impreza de Cilti Sport !
“Au départ, il y avait un immense étalage de moyens et de matériels et des supers pilotes, mais j’étais hyper motivé et, sans prétentions, sûr de pouvoir réaliser un gros truc. Dans le premier chrono, sous la pluie et dans le brouillard, j’attaque et je suis à 1sec de Jean-François… (Stéphane pose presque 1sec au kil aux M3 de Rouillard, Rousset et Fotia). J’abandonne dans l’ES2 à cause d’un joint SPI. Enorme déception…mais c’est la course !”
Ensuite, la réglementation écarte ta GrF des rallyes. Tu trouves refuge en course de côte avec un 2ème titre à la clé : la Coupe de France de la Montagne GrF en 2001. Puis, à partir de 2004, le lycée professionnel Henri Laurens de Saint-Vallier te propose de piloter pour eux. Transmettre ton savoir et ta passion à la jeunesse, un beau projet non ?
“Absolument, le lycée avait besoin d’aides, ainsi mon frère Hervé et moi avons été sollicités. Ce fut une période fabuleuse et enrichissante. Nous avons piloté de nombreuses autos, j’ai découvert les tractions avant en course et étonnamment, j’ai été à l’aise immédiatement. Je m’adapte assez vite et j’ai eu un énorme coup de cœur pour la Saxo Kit-Car ! Une voiture à l’équilibre incroyable, facile, qui pardonne tout (en venant de la R5 Turbo !). A son volant, on gagne des rallyes et on prend un pied de dingue…”
En 2007, avec le regretté Alain Garçon, tu participes au Legend Boucles de Spa VHC avec une Kadett GT/E. C’est le début d’une nouvelle aventure ?
“Oui, et à plus d’un titre. A cette époque, après 23 ans de TP et bien fatigué, je décide enfin de vivre de ma passion et de préparer des autos. Je suis quelqu’un de fidèle et je fédère facilement. Rapidement, mes clients sont devenus mes amis et m’ont proposé de rouler avec leurs autos. C’est parti comme ça. Le VH m’a permis de renouer avec les origines de ma passion, de partager des émotions et des sensations authentiques. Avec Alain, nous sommes allés à SPA sans réelle préparation, mais le virus était pris…”
Après toutes ces expériences, tu découvres une autre légende en 2012 : la BMW M3 !
“Ouh là là… Quelle claque, quelle auto ! Je dois t’avouer que pour moi, la M3 c’est le summum, le top du top ! Le pilotage d’une M3 c’est tellement naturel, tellement jouissif. Malgré une motricité un peu perfectible, une bonne M3 c’est facile, équilibré, instinctif, hyper sain…Attention, il faut quand même avoir quelques bases de pilotage et du métier pour l’exploiter mais c’est en réalité très facile d’aller vite avec, même sous la pluie ! C’est vraiment un autre monde que la R5 Turbo. Hugues Delage l’a bien démontré. Bon, lui c’est autre chose, il a mis la barre tellement haute en la matière ! Pendant longtemps, pour moi, la M3 est restée inaccessible financièrement. Certes, je n’ai pas roulé énormément avec ce mythe mais ça reste inoubliable. Vraiment !”
Fin 2013, nouveau tournant, tu triomphes au rallye du Mistral au volant d’une…Triumph TR7 V8 « ex-usine ». Depuis, tu as enlevé plus de 20 rallyes à son volant ! Tu as cru dès le début dans le potentiel de l’anglaise?
“En fait, c’est un clin d’œil du destin, c’est grâce à Jean Luc Thérier ! Nous voulions faire de l’historique mais les budgets flambaient déjà et avec Alain Garçon on trouve cette Triumph en Belgique. Je fouille un peu l’historique de cette auto… et je tombe sur une déclaration du pilote Normand qui affirme qu’un de ses plus grands regrets et de ne pas avoir été au bout du développement de la TR7 qui possède un énorme potentiel ! Donc, c’est grâce à Mr Thérier que je roule en TR7 !”
Incroyable ! Tu sais probablement que lors du Tour de Corse 1978, British Leyland avait engagé deux TR7 pour Tony Pond et Jean Luc Thérier et que sans un « sabotage fédéral» ils auraient pu jouer la gagne ?
“Ben tu vois, ça me fait vraiment plaisir que tu connaisses cette histoire là. D’ailleurs, Tony Pond était un immense pilote, un peu le Thérier anglais… En plus, cette auto, c’est un peu le prolongement de ma personnalité : elle a un look atypique, personne ne la connais vraiment, il y a moyen de faire avec elle de grandes choses mais pas dans la facilité. Cette voiture, c’est un peu ma philosophie de vie. Aujourd’hui, je prends vraiment un plaisir fou à piloter cet engin. La TR7 est fiable, je fais trois rallyes avec le même train de pneus, je rencontre de nouveaux terrains, de nouvelles personnes et je redonne une seconde vie a ce modèle oublié. La vie est belle !”
Aujourd’hui, est-ce que tu songes enfin participer à un « gros » rallye moderne comme le Monte-Carlo ?
“J’aurai bien aimé faire de la terre, pour le côté glisse et improvisation. J’espère aussi participer un jour au Rouergue et puis bien sûr: participer au Monte-Carlo, mon rêve ultime…”
A ce propos, tu as eu la chance d’officier en tant qu’ouvreur de Philippe Baffoun lors du dernier Monte-Carlo. Est-ce que cette épreuve légendaire te fait rêver et quelles sont tes impressions à chaud sur cet exercice particulier et ce défi permanent que représente le Monte-Carlo ?
“Ouvreur, c’est intéressant et instructif certes, mais à 😯 km/h ce n’est pas super enthousiasmant ! J’ai surtout fait ça pour mon ami Philippe. Cette épreuve, c’est vraiment le juge de paix ! Il suffit de voir le palmarès. C’est une histoire de feeling, d’intelligence, de pilotage pur, de stratégie, c’est l’ADN de la discipline quoi ! Il faut tout posséder pour y triompher ! J’y pense vraiment car même dénaturé et amputé de ses spéciales légendaires, ça reste le Monte-Carlo. Je vais peut-être louer une petite auto pour découvrir ça très bientôt…”
A ce sujet, dans ta région il y a un p’tit gars doué et polyvalent, comme toi… virtuose en propulsion, comme toi…qui a gagné une Finale (Lunéville 2016 avec une Porsche) comme toi…Mais en plus, lui, il a 30 ans de moins (!) et il vient de briller à nouveau sur le Monte-Carlo !
“Ah oui, c’est vraiment une perf’ colossale et pour moi une grande fierté. Son père, Robert Astier, un authentique passionné, m’a beaucoup aidé et Raphaël c’est vraiment mon « poulain », mon protégé. Je me retrouve en lui dans le sens ou il s’adapte rapidement aux nouveaux terrains et à toutes les autos mais aussi… parce qu’il ne sait pas « se vendre » ! Il est timide et réservé, comme moi. Raphaël possède une facilité et une faculté d’adaptation innées. C’est un gars doué, facile, il déroule…J’aurai beaucoup aimé l’aider pour qu’il atteigne le haut niveau, mais il faut tellement d’argent. Quand je vois que malgré tout son talent, Nicolas Ciamin galère pour trouver des budgets, je me dis que notre sport ne tourne plus rond…”
Avant d’être un sport mécanique, le rallye est un sport d’hommes et de femmes. En regardant dans le rétroviseur, quelles sont pour toi les personnes-clés et les copilotes les plus marquant(e)s de ta carrière ?
“Beaucoup, de tous les horizons, je les remercie tous mais je ne peux tous les citer. Il y a aussi ma compagne, passionnée. J’ai eu le privilège d’avoir des partenaires et copilotes formidables comme Bernard Froment, Fred Vauclare, Jérôme Degout, Marie-Noëlle Ratier…”
Au cours de ces 40 saisons (!) à user le bitume, quels sont les pilotes qui t’ont particulièrement impressionné ?
“Un en particulier: Daniel Girardon (vainqueur de la toute première Finale à Mende en 1984). Pour moi un super vite en R5 Turbo, il n’avait jamais le meilleur matos mais possédait la plus grosse paire de cou.…. ! Un pilotage tout en force, au courage. Sur la neige, le verglas, la pluie… il attaquait toujours et n’avait peur de rien ! J’ai aussi beaucoup de respect et d’admiration pour Denis Troussier, un grand Monsieur ainsi que pour Eric Thuel Chassaigne. Actuellement, il y a un gars qui incarne pour moi toutes les valeurs du rallye et qui est un peu un pilote à l’ancienne. Il est hyper doué, super rapide et vraiment adorable : Cédric Robert. J’adore ce type là ! Après, évidemment, il y a Hugues Delage. C’est un vrai personnage, passionné, entier, un mec super vite. Ce qu’il a fait avec ses M3 c’est vraiment énorme. Chapeau ! En revanche, je n’ai aucune admiration pour les « limeurs » de spéciales !
J’aime beaucoup Denis Giraudet qui m’a souvent appelé pour me féliciter, m’encourager et même pour me rendre de beaux hommages. Un grand Monsieur ! J’échange aussi régulièrement avec Romain Dumas que j’aime beaucoup, c’est un immense pilote et ce qu’il a fait pour Raphael Astier c’est vraiment chouette non ?”
Pour finir, Stéphane, quelle-est ta vision actuelle sur la discipline, son avenir et quel est ton avenir immédiat à toi, en 2022?
“J’espère faire 5 ou 6 rallyes, au feeling. Le CF de VHC me tenterait bien aussi… Sur l’avenir, je ne sais pas, je ne suis peut être pas très objectif et aujourd’hui un vieux c.. mais je trouve que ce qui se passe actuellement, à tous niveaux, c’est triste ! En rallye, les budgets demandés frisent le ridicule, c’est vraiment indécent. Quand je vois la licence à 500 euros… ou le pneu à 430 euros qui est prévu pour être efficace sur seulement 60 bornes !! C’est vraiment n’importe quoi, écœurant ! Pour les jeunes, je voudrais de petites autos pas chères et un pneu unique. Il faut mettre en valeur le talent. C’est possible ! Il faut arrêter avec toutes ces pseudos-filières qui ruinent des générations de gamins pour engraisser des préparateurs et les constructeurs. On a un peu laissé notre âme en chemin et surtout, on a oublié le principal : le plaisir !
Merci à toi Jeff pour ces beaux moments de partages et merci à Rallye Sport !”
Merci RS et Jef pour ces articles !
C’est passionnant.
J’étais petit à cette époque et ne connaissais du rallye que le critérium des Cévennes où mon père m’emmenait chaque année.
Ne connaissant pas le monsieur, je suis allé voir une vidéo de cette finale 1995. (je ne sais pas si on peut mettre de lien ici, voici le titre “Finale des rallyes Cannes 1995 APV reportage”)
Rhaaa, Que de souvenirs ces autos !
Malgré le changement, je suis sûr qu’il y a encore plein de belles histoires qui s’écrivent et seront racontées dans 20-30 ans
Belle rubrique ! Peyrache ça serait top pour ceux qui l’ont connu. Super pilote et super mec !!!