En rallye, les ouvreurs jouent le rôle d’éclaireurs, en étant paradoxalement dans l’ombre de leur équipage alors que leur importance et leur travail sont colossaux.
Pour évoquer ce sujet, on a rencontré Xavier Panseri au rallye d’Allemagne la semaine dernière. Pour sa première dans ce rôle de copilote ouvreur, le français est entré par la grande porte en faisant équipe avec Simon Jean-Joseph, ouvreur de Sébastien Ogier et Julien Ingrassia depuis sept ans.
Sans plan établi, cette interview a balayé un maximum de sujets, soulevant les différents rôles d’un ouvreur sur une épreuve, qui plus est, en championnat du monde des rallyes.
Pourquoi es-tu ouvreur ici ?
“Je n’ai jamais rempli ce rôle et c’est Julien (Ingrassia) qui m’a contacté après le Monte-Carlo car Jack Boyère, habituel copilote de Simon Jean-Joseph, ne pouvait pas être disponible pour des raisons professionnelles. Donc il m’a demandé pour faire la Corse mais j’étais engagé en Rally Raid le même week-end. C’est alors Benjamin (Veillas) qui avait fait le Tour de Corse, mais n’était pas disponible ensuite, donc je ferai 2 rallyes avec celui-ci puis le Catalogne si tout va bien. J’ai accepté avec plaisir à la demande de Julien, même si je ne savais pas si je serai à la hauteur.”
Pourquoi a t-il fait appel à toi ?
“On est amis avec Julien, pas de là à se voir tous les jours, mais on s’entend bien. Il faut de l’amitié et du respect avec la personne avec qui tu travailles, plus que d’être des amis proches. Après, je ne sais pas pourquoi moi, il faut lui demander (rires). Même si je n’avais jamais eu ce rôle, je connais l’autre côté, j’ai déjà fait souvent appel à des ouvreurs quand je roulais avec Bryan. Donc je connais les besoins d’un pilote et copilote. Donc je pense que ce passé et cette expérience, a fait que Julien a pensé à moi.”
Quand as-tu découvert le système de notes de Sébastien (Ogier) et Julien (Ingrassia) ?
“J’ai demandé à Julien qu’il m’envoie des copies de ses notes. C’était il y a une semaine et demie (rires). Non je plaisante. Je lui ai demandé avant, j’ai regardé des vidéos également, il ne faut pas rigoler avec ça. On est pas en course non plus, quand ils font Baumholder en 25 min, nous on prend 1h10/1h15, donc tu as le temps de balancer les notes. C’est sûr qu’il faut un temps d’adaptation et c’était important de faire les reconnaissances avec eux. On fait un passage quand eux en font deux, ce qui permet de voir déjà l’état de la route. Il y a des endroits où ils vont mettre sale pendant les recos, alors que nous, on va déjà voir une bonne différence, qui ne sera pas à changer le jour de la course. Je pense que cela ne se voit qu’en championnat du monde. C’est plus compliqué en championnat de France avec des agendas plus chargés pour tout le monde et des jours de boulot à respecter et des ouvreurs qui viennent juste pour le rallye. Sur ce rallye là, on avait le droit d’aller partout, hormis dans le camp de Baumholder. Il aurait été possible de faire 25 passages dans une spéciale si on avait voulu, il n’y a aucune règle.”
Est-ce que ce travail n’est pas trop fastidieux ?
“En gros, nous sommes trois fois plus lent qu’eux en course. Je ne trouve pas ça forcément long, même dans Panzerplatte. Si tu veux faire ton boulot correctement, ce n’est pas en passant à la même vitesse que le gars en course que tu vas voir des pierres ensachées par exemple. Parfois, on ralentit après un virage car Simon me dit “rail” ou “sale”. On discute beaucoup avec Simon, il y a une grosse interaction. Souvent, il m’a posé des questions sur une pierre par exemple ou un élément de la route, afin de connaître mon avis.”
Comment s’est passée la transmission des corrections avec Julien Ingrassia ?
“J’envoyais toutes les spéciales par WhatsApp, mais juste les corrections. Bizarrement ici en Allemagne, le réseau téléphonique est merdique. Comme tu dois avancer, et eux aussi, le réseau peut beaucoup changer. Donc en fin de spéciale, je corrigeais mes notes, je mettais tout au propre et on avait aussi des runners, des gens qui collectent les notes et qui vont les donner à l’équipage au début des spéciales. Sur Panzerplatte, au deuxième tour, je lui ai envoyé 30 pages sur les 50 initiales. Au premier passage, bien moins. Mais attention, parfois sur une page, il n’y a qu’un seul changement, un sale passant à très sale.”
Et niveau horaires de travail, ça donne quoi ?
“Ce matin (dimanche), on s’est levé à 4h. On a eu de la chance d’avoir une météo splendide sur ce rallye, donc on ne fait “que” corriger les notes et nous ne sommes pas là pour le choix de pneus, sinon il faudrait se lever 1h plus tôt. Cela nous a économisé un peu de temps. On a des fenêtres de passage à faire et on suit un plan d’ouvreur interne avec notamment l’assistance des voitures. Tout le timing est vraiment calculé comme en rallye. En terme de timing, je dirais même que c’est plus stressant que de faire le rallye. Avec le téléphone qui ne passe pas, ça pose beaucoup de problèmes et tu es vite dans la merde. Sur un Monte-Carlo par exemple, je ne veux pas dire que c’est une galère, mais sur des spéciales, tu peux rester 2h avec énormément de corrections. Au final, l’équipe met tout en oeuvre pour que l’équipage possède les corrections à chaque départ grâce à différents moyens.”
As-tu pris du plaisir dans ce rôle ?
“Bien sûr, attends. L’equipage sextuple champion du monde te demande de venir pour un coup de main, tu ne viens pas la fleur au fusil, en te disant je vais venir voir mes potes à l’assistance. Et bien sûr que j’ai dit tout de suite, car c’était une nouvelle expérience au bout. J’ai souvent été de l’autre côté de la barrière, j’ai toujours gueulé sur mes ouvreurs, enfin j’exagère un peu en disant ça, et en l’occurence mon frère était souvent l’ouvreur avec le papa de Bryan. C’est pas gueuler, mais quand il (l’ouvreur) te donne une information, tu veux toujours en savoir plus.”
Est-ce que tu dois adapter tes corrections en fonction de l’ordre de départ de l’équipage ?
“Oui bien sûr, il faut savoir se projeter et comprendre l’évolution de la route. Le premier jour, en partant deuxième, ce n’était pas un problème. Mais hier (samedi), en partant neuvième, il faut te creuser plus la tête car tu sais que ça va être un champ de mines. Ce matin (dimanche), c’était encore différent.”
Comment s’est passé la relation avec Julien ?
“On a très peu été au téléphone ensemble, car on fonctionnait avec l’envoi des pages. Mais parfois, avec le réseau, c’était parfois tendu, donc s’est peut-être appelé 2 fois. Mais s’il comprend tout, il n’avait aucune raison de m’appeler, et ce n’est pas à moi de le faire, surtout qu’il peut être en train de faire plein de choses et je ne vais pas le déranger. Ce soir (dimanche), on va rentrer et on va pouvoir échanger, et ce sera plus sympa.”
Est-ce que tu as fait des erreurs en terme de corrections et notes ?
“Non je ne pense pas, mais le truc c’est que nous avons des écritures/hiéroglyphes vraiment différents. Avec le passage des recos, cela m’a permis de m’habituer au système de notes, et après, surtout de le réécrire. Car si le réseau ne passait pas, il fallait que je donne mes pages directement. Donc s’il bute sur une note, ça pose un gros problème. Dans la spéciale, j’écrivais comme d’habitude et ensuite j’essayais d’adapter avec son écriture.”
Est-ce qu’on peut comparer ça à quelqu’un qui parle une autre langue ?
“C’est un peu ça oui. En fin de rallye, j’aurais pu faire une spéciale avec ses notes. Il y a deux jours (vendredi), non. C’est pour ça d’ailleurs, que lorsque je suis arrivé au shakedown du Monte-Carlo avec Bryan Bouffier, 45 min avant le départ, j’ai repris les notes de Jérôme Degout, c’était un livre, il ne peut pas écrire mieux que ça, je suis parti dans le shakedown et j’accrochais sur des mots alors qu’ils étaient écrit en entier. Et donc, c’est pour ça que j’ai tout réécrit.”
C’était quoi le point le plus difficile du week-end ?
“C’est se poser les bonnes questions pour mettre l’équipage en pleine confiance pour ne pas le ralentir. Donc ne pas trop en rajouter et d’être trop sûr dans les corrections, mais aussi de ne pas les mettre en danger. Il faut être bien concentré dans la spéciale et discuter avec Simon, si on n’a pas été trop loin. Il y a eu deux trois cas dans le week-end où il fallu imaginer l’évolution du terrain ensemble.”
Qu’as-tu pensé du rallye ?
‘”Facile (rires). Beaucoup moins difficile que quand c’est mouillé. 95% des virages en reconnaissances étaient les mêmes au premier passage, donc la météo a fait que c’était plus simple.”
Ce n’est pas trop frustrant de voir les autres rouler, et toi d’être relégué au second plan ?
“Pas du tout. Je n’ai pas vu le temps passer. Samedi, on a démarré à 5h et nous sommes rentrés à 21h30. Je suis actif donc je n’ai pas le temps d’être frustré, ce n’est pas comme si j’étais spectateur. J’ai un vrai boulot, avec une vraie responsabilité et une vraie pression aussi, la pression de bien faire.”
Faut-il être forcément un copilote expérimenté pour faire ouvreur ?
‘Non, car cela peut-être une bonne école pour un jeune copilote qui veut apprendre un sytème de notes, à condition qu’il ait un pilote expérimenté à côté.”
Super article
Encore une bonne idée. Bravo Rallye-Sport. Merci à Xavier qui est toujours excellent.