Il y a 20 ans, 70ème Monte-Carlo : L’aube revenant.



Un an après son dernier récit sur le Monte-Carlo, notre spécialiste de l’épreuve monégasque, Jeff, est revenu sur une autre édition, plus précisément la 70e disputée en 2002 avec la presque-victoire de Sébastien Loeb.

Pour la première fois, la Citroën Xsara WRC va défier l’imprévisible asphalte des spéciales monégasques. Néanmoins, Guy Fréquelin et son « Armée rouge » composée des soudards Philippe Bugalski, Thomas Rådström et du bleu Sébastien Loeb débarquent avec quelques prétentions. L’année précédente, ici-même, le « Grizzly » avait eu de la suite dans les idées en missionnant Bugalski, Puras et Loeb pour piloter trois Saxo Kit-Car. Dans les 30 km d’Entrevaux, Sébastien avait alors laissé P’tit Bug à 53sec. Une esquisse. Dans Sisteron-Thoard, le blondinet Auvergnat faisait parler sa vitesse et sa connaissance du tronçon pour signer un formidable chrono… cependant 3sec1 plus lent que celui de son jeune équipier. Pas de hasard dans ce juge de paix.

18 janvier 2002, soleil-levant sur Selonnet. La marque aux chevrons subit les abandons précoces de Bugalski et Rådström : moteurs HS ! Mäkinen, McRae et Sainz se disputent le trône tandis que chez Citroën, la seule auto rescapée est celle de Loeb. Le pilote de Haguenau se retrouve déjà 4ème après deux spéciales disputées et l’annulation du premier passage à Sisteron « because » trop de foule.

ES4 : Sisteron – Thoard : J’ai le sentiment que tout ce que nous avions vécu jusqu’ici n’était que prémices. La promesse de l’aube…Nous établissons notre bivouac en bas de la descente dans une partie rapide mais technique avec des cordes profondes et des bosses. Et puis ici, le chrono-partiel sera un excellent indicateur. La spéciale est globalement sèche à part au-dessus de nos têtes, à 1304m. Le Col-de-Fontbelle est tapissé de glace sur 3km. Combien de destins se sont joués là-haut ?

Au Monte-Carlo, quand il y a une portion propre où la grosse attaque est permise, il faut attaquer… mais surtout penser au piège qui va suivre ! Et là, Loeb excelle : Rallye d’Automne la Rochelle 1998, deux scratchs face au déluge et Delage; Var 2000 face à un Normand sous des trombes d’eau; RAC 2001 face à la nuit et le brouillard…autant de démonstrations prémonitoires. C’est indiscutable, Sébastien possède un sens inné du grip et assimile les informations très rapidement. Il sait « lire » la route, anticiper les changements de rythmes et l’évolution du terrain.

Avec nos amis Belges d’un jour Jack, Rudy…les paris sont ouverts. Eux viennent voir leurs compatriotes Bruno Thiry (au volant de sa 206 WRC du team Kronos), Freddy Loix, ainsi que la nouvelle pépite Wallonne François Duval engagé en Junior au volant d’une Ford Puma. Malheureusement, Freddy éventre sa Hyundai sur un pont de Selonnet et finit à l’Hôpital de Gap. Bruno et son copilote Stéphane Prevot finissent à une 11ème place qui ne reflète nullement leur talent. Du jeune François, on sait bien sûr qu’il a fait quelques « misères » à Sébastien Loeb lors du premier Championnat du Monde Junior, disputé en 2001 sur des S1600. L’Alsacien a décroché le titre mais pour l’anecdote, on se rappelle que dans le temple de la vitesse d’Ouninpohja, le poulain de nos amis d’outre-Quiévrain avait devancé de 3sec1 notre coqueluche tricolore. Pas de hasard sur le toboggan finlandais !

Le hasard ne trouve pas refuge non plus dans le tronçon qui relie Sisteron à Thoard. Ici, l’écho des Escort, Berlinette, Stratos ou Quattro résonne encore de la Durance jusqu’à Fontbelle. Ici, l’histoire, la légende et la gomme se sont diluées dans le goudron et forment un ruban noir de 36,73km en guise de monument. Et puis, cette descente entre le col et Thoard. Vertigineuse. Terrifiante. Aérienne. Avant d’affronter ce mythe, Mäkinen et son Impreza possède 3sec7 d’avance sur la Focus de McRae, 12sec6 sur celle de Sainz. Loeb suit à 17sec5.

14h57 : le chrono égrène le temps et présage d’une nouvelle ère. L’ambiance est festive, l’humeur légère, la liqueur de sapin forte (consommée à dose homéopathique bien sûr) et je mise sur un scratch de Sébastien qui nous fait un passage légèrement survireur mais tout en modération. En regardant nos chronos, on croit d’abord qu’il y a une erreur : McRae, digne héritier de MacAdam, enivre la foule en jetant excessivement sa Ford dans toutes les cordes…mais encaisserait 20sec par le français ! Même punition pour le champion du monde 2000 Marcus Grönholm et sa 206WRC et la Subaru de Petter Solberg. Idem pour le triple vainqueur Tommi Mäkinen qui a fait un tout-droit. Le champion du monde en titre Richard Burns, lui, est encore plus loin. Sur les antennes de RMC, l’exploit est confirmé : un petit Alsacien devance le grand Grönholm de 18sec3, McRae de 21sec1, Solberg de 22sec1 et Mäkinen de 22sec8 ! Le débutant ravit le commandement au monarque. Coup de massue sur la tête de course !

En fin de première étape, à Puget, les portions humides et sèches alternent à la lueur des phares, Sébastien Loeb et son copilote Daniel Elena donnent un récital. En 26km ils devancent la 206 WRC des frères Panizzi, héros de l’édition 99, de 17sec, Sainz de 20sec et Mäkinen de… 31sec. Deuxième coup de massue ! Au déclin de cette entame de match, le dernier survivant de l’Armée rouge possède 36sec7 d’avance sur Mäkinen, 44sec6 sur McRae, 51sec2 sur Grönholm, 58sec1sur Sainz et il se pourrait que le lendemain, à l’aube, certains se réveillent avec une sévère migraine…
19 janvier 2002, départ de Monaco. Loeb est serein même s’il connaît peu ou prou les spéciales du jour. Dans Pont-de-Clans, les « Subaru-boys » devancent McRae. La spéciale N°7 reliant Puget-Théniers à Toudon se révèle piégeuse et Sébastien en profite. Seul Grönholm limite la casse. Sainz et Solberg perdent tout espoir sur une couche de gravillons et le vainqueur sortant voit son passif grimper à 46sec. On se dit alors que pour le bucheron de Puuppola, ça commence à sentir le sapin ! Mais c’était sans compter sur le fameux Sisu finnois…et les pneus Pirelli. Le « Flying Finn » se révolte dans Loda en reprenant 6sec3 à l’Alsacien-volant et même 25sec8 à un Grönholm de plus en plus fébrile. Puis 12sec8 à Sébastien dans le Turini ! McRae est victime de soucis moteur, Solberg s’avère rapide mais trop irrégulier. Maintenant c’est sûr, le « money-time » va se jouer entre Loeb et Mäkinen. Lors du second passage sur le piton de Coaraze-Loda, Sébastien enfonce le clou et distance de 8sec8 le pilote Subaru qui donne tout. Pour les autres, tous les autres, ça va beaucoup trop vite. Panizzi 3ème, encaisse 23sec en 23km. Troisième coup de massue !

La seconde journée se conclue par la Bollène-le Moulinet où le leader perd 10sec en calant dans une épingle. Pas grave… dans le port de Monaco, il y a des légendes qui naissent… Avant le dénouement tragique de ce Monte-Carlo 2002, Sébastien possède 28sec2 d’avance sur Tommi. La troisième place se joue entre Sainz, Grönholm et McRae. Le Matador aura le dernier mot devant son équipier et le pilote Peugeot.

Plus que son style de pilotage, très fluide (et qui préserve ses pneus) ce qui impressionne chez Sébastien Loeb c’est la façon dont il cale sa monture en appui, en légère dérive, en sécurité. Il ne semble jamais surpris par une réaction imprévue ou un changement de grip. Il intègre instantanément les informations dictées par Daniel et les adapte à l’instant T en anticipant en permanence les différences d’adhérence, l’évolution du terrain, la météo… Le couple Loeb-Elena impose aussi de nouvelles notes plus précises, plus parlantes. Le jeune équipage cher à Guy Fréquelin va faire basculer la discipline vers un nouveau paradigme.

Du côté des Juniors, on assiste à une authentique tragédie Romaine. Gianluigi Galli et son copilote Guido d’Amore enflamment le début de course. Sur des routes lui rappelant celles de ses montagnes qui séparent Lombardie et Suisse, l’Italien connaît la musique. Il fait s’égosiller sa Fiat Punto et possède 1min31 d’avance sur Duval à l’issue du premier jour. La messe est dite, semble t-il. Mais dès le lendemain, aux aurores, le petit diable Belge (21 ans) de Cul-des-Sarts pose 2sec au kil au transalpin dans Pont-de-Clans où il réussi un chrono stratosphérique. L’écart se réduit à 1min10. Gigi envoi alors du gros son dans l’ES 7 et quand il gare sa Punto au point stop de Toudon, quelques Lombards ici présents se mettent à entonner « Arriva Gigi l’amoroso… ». Le ténor Italien enchante le public et colle 6sec8 au culotté petit François puis récidive dans Loda, puis dans le Turini. L’écart dépasse maintenant 2minutes ! Mais cette épreuve demande plus que vitesse et talent: le 6ème sens. L’acrobate de la vallée glaciaire de Livigno, qui effectue son 4ème Monte-Carlo, devrait savoir qu’en Principauté la roulette Russe est une option rarement payante. Le « chaud-bouillant » et incorrigible Gianluigi tape dans l’ES 10, laissant le champ libre au fils de René Duval. Le Wallon décroche sa première victoire en Junior. Un succès qui va le propulser directement dans le baquet d’une Focus WRC quinze jours plus tard, en Suède, pour une Prestation majuscule. Sébastien Loeb, lui, est définitivement entré dans la cour des (très) grands. Mais pas tout à fait de la manière que nous l’avions espéré…

20 janvier 2002, le soleil quitte l’horizon et inonde petit à petit toute la Riviera. Plus que quelques heures avant un exploit unique et historique… Les Impreza de Solberg et Mäkinen explosent le chrono sur les pentes de la Bollène. Loeb perd 9sec avant d’en poser 26 au Finlandais à Lucéram, en 16km ! Il reste seulement deux spéciales et pour nous, la messe est dite… Pas pour Subaru ! Chez « les rouges », un peu plus tôt, on a fait l’erreur de changer les 4 pneus de la Xsara N°21 afin d’effectuer quelques centaines de mètres dans la zone du parc d’assistance. Et c’est interdit ! Et la « patrouille bleue » rodait. Au Casino de Monte-Carlo faites vos jeux, rien ne va plus pour le N°21 ! 2min de pénalités infligées au duo Loeb-Elena. Il n’y a pas de hasard !

Il y a bientôt 20 ans que nous quittions à regret nos amis Belges avec une sévère gueule de bois, et pas à cause de la liqueur de sapin ! Le quadruple champion du monde Finlandais, lui, s’offrait une 4ème victoire consécutive sur le rocher. Pour Tommi Mäkinen, c’était le crépuscule d’une immense carrière. Pour nous, il s’agissait d’une victoire au goût amer mais nous ne doutions pas qu’un nouveau couple princier allait bientôt trôner à Monte-Carlo. Ce que nous ne savions pas, en revanche, c’est que les routes les plus imprévisibles du monde allaient bientôt accoucher de la « dynastie des Sébastien » et d’une écrasante domination pour deux décennies…au moins !

PS : je dédie cette belle histoire de rallyes à Ludovic Gal, lui qui a encore tant à en écrire…




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Rémi06
Rémi06
2 années il y a

J’y étais et ce récit me donne la cher de poule ! on s’y croirait, j’adore. Vive le plus beau rallye du monde !!!

Robin
Robin
2 années il y a

Superbe récit avec de multiples détails qui me donne l’impression d’y être !
Des moments de suspens et de pilotage hors du commun, merveilleux Monte-Carlo.