L’oeil de l’ingénieur (Rallye de Turquie)



Dans cette nouvelle chronique “L’oeil de l’ingénieur”, Cédric Mazenq nous emmène en Turquie, l’épreuve la plus exigeante du championnat du monde.

La Turquie, c’est l’épreuve la plus cassante du championnat, celle qui met le plus à mal la fiabilité des voitures. C’est un terrain extrêmement dur, sec et rocailleux, un rallye «casse bagnole» comme les pilotes ont tendance à le décrire.

Dans le championnat actuel, la Turquie a pris la place de l’anciennement redouté « Rallye de Grèce Acropole », qui jouait dans le passé ce rôle de rallye « mauvaise terre » du championnat.  La similitude avec le parcours grec n’a d’ailleurs pas échappé aux diverses équipes, qui pour la majorité, ont préparé ce rallye sur le tracé des anciennes spéciales du Péloponnèse. En effet, la Turquie n’est pas un pays autorisé dans le règlement sportif FIA pour réaliser des tests.

Ce rallye est vraiment atypique et donne une certaine diversité au championnat, ce qui a mon sens est important. Certains se posent la question de la présence d’un rallye aussi cassant au calendrier, je crois au contraire qu’un championnat du monde se doit d’avoir une diversité qui puisse mettre les différentes qualités des voitures et des pilotes en lumière. Réaliser des rallyes « clones » les uns des autres devient vite ennuyeux. Cela met surtout en valeur le travail de préparation de toutes les équipes, ce qui fait partie de l’ADN de la compétition automobile. Après je partage le fait qu’il ne faut pas que la course devienne une loterie non plus, celle qui donne plus de crédit à la chance qu’à une réelle plus-value technique.  À partir du moment où il n’y a qu’un rallye de ce type par saison, et que les organisateurs préservent le tracé pour ne pas transformer ce rallye en rallye raid, la Turquie a parfaitement sa place au championnat du WRC.

Espérons que cette deuxième édition rencontre un peu plus de succès populaire, l’an passé, l’épreuve était restée un peu trop confidentielle sur le territoire.

Technique

Côté technique, qui dit Turquie, dit protection et fiabilité de la voiture. Ce sont deux critères ou qualités très recherchés et indispensables pour un rallye cassant comme celui-ci.

La protection ça veut dire quoi ? C’est la capacité de la voiture à encaisser des sollicitations sévères et répétées. On parle d’un besoin de protection élevé à la fois quand le terrain est très défoncé, et quand les vitesses moyennes sont très élevées, car la vitesse va avoir un effet multiplicateur sur le besoin de protection. Par chance, la Turquie est un rallye très lent, ce qui le rend quand même praticable. Le même type de terrain avec une vitesse moyenne supérieure de 10 à 15 km/h ne serait quasiment pas « roulable » avec des WRC, même si au cours des dernières années, les équipes et les ingénieurs ont énormément progressé sur la capacité de franchissement des autos.

Première raison, les amortisseurs. Depuis plusieurs années déjà, l’accent est donné sur l’augmentation des débattements (course) d’amortisseurs. Plus de course = plus de capacité d’absorption et plus de place dans l’amortisseur pour développer des butées efficaces. Autre tendance pour un rallye comme la Turquie, en opposition aux rallyes « bonne terre », on va avoir des settings d’amortisseurs plus fermes en haute vitesse de tige, pour s’assurer de stopper la voiture en pompage sur les zones les plus défoncées. Autre élément et pas des moindres, c’est le travail de la butée de fin de course de compression. Cet élément technique joue un énorme rôle dans le niveau de protection global de la voiture. Il existe plusieurs technologies, mais on cherche toujours à jouer sur 3 paramètres majeurs : la longueur active, la charge, et la progressivité.  Contrairement à une voiture de série où cette butée est en élastomère (caoutchouc), en WRC, c’est une butée hydraulique, ce qui permet de dissiper beaucoup plus d’énergie tout évitant de restituer cette énergie comme un ressort. C’est une technologie qui commence d’ailleurs à arriver sur les voitures de série, même si c’est un élément plus marketing qu’autre chose.

Le deuxième point important concernant la protection, c’est le sous-bassement de la voiture. On vient jouer sur la garde au ski, qui est la distance qu’il reste entre le sol et le dessous de la voiture quand les amortisseurs sont compressés au maximum. Sur des rallyes avec énormément de grosses pierres baladeuses (de la taille de ballons de football bien souvent !), il vaut mieux avoir une « clearance » supérieure pour avoir un niveau de protection plus important. À ne pas confondre avec la hauteur de caisse ! Rouler plus haut va également aider, mais ne changera pas la garde au ski finale… Les éléments de protection physiques sous la voiture sont souvent spécifiques pour cette épreuve : on a généralement une version renforcée des skis avant et arrière, autrefois nommés protège-carters.  Ils sont en aluminium, acier ou encore kevlar, et sont garants de toute la sécurité des organes mécaniques.

Pourquoi la fiabilité est autant mise à l’épreuve sur ce rallye ? En plus du côté cassant déjà détaillé ci-dessus, la vitesse moyenne lente entraine des soucis thermiques évidents. On souffre d’un manque de refroidissement dynamique, et on a de ce fait des organes qui vont fonctionner à plus hautes températures, ce qui de fait est plus exigeant. Il est commun d’avoir des versions de radiateurs et de ventilateurs plus importants sur ce rallye, pour protéger notamment tous les organes hydrauliques, les plus vulnérables à la température : crémaillère de direction, différentiel central piloté, différentiels avant et arrière, amortisseurs…

Erreur à ne pas faire

C’est un rallye qui se rapproche plus de l’endurance que du sprint. Il faut conduire avec sa tête en pensant à la mécanique. Chaque pilote doit en permanence garder ça à l’esprit . L’an passé, Ott Tänak a parfaitement illustré cela en gagnant alors que c’était le rallye où la Yaris était peut-être la moins performante de l’année. Il a eu l’intelligence de passer entre les embuches, et certainement une bonne étoile qui veillait sur lui à ce moment là. Ce que les pilotes détestent le plus sur ce genre de rallye (on a retrouvé ce genre de commentaires à Panzerplatte en Allemagne), c’est de sentir que « le destin » peut venir interférer sur le résultat. J’ai eu tendance à répéter à tous les pilotes que j’ai côtoyer que la chance n’existe pas en sport automobile, elle se provoque ! Ne pas crever sur les épreuves très cassantes, ça peut résulter de beaucoup d’autres paramètres que le simple “manque de bol” : la gestion des pneus, des pressions de pneus, le design des jantes, le setting des amortisseurs, la prise de notes des pilotes, l’intelligence de course qui consiste à adapter son niveau d’attaque en fonction du potentiel de crevaisons. Bref ce n’est pas tant une question de malchance que ça. Surtout que les statistiques sont cruelles : les habitués des crevaisons sont souvent les mêmes…

Juge de paix

Comme souvent sur terre, la première journée de course sera primordiale pour obtenir de bonnes positions sur la route le samedi. La Turquie, ça balaye fort et longtemps, donc même durant les deuxièmes boucles.  Le premier passage dans Çetibeli sera crucial avec ses 38 kilomètres sur le terrain le plus cassant du week-end, voire du championnat. Le balayage jouera forcément un rôle fort pour les positions en fin de journée, et les favoris au titre devront clairement limiter les dégâts. L’an passé, Ogier avait perdu 23 secondes, Neuville 17 et Tänak 32 sur ce simple chrono !!!

Anecdotes

Une fois n’est pas coutume, je ne vais pas vous narrer une anecdote sportive, en sachant que je n’ai jamais fait ce rallye dans ce coin de la Turquie, les anciennes éditions auxquelles j’avais pris part étant du côté de la côte méditerranée, autour de Kemer et Antalya. Ce sont donc deux anecdotes sur les «à-côtés» du rallye, lors de deux éditions qui restent dans ma mémoire.

Tout d’abord l’édition 2006 où une tempête féroce s’était abattue sur le parc d’assistance dans la nuit du mercredi au jeudi. Le jeudi matin, c’était une zone de guerre quand les teams sont revenus au parc ! Toutes les structures, toutes les tentes avaient volé dans tous les sens, un véritable chantier ! Seuls les plus prévenants, avec des services logistiques et veilleurs de nuits avaient pu limiter les dégâts. Comme quoi les rallyes se gagnent parfois aussi dans les coulisses.

Enfin l’édition 2010 a été perturbé par l’Eyjafjallajökull, ce volcan islandais (imprononçable !) dont l’éruption a paralysé l’Europe entière pendant plusieurs semaines.  En effet tous les vols réguliers ont été annulés au retour, car plusieurs aéroports ne pouvaient assurer une visibilité suffisante du fait du nuage de cendres qui surplombait le continent. Tous les teams ont donc du trouver des plans B de dernière minute pour rejoindre leurs QG respectifs. Chez Citroën par exemple, tous les membres de l’équipe sont rentrés en bus local avec un voyage de près de trois jours jusqu’à Paris : une épopée mémorable dont chacun se souvient forcément ! Seule une poignée de chanceux a pu rentrer en jet privé via le sud de la France !

Je profite de ces 2 anecdotes «off» pour saluer tout le personnel logistique qui œuvre dans les teams WRC : ces travailleurs de l’ombre infatigables, qui montent, démontent et transportent le matériel sur les épreuves : de vrais passionnées qui participent eux aussi aux victoires…




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Micdegre
Micdegre
4 années il y a

Super article, merci RS et merci Cédric pour toutes ces explications, on en apprend beaucoup.
De plus on se rend compte que lorsqu’un article devient un peu plus “cérébral” et instructif, il beaucoup moins pollué par les “pro l’un” ou les “anti l’autre” avec tous leurs messages faits pour polémiquer. C’est là qu’on peut constater que ces gens là ne sont pas équipés de la matière grise nécessaire pour comprendre ce genre d’article.
Merci RS et vivement le prochain “oeil de l’ingénieur”

Jasim
Jasim
4 années il y a

WRC – Rally of Turkey 2019
Go Here==>> https://hqstreamingtv.net/rally-turkey/