L’oeil de l’ingénieur (Rallye du Chili)



Dans cette troisième chronique “L’oeil de l’ingénieur”, Cédric Mazenq vous fait découvrir le Chili, nouvelle épreuve du championnat du monde des rallyes.

Le rallye du Chili, qui fait suite au Rallye d‘Argentine, présente un profil relativement différent : globalement assez rapide et large, beaucoup plus lisse que l’Argentine.Le niveau de grip est très bon, ce qui en fait un rallye exigeant en terme d’usure pneumatique. Il devrait y avoir beaucoup de gravettes fine sur sol dur et le balayage promet d’être un gros handicap pour les premiers sur la route. Sur ce terrain, la poussière devrait également très présente. Si on devait comparer ce rallye à des rallyes existants, on se situe sur un savant mix entre GB, Finlande et Australie.

La majorité des équipes officielles est censé être venu en repérage pour “prendre la température” des spéciales. Avant l’épreuve également, les organisateurs envoient des vidéos du parcours aux différentes équipes, les équipages pouvant déjà se faire une bonne idée des ES (certains s’aventurent même à prendre quelques notes).

LA TECHNIQUE

Un des éléments clés du Chili devrait être le balayage.

Nous allons profiter de cette épreuve nouvelle pour faire un zoom sur ce phénomène dont on entend beaucoup parler. Le balayage, c’est quoi, et ça se caractérise comment ?

On parle de balayage quand les 1er à passer sur une route « vierge » ont la lourde tâche de « faire la trace ». En effet, au fur et à mesure des passages sur la même ligne, la fine couche de gravette roulante qui est sur le dessus de la surface laisse place à un sol plus dur, et plus propre (d’où le terme de balayage). Le grip y est inévitablement meilleur.

Par expérience et sur chaque épreuve, les ingénieurs caractérisent ce phénomène. Il y a 2 grandeurs et 2 notions complémentaires : le niveau absolu de balayage, qui va déterminer le handicap en s/km de tel pilote par rapport à tel pilote, en fonction de leurs positions sur la route ; et également le temps de balayage, autrement dit le nombre de passage de voitures nécessaires pour réellement balayer la route. Lors des reconnaissances, les ingénieurs et les pilotes s’entachent donc à noter ces 2 paramètres, afin de les confronter, et de traduire cela par une réelle cartographie de balayage (c’est-à-dire un graphe représentant en abscisse la position sur la route, en ordonnées le gap en s/km). De ce fait, même avant le départ d’une épreuve, les ingénieurs sont capables d’estimer les écarts à la fin de chacune des journées, en procédant à des simulations. Ces méthodes étaient surtout légion lorsque le classement définissait l’ordre de départ du lendemain (sans ordre inversé) : on avait alors des scènes difficiles à comprendre où les pilotes ralentissaient dans les derniers mètres des dernières ES des étapes afin de profiter d’une position sur la route idéale pour le lendemain. La fin des splits et la nouvelle règle des ordres de départs a mis fin à ces tactiques difficiles à comprendre pour le spectateur lambda.

Aujourd’hui encore, les ingénieurs sont quasiment capables de dire avant le rallye si un pilote est oui ou non capable de gagner l’épreuve (en fonction de son ordre de départ).

Il faut noter que la balayage n’est pas linéaire et suit une courbe exponentielle inversée. Si on fait une moyenne générique annuelle, le premier aura sur la route 70% de balayage, le deuxième 15 %, le troisième 5%, puis ensuite enlever 1% à chaque pilote. De manière schématique et macroscopique.

Sur des épreuves très pénalisantes comme le Portugal, la Sardaigne et l’Australie, l’écart au kilomètre peut aller jusqu’à sept dixièmes entre le premier sur la route et les pilotes partant au-delà de la 6e place.

Enfin, et on l’oublie souvent, il y a également un autre balayage lors du deuxième passage, parfois pire qu’au 1er passage ! Si l’écart au kilomètre est moins important, la répartition est complètement différente et le premier sur la route peut être pénalisé jusqu’à 90%. Le premier pilote fait un rallye quasiment différents des autres. En pneumatiques, le choix est également différent pour le premier qui a forcément plus tendance à prendre des SOFT, ou un mix à tendance plus SOFT. Il aura plus de patinage du fait du grip moindre, mais moins d’usure de pneus malgré tout, l’usure étant inversement proportionnelle au balayage (plus on balaye, moins on use, et inversement).

Dans le cas du passage de voitures historiques ou d’un rallye national, il faut refaire totalement une nouvelle trajectoire car la largeur de voies des voitures n’est pas du tout la même et il faut donc couper des ornières déjà présentes pour en créer de nouvelles.

L’ERREUR À NE PAS FAIRE

En ce qui concerne les réglages, le maître mot est clairement la motricité. L’erreur serait donc clairement de partir trop dur en raideur et en hydraulique.

Un rallye où la motricité est d’ordre numéro 1 impose des raideurs plus souples : en ressorts tout d’abord, qui joue à la fois sur la raideur en pompage, mais également en transfert longi (plongée et cabrage) comme en transfert latéral (roulis). Les barres anti roulis également, qui elles ne jouent qu’en latéral, mais ont le gros défaut de connecter les roues entres-elles, perdant cette indépendance chère à la recherche de grip. Quand on balaye, on a moins de grip. Qui dit moins de grip, dit moins d’appui, donc moins de grip latéral, et il faut trouver beaucoup de souplesse pour trouver de la motricité. Il faut généralement un différentiel plus « fermé » (taux de blocage fort) pour éviter les emballements de roue, qui pénalise à la fois la traction et la balance voiture.

LE JUGE DE PAIX

Le juge de paix sera la faculté des pilotes à être rapide dès les premiers passages. Les pilotes qui auront le système de notes le plus complet, et surtout ce qui ont le plus confiance dans leurs notes, seront devant.

Sébastien Loeb a été l’un des précurseur d’un système de notes nouveau, en inventant un système plus précis avec des angles de virages. A l’heure actuelle, 90% des pilotes européens utilisent un système inspirés de Sebastien Loeb. Rendons à César !

Avec l’arrivée de la nouvelle génération de pilotes, Sébastien Ogier, d’abord, puis Thierry Neuville, surtout, ont commencé à travailler énormément avec les vidéos. Premièrement car l’équipement des voitures de reconnaissances a largement évolué avec une meilleure qualité d’image. Et deuxièmement, et c’est la cas depuis peu, les équipages ont la possibilité de voir les embarquées sur WRC+. On va alors encore plus loin dans la préparation des spéciales, en corrigeant sa note par rapport à une comparaison vidéo avec la inboard du pilote le plus rapide de l’édition précédente, voire même le pilote le plus rapide du split en question ! C’est un travail titanesque, mais parfois la clé du succès ! Pour les scandinaves, j’ai l’impression que ce travail n’est pas encore aussi poussé qu’au niveau des européens.

Le travail en amont se poursuit également pendant l’épreuve. Au soir de chaque journée, surtout quand les spéciales sont nouvelles, ils essayent au maximum d’écourter les “moments médias” pour bosser sur les vidéos de leurs reconnaissances, pour peaufiner au maximum. C’est un ratio “gain/fatigue” à trouver. Sans gros boulot à la vidéo, il est plus difficile d’être devant, la marge étant de plus en plus faible d’année en année : on peut le voir avec Sébastien Loeb aujourd’hui, qui est certainement un peu moins féru de la vidéo que ces jeunes coéquipiers..

L’arrivée massive de la vidéo a vraiment changé le rallye. Il suffit de regarder l’évolution des temps entre premier et second passage dans les ES. Avant, les écarts étaient bien plus notable qu’aujourd’hui, preuve que le travail de la vidéo permet d’avoir un rythme très élevé dès la découverte, après seulement 2 passages en recos !

L’ANECDOTE

Quand on évoque la découverte d’un nouveau rallye, je repense souvent au rallye de Chypre 2009, alors de retour en WRC avec un tout nouveau parcours.

Lors de cette édition, Sébastien Ogier avait frôlé la correctionnelle après une erreur de lecture d’une box de road-book lors des reconnaissances, évitant de justesse le jour de la course un pick-up placé dans une échappatoire. “Oh l’ami, j’hallucine. Alors ça, j’ai jamais vu, sans déconner. On est pas sur la spéciale ?” Cela rappelle au combien l’importance des reconnaissances, et encore plus à haut niveau où même une erreur est possible !

On en avait souri à posteriori dans l’équipe, car ça c’était bien terminé…. Cela montre bien à quel point le travail des copilotes est ingrat, et on les médiatise souvent lors d’erreurs, alors qu’on oublie souvent de les citer lors des victoires….

J’en profite pour rebondir sur la polémique du dernier rallye d’Argentine. On a reproché à certaines équipes de demander des explications sur un erreur de roadbook des adversaires…. Il n’y a même pas débat à avoir sur ce sujet : le road book est le garant du parcours du rallye : si un ou des pilotes ne prennent pas l’itinéraire du rallye, même si c’est passer à droite d’une barrière au lieu d’à gauche, c’est une erreur manifeste ! Il n’y a pas de sport sans règles !




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riri73
riri73
4 années il y a

Chaque article de M.Mazenq est un régal. Merci encore.

mum1989
mum1989
4 années il y a

super article
bravo !