Monte-Carlo : la Passion, selon Burzet



Ce ne sont pas les pilotes qui ont rendu ce village populaire mais bien Burzet qui a érigé des hommes au rang de véritables seigneurs de la route.

Six siècles avant d’être une légende du rallye, Burzet fut d’abord célébré pour son chemin de croix. Chaque Vendredi Saint, un pèlerinage chrétien part de l’église du village à 540m d’altitude pour monter à 840m, en empruntant une ancienne voie Romaine qui ralliait jadis le Puy-en-Velay. Le sentier du calvaire s’arrête devant trois croix qui surplombent le site avant de redescendre dans le bourg. Cette boucle symbolise la Passion du Christ. C’est une autre passion qui s’empare des lieux en 1968 au cours d’une procession initiatique de 16 km jusqu’à Sagnes-et-Goudoulet, à 1240m d’altitude. Plus tard, viendra la fameuse spéciale de 45 km : Burzet – Burzet. Il y a eu de nombreuses variantes dans l’histoire du Monte-Carlo mais cette grande boucle reste mythique… presque mystique ! Ce morceau de bravoure monte vers 1400m au niveau de Bourlatier et de la ligne de partage des eaux pour redescendre au village de départ.

Remontons le temps en 2013 puis redescendons dans le passé jusqu’aux origines, au fil de 10 histoires extraordinaires qui appartiennent à la légende commune de la montagne Ardéchoise et du rallye.

Mercredi 16 janvier 2013, Burzet. Lors du premier passage, Sébastien Loeb a signé le scratch devant la Polo WRC de Sébastien Ogier. Cette année là, la spéciale serpente en remontant la rivière Bourges jusqu’au plus haut village d’Ardèche, Lachamp-Raphaël, pour finir à Saint-Martial après 30,6km. Dés le départ du second passage, Loeb s’aperçoit qu’il ne reçoit aucun « split » et décide alors d’appliquer la méthode McRae : « If in doubt, flat out  » ! Le terrain est pourtant gelé, changeant, imprévisible. Dans cet environnement de volcans usés et rabotés par le temps, de sucs, de pics, de lacs, le gel fige le paysage et Loeb, lui… remonte le temps. Au point-stop, Hirvonen reçoit 34sec, Ostberg 50, Ogier…53 ! Reste en mémoire cette invraisemblable apparition de la DS3 N°1 qui surgit de ce long gauche étroit et bosselé en descente, pleine charge, en six et en glisse, puis bondit sur le droite que son pilote efface d’un prodigieux coup de volant… avant de disparaitre pour l’éternité. C’est la dernière fois que le Monte-Carlo pose ses roues dans cette enclave des hautes-Cévennes Ardéchoises. Combien de temps une épreuve peut-elle survivre, coupée de ses racines ?

Mercredi le 18 janvier 2012. Sébastien Ogier vise le podium au volant d’une Fabia S2000 et claque un sensationnel 3ème temps dans le Burzet – St Martial matinal, devant la DS3 WRC de… Sébastien Loeb ! Lors du deuxième round, Loeb remet les pendules à l’heure et à Saint-Martial, pose 35sec en 30km au second, un certain… François Delecour. Ogier réussit le 6ème chrono et se retrouve 4ème ! Les exploits d’Ogier occultent un peu ceux de P.G. Andersson qui, à défaut d’avoir une monture (une Proton S2000) à hauteur de son talent, évolue ici sur un terrain à sa mesure. Dans Burzet, Per Gunnar est à seulement 7sec8 de la Fiesta WRC de Tänak et même… 11sec devant la DS3 WRC d’Hirvonen ! Souvenir d’un passage inouï et inoubliable du viking Suédois juste après Lachamp-Raphaël !

Lundi 24 janvier 1994. En Ardèche, Armin Schwarz dynamite la course et au général, l’Allemand précède Colin McRae qui fait du…McRae ! Dans Burzet – Saint-Martial, la neige se réchauffe et les deux fondus quittent la route au même endroit, à Lachamp-Raphaël. Burzet demande de l’humilité, aussi… La Celica d’Auriol pulvérise le record de la spéciale et devance l’Escort de Delecour de 9sec, les autres sont loin. Jean Ragnotti fait un festival avec sa Clio alors que l’Escort Cosworth de Pierre Manuel Jenot domine toutes les autres GrN (8ème temps scratch !) et notamment celle d’un certain Jésus Puras qui met un genou à terre sur le calvaire de Burzet! Cette année là François Delecour s’impose, enfin.

Dimanche 26 janvier 1992, 8H48. Bienvenue en Scandinavie ! Au carrefour de la ferme de Bourlatier, le froid polaire n’arrête pas une véritable marée humaine. Le Burzet, c’est un pèlerinage. Comme l’année précédente, le tronçon se termine à Saint-Martial après 41,41 km. Auriol est en tête du rallye, sa Lancia précède la Ford de Delecour de 17sec. Tous les pilotes sont en clous, et voir des bolides surgirent à 200km/h sur de la glace vive avant ce long droite, ça hérisse les poils ! Ce jour là, nous allons prendre une leçon d’humilité… Les meilleurs pilotes du monde rentrent dans cette courbe droite en glisse et à haute vitesse… Féerique! Auriol est époustouflant d’audace mais dérive plus que Delecour. Dans « son jardin d’hiver » François pose 11sec à Auriol, 19sec à Kankkunen et 34sec à son équipier Biasion… Ici, aujourd’hui, Delecour l’étoile du nord est devenue une étoile des neiges.

Dimanche 27 janvier 1991. Pour la première fois, les concurrents bifurquent à gauche dans Lachamp-Raphaël, 1329m au dessus du niveau de la mer pour plonger sur Saint-Martial, 650m plus bas. Le leader Sainz a opté pour les slicks et en 26min02, sa Toyota lamine les Lancia de Saby et Biasion en clous tandis qu’Auriol casse le moteur de sa Lancia au-dessus des trois croix. Sur le Plateau, la Burle (le blizzard local) nous crucifie, il fait un froid d’outre tombe. Quand la Sierra N°12 apparaît, c’est rapide, très rapide. François Delecour a choisi les slicks, comme le champion du monde et entre dans la cour des grands. A Saint-Martial, après 41km de portions tantôt sèches, tantôt enneigées, tantôt verglacées, François Delecour et Anne Chantal Pauwels réussissent 25min56. Le scratch ! Leur premier en mondial ici, dans Burzet, sur les épaules des géants.

On ne dira jamais assez à quel point les routes ont été importantes ici, entre Cévennes et Plateau Ardéchois. Dans la vertigineuse descente de 15km qui relie Lachamp-Raphaël à Burzet, la D215 passe à proximité du volcan du Ray-Pic. Depuis Lachamp-Raphaël, la Bourges s’est frayée un chemin dans un chaos de coulées volcaniques et plonge au milieu d’orgues basaltiques pour sculpter un site grandiose: la Cascade du Ray-Pic.

Lundi 22 janvier 1990. Un lundi au soleil, la célèbre boucle est raccourcie de 800m et je suis posté en aval de la cascade du Ray-Pic. En pleine lutte avec la Delta d’Auriol, Sainz réussit le scratch avec sa Celica et se retrouve ex-æquo avec Didier au général. Dans cette portion rapide et bosselée, ça vole. Sainz, Auriol et Saby sont à l’attaque mais j’attends surtout la Peugeot 309 de « freine-tard » qui vient de réaliser le 9ème chrono dans le Moulinon. La lionne surgit, elle bondit et rebondit sur les bosses en hurlant : effrayant ! Le volant « entre les dents », François Delecour enivré d’adrénaline ignore le précipice et claque le 8ème temps, à plus de 97km/h de moyenne ! Cet exploit est bien anecdotique : une R5GT s’est envolée dans la Bourges 200 mètres en contrebas. Le copilote Francis Malaussène est mort, à 48 ans. C’est la dernière fois que les équipages du Monte-Carlo effectuent la boucle Burzet-Burzet, ce juge de paix.

Mardi 21 janvier 1986, 9h58. Avant de quitter l’Ardèche, reste Burzet. Un long tour de 44,67km truffé de pièges et un immense Bruno Saby qui, au volant de sa 205T16 E2, inflige 19sec à la Delta S4 du leader Henri Toivonen ! 25min34, un record pour l’éternité ! En GrN, c’est l’excellent René Sarrazin (le père de Stéphane) qui signe le MT. En quittant Burzet, sur la liaison, Toivonen est heurté de plein fouet par une Ford Taunus arrivant en pleine gauche… La Lancia est très endommagée, son châssis plié. Toivonen s’en tire avec un fémur déboîté, son équipier Cresto souffre d’un genou. Les rescapés repartent grâce à une réparation de fortune. Henri devra composer avec des piqures d’anesthésiant dans les 23 spéciales restantes ! De Lachamp-Raphaël, on peut voir le Mont-Blanc et d’ici, quand la nuit est claire, on peut apercevoir l’étoile du « Petit Prince du rallye » qui illumine la voûte céleste.

Lundi 23 janvier 1984. Sur la place du village pris d’assaut par les équipages, on se croirait à Karlstad. La neige recouvre tout et la glace rend les rues de Burzet impraticables. La haut, ce qui attend les concurrents est pire encore : le vent hurle à en percer les tympans, des congères se forment et le paysage se déforme sous les coups de boutoir de la Burle. Dans la montagne, le froid mord les spectateurs jusqu’à l’os. Lachamp-Raphaël, la Reine des neiges, est emprisonnée par le givre. Avec son Audi Quattro, véritable brise-glace de l’armada Allemande, Walter Röhrl découpe le plateau et devance de 30sec son Suédois d’équipier, Stig Blomqvist. Pourtant, à l’à-pic de la Bourges, Walter a mal entendu une note et a vu la mort de près… Une si petite route peut rapidement se transformer en autoroute pour l’enfer.

Mardi 23 janvier 1973. La nuit tombe sur Burzet. Au départ de la grande boucle, c’est « Apocalypse-Snow » ! Une fraiseuse libère la partie finale et à 17H45, l’A110 de Darniche s’élance. Pour le purgatoire ! Bernard ne distingue même plus la route et reste longtemps prisonnier des congères. Vers Bourlatier, c’est la débâcle, le maître des lieux s’est levé : la Burle ! Ce glacial vent du nord s’est gonflé de rage en remontant le couloir de la Vallée du Rhône et a repris possession du Plateau Ardéchois. Il souffle maintenant sur les hautes-terres de toute sa force, furieux qu’on puisse lui voler son territoire. Les bourrasques et la poudreuse prennent le Plateau en otage. La Ford de Fritzinger tombe à l’eau (!) et la course ne repart qu’après 20H, pas de couvre-feu ! Sur 270 partants, 140 sont désormais bloqués au départ, par la neige. Personne ne peut plus avancer ni reculer, les portes de l’enfer se renferment sur Burzet. D’autres se retrouvent piégés là-haut, à 1330m d’altitude. Avec leurs 650 clous par pneu, les A110 franchissent les congères, notamment celle d’Andruet qui signe un scratch mémorable en 38min10 ! Munari vient s’encastrer dans la R12 de Ragnotti au point-stop ! Deux jours plus tard, Jean Claude Andruet et « Biche » remportent à Monaco la plus grande et plus belle victoire de leur carrière. A tout jamais, 1973 restera l’année de la tempête et de Burzet, le « Cap Horn » des rallymen.

Mardi 23 janvier 1968. C’est la première fois que le Monte-Carlo fait étape à Burzet. Lors du secteur chronométré entre le Moulinon et Antraigues, Jean François Piot a signé un scratch stratosphérique, reléguant les Alpine de Larousse et Andruet à 38 et 44sec et la 911 d’Elford à 1min25 en 38km ! Jean François a 30 ans, il a remporté le Tour de Corse 1966 et fut la révélation du Monte-Carlo 1967. Cette nouvelle épreuve chronométrée qui rallie Burzet à Sagnes-et-Goudoulet est avalée à plus de 97km/h de moyenne (!) par la Berlinette de Piot qui laisse Larousse à 4sec, Elford à 8sec et Andruet à 12sec. Piot survole le Plateau Ardéchois et le Monte-Carlo. Mais le virtuose est lâché par le moteur de sa belle bleue et laisse Vic Elford imposer sa Porsche à Monaco. Jean François n’aura pas la carrière que son prodigieux talent laissait espérer, il se tuera lors du Tour du Maroc 1980, à 42 ans.

Comment ne pas s’incliner devant tant de bravoure et le spectacle magnifique de cette nature sauvage? Pourtant, l’appel des grands-espaces et des hauts-lieux ne font plus rêver le WRC. La « Passion selon Burzet » est un recueil de contes et légendes dont Jean François Piot a écrit la première page qui nous parle des routes mystiques conduisant au Plateau… et à Sébastien Loeb. La boucle est bouclée.




S’abonner
Notification pour
guest
29 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
olivier Riviere
olivier Riviere
9 mois il y a

Magnifique article qui ravive les souvenirs du Rallye suivie sur RMC depuis 1966. Ah les éditions de 1968, 1973, 1992 et 1994!

ventoux
ventoux
3 années il y a

extraordinaire récit; un pan de l’Histoire, avec un grand H. je me dis que parfois, je ne devais pas être très loin de JFB…combien de temps une épreuve peut elle survivre coupée de ses racines…c’est un sujet de philosophie…le retour dans ces contrées en 2007 – après 10 ans d’absence – fut salvateur, tout comme les années irc avant les éditions 2012 et 2013. Parions, ou révons, d’un retour après un autre intermède de 10 ans, vers 2023 donc…M^me si la région de Gap héberge aussi les lieux mythiques, le col d’espréaux dans de multiples versions, les garcinets, le plateau… Lire la suite »